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 Histoire du Tibet

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ཌརུཁདཇིགམེ




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MessageSujet: Histoire du Tibet   Histoire du Tibet EmptyMer 29 Avr - 4:41

Histoire du Tibet

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ཌརུཁདཇིགམེ




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MessageSujet: Re: Histoire du Tibet   Histoire du Tibet EmptyVen 1 Mai - 23:26

Tibet བོད་ 藏區

La civilisation tibétaine traditionnelle continue à exister comme un phénomène unique dans le monde moderne. Jusqu’à l’occupation du Tibet par la Chine communiste en 1959, elle était non seulement unique, mais également florissante, à en juger par ses réalisations dans les domaines religieux, littéraire et artistique. Depuis 1959, lorsque le quatorzième dalai-lama, Tenzin Gyatso, quitta son pays pour établir en Inde un gouvernement en exil, une minorité déshéritée de Tibétains s’attacha tout particulièrement à préserver cette extraordinaire civilisation, et ils durent trouver de nouveaux moyens de subsistance dans les pays voisins, principalement en Inde, au Népal, au Sikkim et au Bhoutan . Ces pays comprenaient déjà tous dans leurs régions frontalières un nombre considérable de Tibétains qui demeuraient fidèles à la culture tibétaine, de même que le Tessin en Suisse a une population à prédominance italienne. La culture du Sikkim et du Bhoutan reste essentiellement tibétaine, bien que les formes de bouddhisme tibétain qui y sont pratiquées soient d’un ordre religieux différent de celles de l’« Église d’État » officielle des dalai-lamas du Tibet. Ces nuances, qui résultent de luttes doctrinales et politiques anciennes, rendent encore la coopération difficile sur le plan religieux et culturel, comme cela a été le cas jusque très récemment entre les diverses catégories de communautés chrétiennes en Europe. Si la civilisation tibétaine a été durement éprouvée en 1959, elle n’a sûrement pas péri et ne mourra pas tant que certains de ses représentants auront une activité créatrice.

Le caractère original de cette civilisation est le résultat d’un processus continu de régression dans toute l’Asie du type de bouddhisme qui présida à l’évolution particulière du Tibet. Jusqu’au XIIe siècle de notre ère, le même genre de bouddhisme prévalait en Inde d’où il fut importé par les Tibétains. Depuis le Xe siècle il était pratiqué en Asie centrale (le Turkestan chinois actuel), et les Tibétains entretenaient d’étroits contacts culturels avec les villes-États bouddhiques de cette région. Jusqu’à la conquête du Népal en 1768-1769 par les Gorkha, les Tibétains avaient aussi des relations culturelles et politiques avec les royaumes Newar, du Népal central, liens encore vivaces au XIXe siècle et au début du XXe siècle en dépit de l’hostilité du régime gorkha. La Mongolie avait noué avec le Tibet au XIIIe siècle les liens culturels et religieux les plus étroits, qui durèrent jusqu’à ce qu’elle devienne un État communiste en 1924, et, depuis le XVIIe siècle, elle s’était rangée fermement dans le camp de l’État ecclésiastique bouddhique des dalai-lamas, qui devaient leur suprématie politique sur le Tibet lui-même en grande partie au soutien vigoureux de leurs alliés mongols. Il est donc important de souligner que, si aux temps modernes le Tibet a revêtu généralement pour les Occidentaux la physionomie d’un pays fermé doté d’une culture et d’une religion sui generis, cela n’a sûrement pas été le cas aux siècles précédents. Le Tibet était alors ouvert aux influences de tous les pays voisins : l’Inde, le Népal, la Chine, l’Asie centrale, peut-être même la lointaine Perse. Il élabora une forme distincte de civilisation bouddhique, intégrant maints éléments indigènes mais conservant beaucoup de traits communs avec les pratiques bouddhiques des pays environnants. La civilisation tibétaine n’apparut isolée et originale que lorsque l’importance du bouddhisme déclina ou disparut même complètement dans les pays qui l’entouraient. On oublie aussi que le bouddhisme tibétain, en particulier celui de la variété « Église d’État », resta la religion officielle des empereurs mandchous en Chine jusqu’à la chute de leur dynastie en 1911 et à la fondation de la République chinoise. Les relations du Tibet avec la Chine qui se développèrent à partir du milieu du XVIIe siècle furent toujours considérées par les Tibétains comme ayant un caractère religieux et non politique.

Dans tous les pays d’Asie où se propagea le bouddhisme, celui-ci s’amalgama aux croyances religieuses et aux idées philosophiques antérieures. De ce fait, au niveau le plus populaire, le bouddhisme se présente sous des formes passablement différentes selon les pays. De plus, dans les pays – notamment en Chine et au Tibet – où dès la période la plus reculée la littérature bouddhique fut adoptée dans une version traduite localement, la tradition littéraire tout entière a tendance à se séparer des formes voisines du bouddhisme. Jusqu’au XIIe siècle, certains lettrés tibétains étaient versés en sanskrit, mais, dès que les traductions furent achevées, la connaissance du sanskrit se révéla inutile et la civilisation bouddhique du Tibet fut exclusivement tibétaine. De la même manière en Chine, l’usage du chinois littéraire fit que le bouddhisme devint partie intégrante de la civilisation chinoise, et, si elle fut importée en Corée et au Japon, et ultérieurement dans certaines parties de l’Indochine, cette tradition chinoise n’eut pratiquement aucune influence sur la civilisation tibétaine, qui était essentiellement l’apanage des personnes parlant le tibétain et des missions tibétaines en Mongolie. Donc, au Tibet, langue et littérature sont étroitement associées à la religion.

Il ne semble pas que le tibétain ait été utilisé comme langue littéraire avant la pénétration du bouddhisme, qui commence au VIIe siècle. Toutefois, la nouvelle langue écrite, issue d’une forme d’alphabet indien, avait servi très tôt à des fins non religieuses : annales et généalogies royales, factures, comptes et commandes militaires, inscriptions en pierre dans l’enceinte de Lhasa, la capitale, et aux alentours pour commémorer les victoires, titres personnels, droits de lever des impôts locaux ; datant du VIIIe siècle, ce sont les formes les plus anciennes de tibétain littéraire qui aient subsisté. Bien que la langue littéraire ait continué à être utilisée pour les affaires publiques et les questions administratives, elle était surtout employée dans le domaine religieux.



1. L’espace géographique tibétain

L’espace géographique tibétain s’étend sur quelque 3 500 000 km2, à une altitude moyenne de 4 000 m. Il est partagé entre le Cachemire, à l’ouest, les provinces chinoises du Sichuan à l’est (à qui a été rattachée la moitié orientale de la province du Xikang, supprimée en 1956) et du Qinghai au nord-est, et le Tibet proprement dit (agrandi depuis 1956 de la moitié occidentale de l’ex-province du Xikang), couvrant 1 221 000 km2 et qui constitue depuis 1965 l’une des cinq régions autonomes de la république populaire de Chine ; il compte, en 1992, 2 260 010 habitants, dont 2 140 000 Tibétains.

Les grandes régions naturelles

Tout un ensemble de systèmes montagneux, qui comptent parmi les plus puissants du globe – « nœud » du Pamir et Karakoram à l’ouest, monts Tanglha et chaînes méridiennes du sud-est, système des Kunlun au nord et arc himalayen au sud –, marquent les limites de la Région autonome du Tibet, où l’on peut distinguer trois grands domaines : le haut Tibet, le Tibet oriental et le Tibet méridional.

Le haut Tibet ou Changthang (« plaine du Nord ») s’étend sur quelque 800 000 km2, des Kunlun au Transhimalaya (que les Chinois appellent chaîne des Gangdisi), où les altitudes ne sont jamais inférieures à 4 000 m. Ce « haut plateau tibétain » se compose en fait d’une succession d’une trentaine de chaînes sédimentaires plissées (calcaires du Trias au Crétacé, notamment) s’élevant jusqu’à 6 000 m, aux formes lourdes, aux pentes empâtées de débris et de coulées de solifluxion. Entre ces chaînes, alignées grossièrement d’ouest en est, s’ouvrent de larges vallées à 4 500-4 800 m d’altitude, qui aboutissent à des lacs salés, sans écoulement exoréique ; le plus vaste d’entre eux est le Nam Tso, ou Tengri Nor (« lac Céleste »), dont la surface est de 2 000 km2. Les caractères bioclimatiques du Changthang en font sans doute « le désert le plus effroyable de la planète » (P. Birot) : le total annuel des précipitations n’y dépasse guère 100 mm et la température moyenne annuelle est de l’ordre de — 5 0C. Une intense radiation solaire pendant le bref été (trois mois au maximum) se traduit par des contrastes thermiques considérables (plus de 20 0C le jour et jusqu’à — 10 0C la nuit), tandis que pendant l’hiver, qui dure plus de six mois, la rigueur des températures est encore aggravée par la violence des vents d’ouest qui sévissent sans relâche. Aussi la végétation se réduit-elle à une couverture extrêmement discontinue de mousses et de lichens, remplacés par les armoises et le carex dans les dépressions méridionales.

Le Tibet oriental (région de Tchamdo) est constitué d’un faisceau de vallées d’orientation méridienne empruntées par quelques-uns des grands fleuves asiatiques ; ceux-ci s’enfoncent jusqu’à 1 000 m entre des lanières de hauts plateaux qui ont de 3 500 à 5 000 m d’altitude et qui sont dominés par des chaînes cristallines parallèles dépassant 6 000 m. Ainsi se succèdent, d’ouest en est, les vallées de la Salouen, du Mékong et du Yangzijiang que séparent les alignements des Nushan et des Ningqingshan. Si dans les fonds de vallées, abrités et plus arides, ne poussent guère que des savanes buissonneuses, les versants et massifs qui reçoivent les éclaboussures de la mousson d’été chinoise portent une riche végétation forestière où dominent chênes, cèdres et pins.

Le Tibet méridional correspond à la vallée du Yarlungzangbo ou Brahmapoutre supérieur, sillon tectonique qui s’ouvre à 3 500-4 000 m d’altitude entre les prodigieux reliefs des Gangdisi et de l’arc himalayen. Par sa position protégée et sa situation méridionale, la vallée du Yarlungzangbo jouit de conditions climatiques exceptionnelles compte tenu de l’altitude : Lhasa, la capitale, à 3 630 m d’altitude, est moins froid que Pékin en hiver (moyenne de janvier : — 1 0C) et la température moyenne de juillet atteint 15 0C ; la mousson indienne y apporte des pluies d’été, extrêmement variables d’une année à l’autre, mais dont le total n’est jamais inférieur à 500 millimètres.

Les hommes et le milieu


Le « Tibet utile » se limite traditionnellement à trois types de terroirs de valeur très inégale :

– les pâturages clairsemés (thang) de la partie méridionale et orientale du haut Tibet, que parcourent les éleveurs nomades qui font paître yacks et moutons et qui constituent moins de 20 p. 100 de la population du Tibet ;

– les pâturages de montagne (’brog) du nord de Lhasa et des monts Gangdisi, utilisés par un élevage transhumant en été à partir des vallées ;

– les vallées et dépressions (sgang), où sont établis les agriculteurs sédentaires, en particulier la vallée du Yarlungzangbo qui concentre près des trois quarts de la population sédentaire du Tibet.

La sévérité des conditions bioclimatiques limite étroitement les possibilités agricoles, et une variété d’orge qui résiste au froid (tsingko), semée en avril-mai et récoltée en septembre, constitue la culture essentielle (consommée sous forme de farine grillée, le tsamba), complétée par quelques variétés de légumes : oignons, pois, yuanken (sorte de navet). Dans les vallées du Tibet oriental, plus chaudes, apparaissent toutefois le maïs, les millets, les cultures fruitières (noix, pêches, abricots) et le riz, dont la culture s’est développée grâce aux colons chinois venus du Sichuan voisin.

Ce sont au total de bien maigres ressources, si bien que l’élevage prend une importance toute particulière. Activité exclusive des nomades des thang ou activité complémentaire (élevage transhumant) des agriculteurs des vallées, cet élevage porte essentiellement sur deux espèces remarquablement adaptées au milieu tibétain : le mouton et surtout le yack  ; le yack, précieux animal de bât, fournit aussi du lait qui, transformé en beurre et consommé avec le thé (importé en « briques » du Sichuan et dont la culture se développe au Tibet oriental), est avec le tsamba la base de l’alimentation des Tibétains. La chasse, pratiquée principalement par les pasteurs nomades (yack sauvage ou brong, mulet sauvage ou kiang, antilopes), et quelques activités artisanales qui sont le fait des sédentaires (tissage de la laine notamment) complètent ces ressources traditionnelles.

Les pâturages comme les terres cultivées étaient la propriété du dalai-lama, de la noblesse ecclésiastique et laïque, et des monastères. L’unité de base était constituée par le domaine seigneurial ou par celui d’un monastère, dont dépendaient plusieurs centaines de familles paysannes réparties en trois catégories : les tsaipa, travaillant sur les terres seigneuriales, pouvaient se voir concéder des parcelles pour leur propre compte et utilisaient éventuellement des paysans des catégories inférieures, les duitchung cultivaient des champs loués au seigneur et les langsun étaient dans la dépendance totale de leur maître.

Cette structure de type féodal, caractérisée par la toute-puissance du clergé lamaïque, s’est perpétuée jusqu’à l’intervention de la République populaire de Chine.

2. Histoire

Peu de pays ont une histoire aussi profondément conditionnée par la géographie que le Tibet. Cet énorme plateau, qui occupe le centre de l’Asie, offre des conditions de vie pénibles. L’agriculture est limitée aux vallées (rong) des grands fleuves, tandis que les parties plus hautes (’brog) ne permettent que l’élevage. La population, faible en termes absolus, se concentre dans les rong ; elle est peu nombreuse et totalement ou partiellement nomade dans les ’brog. Ces conditions comportent des conséquences de plusieurs ordres. Avant tout, l’émiettement du pays, où chaque rong tend à former une unité territoriale. Cela est la règle presque absolue au Tibet oriental ; seule dans le Tibet central l’existence de la grande vallée du gTsang-po (Brahmapoutre) a permis de temps en temps la formation d’un pouvoir central.

Dès les origines, la structure sociale a été féodale ; par la suite, une aristocratie monastique s’est ajoutée à la noblesse laïque, sans que soient profondément modifiées les conditions de vie du peuple. Cette aristocratie se recrutait presque exclusivement chez les cultivateurs des vallées ; la société des pasteurs ne comprenait pas de nobles et n’était pas dirigée par une aristocratie. La prédominance économique et sociale des sédentaires est absolue ; l’histoire du Tibet a été faite par les agriculteurs et non par les éleveurs.

L’altitude du pays, la rareté et la difficulté des voies d’accès ont contribué à préserver le Tibet de maintes invasions. D’un autre côté, le faible potentiel démographique n’a pas permis au pays de se livrer à l’expansion militaire ; la seule mais très importante exception est la période monarchique (VIIe-IXe s.), où l’impérialisme d’une envergure panasiatique a bénéficié d’un moment historique et de conditions internes exceptionnelles. Depuis la pénétration définitive du bouddhisme au XIe siècle, le Tibet est devenu objet, et non sujet, d’histoire. Il peut paraître singulier qu’un pays aussi pauvre ait fait l’objet d’invasions. Le motif en était qu’il servait de refuge à une religion, le bouddhisme, qui à diverses époques déploya une intense activité missionnaire au-dehors ; plus tard, la position stratégique du Tibet au centre du continent y contribua aussi. La Chine au XVIIIe siècle établit son contrôle sur le Tibet pour empêcher que le dalai-lama, qui était aussi le chef spirituel des Mongols, ne tombât sous des influences hostiles. De même, aux environs de 1900, l’Angleterre intervint militairement pour éviter que l’influence russe ne s’y établît. Quand le Tibet se trouvait enserré entre des voisins en phase d’expansion, le but de ceux-ci n’était pas de le soumettre, mais d’empêcher les autres de le faire. Cette limitation d’intérêt sauvait l’autonomie interne du pays, mais pas son indépendance.

La monarchie

On ne connaît presque rien de la préhistoire du Tibet ; l’archéologie en est encore à ses débuts, et les quelques trouvailles de l’Amdo et de Nyalam aux confins népalais sont trop minces pour qu’on puisse en tirer des conclusions. En ce qui concerne les légendes tibétaines des origines, les études critiques de ces dernières années permettent de tracer un tableau assez précis. Selon les anciens mythes, les habitants primitifs, issus de l’union d’un singe avec une ogresse des rochers, auraient reçu une organisation sociale et politique d’un être semi-divin, gNya’-khri-btsan-po, descendu du ciel au moyen d’une corde céleste. À ce fondateur mythique de la nation et de l’État vingt-sept rois auraient succédé jusqu’au commencement du VIIe siècle. En réalité, la légende concerne une petite principauté située dans la vallée de Yar-lung, dans le Tibet méridional. À la fin du Ve siècle, sa dynastie aurait été remplacée par une autre, originaire du Kong-po, ce qui amena la formation d’une confédération féodale comprenant la partie centrale du pays et gouvernée quatre générations plus tard par le roi gNam-ri-slon-btsan (fin du VIe s.). Vainqueur d’une alliance des princes restés indépendants, il acheva l’unification du pays, qui avec lui entre dans la pleine lumière de l’histoire. La monarchie tibétaine avait à ses débuts une structure nettement féodale qu’elle conserva jusqu’à la fin, caractérisée par la prééminence du Grand Ministre, qui très souvent était le chef de la famille à laquelle appartenait la reine.

Srong-btsan-sgam-po (env. 610-649), fils de gNam-ri-slon-btsan, fit entrer le Tibet dans le jeu des puissances de l’Asie centrale et en 634 noua pour la première fois des relations, d’abord amicales, avec la Chine. En partie sous l’influence chinoise, il donna à l’État tibétain une ébauche d’organisation centrale. Il bâtit une capitale, Lhasa, d’abord simple centre administratif, tandis que le roi continuait à se déplacer entre résidences d’été et d’hiver, dans une transhumance à caractère désormais sacral. On lui doit aussi l’élaboration d’une écriture, adaptée d’un alphabet indien ; il y eut peut-être même quelques premiers contacts avec le bouddhisme indien et chinois. À sa mort, son œuvre fut continuée par son ministre mGar, qui en 654 procéda à un premier recensement (mkhos) de la population ; après la conquête du royaume des Tuyuhun dans le Kukunor (663), il entama une politique d’expansion en Asie centrale. Ses fils continuèrent cette politique avec beaucoup de succès ; en 670, les Tibétains achevaient la conquête du bassin du Tarim en remportant la grande victoire de Dafeichuan sur une armée chinoise. Toutefois, les mGar, qui jouaient le même rôle que les maires du palais sous les rois fainéants en France, ne purent maintenir leur position après la conquête chinoise de l’Asie centrale (692-694) et furent renversés par la noblesse, qui en 698 rétablit le pouvoir royal. L’expansion se poursuivit au siècle suivant, à l’aide d’une adroite diplomatie, qui parvint à conclure des alliances avec les Arabes du Turkestan et le royaume de Nan Zhao dans la Chine du Sud-Ouest. L’apogée de la monarchie se situe sous le règne de Khri-srong-Ide-brtsan (755-797), qui profita de l’écrasement des Chinois par les Arabes à la bataille de la rivière Talas en 751 et de la grande révolte de An Lushan pour arracher aux Chinois, en vingt-cinq ans de guerre, la plus grande partie du bassin du Tarim. De considérables portions de la Chine occidentale passèrent aussi sous la domination des Tibétains, qui en 763 s’emparèrent même pour un moment de la capitale chinoise Chang’an. Mais cette expansion finit par éveiller l’envie de ses voisins et amena la rupture avec le Nan Zhao (788) et les Arabes (789) ; l’essor de la puissance tibétaine était brisé et une sorte d’équilibre s’établit. À Khri-srong-Ide-brtsan sont dues deux mesures d’une importance capitale pour le développement de la civilisation tibétaine : la proclamation officielle du bouddhisme comme religion d’État (779) et l’adoption du bouddhisme indien après une discussion publique entre maîtres chinois et indiens (794 ?). En même temps fut mise en œuvre la traduction du canon bouddhique indien. Comme conséquence, le Tibet gravita pendant des siècles dans l’orbite culturelle (mais non politique) de l’Inde.

Cependant, le développement de l’organisation politique n’allait pas de pair avec le progrès culturel ; malgré le caractère sacré du roi, le pouvoir effectif était aux mains des ministres et de l’aristocratie, réunis deux fois par an dans des assises générales (’dun-ma). Pour trouver un appui en dehors de la noblesse et contre elle, les successeurs de Khri-srong-Ide-brtsan favorisèrent les missionnaires indiens du bouddhisme et les moines tibétains ordonnés par eux. Il s’ensuivit une tension croissante à l’intérieur, qui paralysa l’action militaire au-dehors ; en 822, le Tibet dut signer un traité de paix définitif avec la Chine, dont le texte bilingue existe toujours, gravé sur une stèle à Lhasa. La sourde lutte entre le parti bouddhiste et la plupart des nobles, partisans de la vieille religion nationale, aboutit à l’assassinat du roi bouddhiste Ral-pa-can (815-838). Son frère Glang-dar-ma (838-842) entreprit une véritable persécution de la religion indienne, mais il périt assassiné par un moine. La monarchie ne put résister à ces secousses, une guerre de succession éclata et l’institution monarchique finit par s’écrouler. Les provinces d’Asie centrale et de Chine furent perdues. Le Tibet même fut divisé entre un grand nombre de principautés rivales et l’aristocratie triompha. Les descendants de l’ancienne dynastie ne purent se maintenir que dans les royaumes occidentaux de Gu-ge (jusqu’en 1630) et du Ladakh (jusqu’en 1841), ainsi que dans le domaine semi-autonome des chefs de Lha-rgya-ri (jusqu’en 1959).
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MessageSujet: Re: Histoire du Tibet   Histoire du Tibet EmptyVen 1 Mai - 23:28

L’émiettement médiéval

La période qui s’étend de 850 à 1050 est fort obscure. On a peu de renseignements sur l’histoire politique. On est mieux informé sur les événements religieux. Le bouddhisme, persécuté et presque annihilé, reprit lentement pied dans le Tibet central, grâce à l’activité de Bla-chen-po (892-975) et de Klu-mes (env. 950-1025) ; c’était toujours l’école bouddhiste du temps de Khri-srong-Ide-brtsan, celle dont les adeptes furent appelés plus tard les Anciens (rNying-mapa). Une deuxième vague de pénétration se produisit au XIe siècle, puissamment soutenue par les rois de Gu-ge, qui espéraient peut-être étendre ainsi leur influence politique. Cet espoir fut déçu, mais la « deuxième diffusion de la Loi » eut une influence capitale sur les fondements mêmes de la vie politique du pays ; dès lors, l’histoire du Tibet fut surtout l’histoire de l’église bouddhiste au Tibet. La plupart de ses écoles apparurent aux XIe et XIIe siècles, chacune d’elles étant organisée par de grands monastères, enrichis par de considérables donations de terre. Comme de droit, cette importance religieuse et économique croissante impliquait une influence politique. À côté de la noblesse, qui possédait de grands domaines, les monastères devinrent des centres de pouvoir, dont les nobles recherchaient l’alliance au cours de leurs querelles incessantes. Jusqu’en 1950, les deux pôles de l’histoire tibétaine furent l’aristocratie et les couvents.

Dans cette société complexe et dans un pays où le pouvoir politique était pulvérisé, aucun centre de rassemblement ne pouvait se former spontanément. Si une ébauche d’unification se dessina, ce fut seulement sous la pression de l’étranger. Dans la première moitié du XIIIe siècle, les Mongols de Gengis khan et de ses successeurs, devenus maîtres de toute l’Asie centrale, s’intéressèrent au Tibet. Pour prévenir une invasion qui s’annonçait désastreuse, les nobles et les abbés des grands monastères chargèrent le Sa-skya Pandita (1182-1251), chef d’une des sectes les plus influentes, de traiter avec les Mongols. Sa-skya Pandita conclut en effet un accord par lequel le Tibet reconnaissait la suzeraineté mongole ; en même temps, il en profita adroitement pour se faire nommer représentant du Grand Khan au Tibet. En pratique, les abbés de Sa-skya, dont la dignité était héréditaire dans la famille ’Khon, devinrent les chefs reconnus du pays, au moins dans le Tibet central. La suzeraineté des Mongols de Chine (dynastie Yuan) fut d’abord effective, mais ne pesa pas lourdement. Le neveu de Sa-skya Pandita, ’Phags-pa (1235-1280), était un favori de Qubilai khan, pour lequel il créa un alphabet mongol dérivé de l’écriture tibétaine. L’empereur lui octroya formellement le pouvoir temporel sur les treize districts du Tibet central (1275), créant ainsi le premier gouvernement théocratique du pays. Le contrôle impérial resta d’abord assez étroit, et les recensements de 1268 et de 1287 en donnèrent la mesure. Mais, après la mort de Qubilai, l’emprise mongole se relâcha lentement.

Au milieu du XIVe siècle, quand il fut désormais clair que les Yuan étaient ébranlés par l’opposition nationale chinoise, l’aristocratie tibétaine se dressa contre la domination des Sa-skya ; à la tête du mouvement était la famille rLangs du couvent de Phag-mo-gru. En peu de temps, rLangs Byang-chub rGyal-mtshan (1302-1373) étendit son pouvoir sur tout le Tibet central. Il se réclamait des traditions de l’ancienne monarchie et il donna au pays une organisation nouvelle en le divisant en districts administratifs (rdzong) qui ne tenaient guère compte des domaines de l’aristocratie. Mais l’hérédité de leur fonction, accordée peu après aux gouverneurs (rdzong-dpon), rendit vaine cette ébauche de centralisation et aboutit simplement à la création d’une nouvelle aristocratie à la place de l’ancienne. Les Phag-mo-gru-pa cherchèrent un appui auprès de la nouvelle dynastie chinoise des Ming. Cependant, quoique affectant de maintenir les droits de suzeraineté jadis détenus par les Mongols et en octroyant des titres sonores à huit chefs de secte ou de sous-secte, les Ming n’intervinrent jamais directement au Tibet.

Le pouvoir des Phag-mo-gru ne survécut pas longtemps à Byang-chub rGyal-mtshan ; après une courte renaissance des Sa-skya-pa, il passa aux mains des princes de Rin-spungs (env. 1435), dont l’autorité ne s’exerça jamais au-delà des limites de la province du gTsang. Entre-temps, la réforme de Tsong-kha-pa avait abouti à la formation de la secte des dGe-lugs-pa. Dotés d’une organisation solide et d’une discipline rigoureuse, dirigés par des chefs non pas héréditaires mais qui se succédaient par incarnation, les Bonnets jaunes (comme les appellent les Chinois et les Européens) se tinrent longtemps à l’écart des compétitions politiques. Ce n’est qu’après la fin du XVe siècle qu’ils entrèrent dans l’arène, et bientôt la lutte resta limitée aux dGe-lugs-pa et à la secte rouge des Karma-pa ; cette dernière était soutenue par les princes de gZhis-ka-rtse (Shigatse), qui en 1565 avaient remplacé les princes de Rin-spungs dans le gTsang. Le troisième rGyal-ba Rin-po-che, chef suprême des Jaunes, ne put surmonter cette opposition et finit par chercher un appui en dehors du Tibet. Il le trouva chez le prince mongol Altan-khan, qui, en 1578, lui décerna le titre mongol de dalai-lama, titre sous lequel lui et ses successeurs furent désormais connus, surtout à l’étranger. Toutefois, les interventions mongoles ne firent d’abord qu’accroître la confusion, et les dGe-lugs-pa connurent des situations très difficiles. Les choses ne changèrent qu’avec le cinquième dalai-lama, Ngag-dbang-blobzang-rgya-mtsho (1617-1682), que les Tibétains appellent à juste titre le Grand Cinquième. Après quelques expéditions sans effet des Khalkha, il trouva un protecteur efficace en Gushri khan, le chef des Mongols Qoshot (Khosut) qui venaient d’immigrer dans le Kukunor. En 1640-1641, Gushri khan détruisit la puissance du prince de Be-ri au Tibet oriental, dernier défenseur de la religion Bon-po. L’année suivante, il entra dans le Tibet central, défit le prince de gTsang et conquit toute la région, dont il fit donation au dalai-lama en se réservant la souveraineté militaire. Ainsi naquit en 1642 le pouvoir temporel des dalai-lamas.

Dalai-lamas, Qoshot et aristocratie

À cette époque, on ne concevait pas encore que le dalai-lama pût s’occuper de questions administratives ; en conséquence, il délégua ses pouvoirs à un régent (sde-srid), nommé d’abord par le khan Qoshot, mais bientôt par le dalai-lama lui-même. Comme les Qoshot, nomades, vivaient sous la tente au nord de Lhasa qu’ils visitaient rarement, le pouvoir effectif du dalai-lama ne fit que croître. Les sectes rouges, qui ne subirent pourtant pas de persécutions (à l’exception des Jo-nang-pa), furent rigoureusement exclues de la vie politique, qui était entièrement aux mains des Jaunes. Le dalai-lama accorda à son vieux maître, l’abbé de Tashilhunpo, le titre de Pan-chen Rin-po-che, en faisant de lui son pair dans le domaine spirituel ; mais il était considéré comme étant trop au-dessus des questions mondaines pour s’en occuper. Les Pan-chen, s’ils essayèrent de temps en temps de jouer un rôle politique, restèrent en définitive toujours confinés au domaine religieux. Les relations avec l’étranger devinrent plus fréquentes ; en 1651-1653, le dalai-lama se rendit en Chine, accueilli par l’empereur avec beaucoup de déférence.

En 1679, le Grand Cinquième, fatigué et vieilli, céda tous ses pouvoirs au régent Sangs-rgyas-rgya-mtsho et se retira pour s’adonner à la contemplation mystique jusqu’à sa mort.

Le régent était une figure marquante, écrivain de talent et homme d’État rusé et énergique. Il sut maintenir une neutralité difficile entre les Dzungar (qu’il favorisait au fond) et l’empereur mandchou Kangxi. Avec la guerre de 1681-1684, il enleva le Tibet occidental au Ladakh. En même temps, il découvrait et éduquait en secret le sixième dalai-lama, tout en prétendant que le cinquième dalai-lama vivait encore dans sa retraite ; en 1697 seulement, il dut renoncer à cette fiction et proclamer le nouveau pontife.

La situation changea quand, en 1702, un nouveau chef Qoshot, Lajang khan, entreprit de relever son autorité, qui était devenue presque nominale. Sangs-rgyas-rgya-mtsho fut mis à mort, le dalai-lama déclaré illégitime et envoyé en Chine ; il mourut en route (1706). Un dalai-lama fantoche installé par Lajang khan eut peu de partisans, et un prétendant fut reconnu et protégé par les Mongols du Kukunor. Les Dzungar profitèrent de la querelle pour envoyer un petit corps d’armée qui en 1717 tua Lajang khan et s’empara de Lhasa. La réponse de l’empereur Kangxi fut immédiate : en 1720, les forces impériales entraient à Lhasa en amenant le jeune prétendant du Kukunor.

Le septième dalai-lama ne fut pas rétabli dans le pouvoir temporel et le gouvernement fut confié d’abord à un Conseil d’État composé des chefs de la haute aristocratie. Paralysé par ses discordes internes, ce régime s’écroula en 1727 quand son président fut assassiné par les membres du Conseil. De la guerre civile acharnée qui s’ensuivit sortit victorieux un noble du gTsang, Pho-lha-nas bSod-nams-stobs-rgyas (1689-1747), qui châtia les meurtriers et devint souverain du Tibet avec le titre chinois de wang (prince ou roi) et l’appui de l’empereur ; le dalai-lama fut exilé pendant cinq ans au Tibet oriental. Pho-lha-nas donna au Tibet presque vingt ans de paix et de bien-être. Cependant, cette résurrection de la monarchie laïque n’avait pas de racine dans le pays et ne put se consolider ; en 1750, le successeur de Pho-lha-nas, qui intriguait contre la Chine, fut tué par les résidents impériaux (ambans), qui tombèrent à leur tour massacrés par la foule ameutée. Le dalai-lama rétablit l’ordre, et une commission impériale, qui arriva à Lhasa peu après, réorganisa le gouvernement en lui donnant la forme qu’il garda jusqu’à 1912. Les dalai-lamas redevinrent les chefs de l’État ; un régent, choisi parmi un nombre très restreint d’abbés de grands monastères, gouvernait pendant la minorité du dalai-lama. Un conseil de quatre ministres (bka’blon), trois séculiers et un moine, représentant les intérêts de l’aristocratie, aidaient le dalai-lama ou le régent. Le gouvernement tibétain jouissait d’une large autonomie, les ambans se limitant à le surveiller et à informer l’empereur.

Cet équilibre, assez bien conçu entre les facteurs principaux de la vie locale, se maintint pendant quelque quarante ans, mais ne résista pas à la crise sérieuse qui éclata en 1788. Les Gorkha, maîtres du Népal depuis 1768-1769, entrèrent en conflit avec Lhasa pour des raisons surtout économiques et financières. Un commissaire impérial corrompu, d’accord avec les bka’blon, acheta la retraite des forces gorkha en promettant un tribut, dont la première annuité seule fut payée. En 1791, nouvelle invasion gorkha et sac du couvent de Tashilhunpo. Alors l’empereur Qianlong intervint ; une armée impériale, commandée par le général Fukang’an, refoula les Népalais jusqu’aux portes de Kathmandu et les obligea à signer la paix. En cette occasion, le contrôle chinois sur le gouvernement tibétain fut resserré et les ambans reçurent le droit d’intervenir dans les détails de l’administration. Les réincarnations des dalai-lamas et d’autres grands lamas devaient être choisies en tirant au sort le nom d’un candidat sur trois, en présence des ambans. La réservation d’un siège de bka’blon pour les lamas fut abolie, tandis que le cercle des grandes familles, parmi lesquelles les ministres étaient choisis, fut considérablement élargi. Ces réformes avaient pour but de diminuer le pouvoir du clergé en faveur de l’aristocratie et des représentants impériaux.

Dalai-lamas enfants et suzeraineté chinoise


Somme toute, le XIXe siècle fut une période de calme et de stagnation. Les dalai-lamas devaient recevoir les pleins pouvoirs à l’âge de dix-huit ans ; mais ils n’atteignaient pas cet âge, ou bien mouraient après quelques mois d’un règne nominal. Ainsi le Tibet était gouverné en permanence par les régents. La figure la plus marquante parmi ces princes de l’Église est peut-être celle de Samati Pakshi (1792-1854), qui gouverna le pays de 1819 à 1844. Il déjoua la tentative que fit Gulab Singh, raja de Jammu et maître depuis peu du Ladakh, de conquérir le Tibet occidental (1841) ; une contre-invasion tibétaine au Ladakh échoua misérablement, après quoi le statu quo fut rétabli. Ce mince succès de Samati Pakshi et la longue durée de son gouvernement réveillèrent les jalousies des nobles, qui se plaignirent à Pékin ; le régent fut déposé et exilé par le commissaire impérial Qishan.

Un autre événement marquant fut la deuxième guerre népalaise (1854-1856) ; la paix imposait au Tibet un tribut annuel et accordait des privilèges d’exterritorialité aux sujets népalais résidant à Lhasa. À cette époque, le personnage principal était le bka’-blon bShad-sgra dBang-phyug-rgyal-po. En 1858, le régent le destitua et l’exila ; mais il fut vengé en 1862 quand le régent, incompétent et corrompu, fut renversé par une émeute des moines de Se-ra. bShad-sgra prit sa place et fut le seul régent séculier de la période qui s’étend de 1750 à 1950. Assez énergique, il organisa une petite armée qui mata la révolte antichinoise du Nyag-rong au Tibet oriental ; l’empereur en confia l’administration au gouvernement de Lhasa. Mais bShad-sgra, déjà vieux au temps de sa prise de pouvoir, mourut en 1864, avant la conclusion de la campagne. Après lui, on revint aux régences ecclésiastiques.

En 1871, un moine ambitieux, dPal-Idan-don-grub, essaya de s’emparer du pouvoir, mais fut écrasé par les ambans, qui retrouvèrent un sursaut d’énergie. Cependant, leur influence déclinait lentement depuis que les guerres contre les Anglais et les Français ainsi que la révolte des Taiping avaient sapé la force de l’Empire. Après 1871, les signes de faiblesse se multiplièrent. Le treizième dalai-lama , Thub-bstan-rgya-mtsho (1876-1933), fut choisi sans tirage au sort. En 1877, le poste de bka’blon lama fut rétabli. En même temps se formait une sorte d’Assemblée nationale (tshogs-’dus), non officielle et non permanente, composée surtout de membres du haut clergé ; elle était influente dans les moments de crise. Le treizième dalai-lama prit le pouvoir en 1895, et une tentative de l’ex-régent de le remettre sous tutelle se solda par la mort de celui-ci en prison (1899). Le clergé devenait à nouveau le vrai maître du Tibet, tout en ménageant la position de l’aristocratie.

Le Tibet entre l’Angleterre et la Chine

Depuis 1792, le Tibet s’était hermétiquement fermé aux étrangers, le clergé et le gouvernement impérial étant d’accord pour mener cette politique. Mais elle se heurtait de plus en plus à l’expansion anglaise ; pour les vice-rois de l’Inde britannique, qui se méfiaient des intrigues russes en Asie centrale, le Tibet était le glacis de la forteresse indienne et ils croyaient ne pouvoir s’en désintéresser. En 1861, ils imposèrent au Sikkim leur protectorat, que la Chine reconnut en 1890 après quelques escarmouches de frontière. Un accord commercial conclu en 1893 resta lettre morte, parce que le gouvernement tibétain ignora simplement son existence. Les ambans avaient perdu presque toute leur autorité. Plusieurs avances anglaises pour nouer des relations au moins commerciales restèrent sans réponse. En 1903, le vice-roi lord Curzon, le dernier des grands proconsuls anglais aux Indes, envoya à la frontière une mission dirigée par le colonel Younghusband, qui eut raison par la force de l’opposition tibétaine. Le 3 août 1904, les troupes anglaises entraient à Lhasa, que le dalai-lama avait quitté pour se réfugier en Mongolie. Les autorités tibétaines durent signer un traité qui ouvrait certains points de la frontière au commerce indien ; des agents de commerce anglais étaient placés à Gyantse et à Gartok, et le Tibet payait une indemnité. C’était la défaite, mais en même temps la reconnaissance d’un gouvernement tibétain sujet de droit international.

Cette tendance à l’élimination de la suzeraineté chinoise subit un brusque coup d’arrêt. La Chine, que Curzon et les Tibétains avaient affecté d’ignorer, sut s’insérer dans la question en traitant directement avec Londres, qui du reste avait subi plus qu’approuvé l’action agressive de Curzon. La convention de Pékin de 1906 confirmait l’accord anglo-tibétain, mais reconnaissait la suzeraineté chinoise et la fermeture du Tibet, tandis que l’accord russo-anglais de 1907 éliminait tout souci relatif à la sécurité de la frontière himalayenne. Ce fut la Chine qui récolta les fruits de la mission Younghusband. Entre-temps, le dalai-lama était resté en Mongolie ; en 1908, il se rendit à Pékin, où il fut reçu par l’empereur et l’impératrice mère ; à la fin de 1909, il rentrait à Lhasa. C’est alors que la dynastie mandchoue, déjà chancelante, tenta d’obtenir un succès éclatant à bon marché en établissant son contrôle sur le Tibet. La majeure partie du Tibet oriental fut placée sous l’administration chinoise directe. Un corps expéditionnaire marcha sur Lhasa, qu’il occupa en février 1910 ; le dalai-lama s’était enfui en Inde, où il resta comme hôte du gouvernement britannique. La situation changea soudainement avec la révolution chinoise et la chute de l’Empire. La garnison chinoise de Lhasa se révolta, fut battue par les Tibétains, capitula et fut rapatriée par la voie de l’Inde (1912). Le dalai-lama rentra dans sa capitale, où les partisans de la Chine furent durement châtiés.

Le Tibet avait gagné une indépendance de facto complète, bien que la fiction de la suzeraineté chinoise subsistât toujours en droit international. L’Angleterre essaya de régulariser la situation à la conférence tripartite de Simla ; mais l’accord de 1914, qui reconnaissait l’autonomie presque totale du Tibet central, ne fut jamais ratifié par la Chine. Il constitua cependant le fondement des relations anglo-tibétaines jusqu’en 1947. Les rapports avec la Chine restèrent longtemps hostiles ; l’autorité du dalai-lama était reconnue dans des zones de plus en plus étendues du Tibet oriental, à la faveur de l’anarchie qui sévissait en Chine. Quand le gouverneur de la province du Sichuan essaya de contenir l’expansion tibétaine, il fut battu et refoulé jusqu’à ses bases de départ (1917-1919). Le besoin en armes et en munitions qu’entraîna cette guerre incita le dalai-lama à se tourner encore davantage vers la Grande-Bretagne ; en 1920-1921, il reçut avec éclat la mission de sir Charles Bell ; mais l’aide promise se réduisit à peu de chose, la Grande-Bretagne ne voulant pas prendre d’engagements sérieux. Quant au dalai-lama, il ne désirait que les moyens nécessaires à l’entretien d’une petite armée semi-moderne destinée à tenir les Chinois en échec. Mais la collecte des fonds rencontra une sourde opposition ; le pan-chen lama refusa toute contribution et s’enfuit en Chine (1923), où il mourut quatorze ans plus tard. Quand en 1925 les officiers de l’armée essayèrent timidement de se soustraire au contrôle du clergé, ils se heurtèrent à une fin de non-recevoir et plusieurs unités furent dissoutes ; dès lors, le dalai-lama cessa de s’intéresser aux questions militaires. Dans ses dernières années, il devint plus conservateur et s’opposa à toute réforme ; il prit ses distances à l’égard de la Grande-Bretagne et essaya de pratiquer une politique d’équilibre malgré le conflit de 1932-1933 sur la frontière chinoise. Homme de bon sens sinon de talent, le treizième dalai-lama donna ses dernières années de paix au vieux Tibet ; il semblait être un vestige du Moyen Âge resté vivant comme par miracle, en dehors du temps et de l’espace. Mais sa mort, en décembre 1933, marqua le déclin de cette période.
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ཌརུཁདཇིགམེ




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MessageSujet: Re: Histoire du Tibet   Histoire du Tibet EmptyVen 1 Mai - 23:28

La fin du vieux Tibet

L’Assemblée nationale, selon l’indication du pontife mort, nomma comme régent le jeune incarné de Rva-sgreng. Sa tâche principale était la recherche de la nouvelle incarnation ; recherche qui fut laborieuse et marquée par les pressions opposées de la Chine et de l’Angleterre (missions du général Huang Musong et de sir Basil Gould) ; ce n’est qu’en février 1940 qu’il fut possible de proclamer formellement le quatorzième dalai-lama , bsTan-’dzin-rgya-mtsho (Tenzin Gyatso), né en 1935. Mais peu après, le régent, que les vieux moines soupçonnaient d’être payé par la Chine et de songer à des réformes, fut déposé et remplacé par l’incarné de sTag-brag (févr. 1941). Le nouveau régent maintint la neutralité du pays durant la Seconde Guerre mondiale, tandis que le commerce tibétain (exportation de laine, de soude, de borax, etc.) connaissait un essor extraordinaire.

Mais, après 1945, l’équilibre délicat sur lequel reposait l’indépendance tibétaine s’effondra complètement. En 1947, les Anglais quittaient l’Inde et, en 1949 naquit la république populaire de Chine ; or, depuis longtemps, les communistes chinois avaient déclaré qu’ils considéraient le Tibet comme partie intégrante de la Chine et les Tibétains comme l’une des cinq nationalités de la république. L’action diplomatique de l’inexpérimenté gouvernement tibétain fut faible et ne remporta pas le moindre succès, malgré les missions envoyées à la dernière heure aux États-Unis et en Inde. En 1950, l’armée chinoise attaquait Chab-mdo , où les troupes tibétaines se débandèrent presque sans combattre. Ne pouvant attendre ni secours ni appui diplomatique de l’Occident ou de l’Inde, le dalai-lama, déclaré majeur au moment de la crise, dut traiter avec la Chine, tout en se réfugiant à Yatung, sur la frontière indienne. Une mission tibétaine arriva à Pékin et y conclut l’accord du 23 mai 1951 : le Tibet était intégré dans la république populaire de Chine, qui assumait le contrôle de l’armée, des finances, de l’éducation et du développement économique et industriel, et garantissait le maintien des droits et de la dignité du dalai-lama, ainsi que le respect de la religion et des monastères. L’armée chinoise entra à Lhasa ; le dalai-lama et le pan-chen lama, dont l’incarnation avait été retrouvée en Chine occidentale, y retournèrent.

Dans un premier temps, le compromis, que les deux parties s’efforçaient d’observer loyalement, fonctionna assez bien. Des réformes étaient inévitables, et les premières propositions furent même faites par le dalai-lama, qui abolit la corvée (’u-lag) et les dettes agraires et présenta un projet de redistribution graduelle des terres ; les Chinois, quant à eux, prônaient surtout les avantages de la science, de la technique et de l’éducation modernes. Ils lancèrent tout de suite un grand programme de construction routière, et dès 1954 le Tibet était relié à la Chine par les grandes routes du Sichuan à Lhasa et de Xining à Lhasa. Cette période de collaboration fut à son apogée lors de la longue visite que firent le dalai-lama et le pan-chen lama à Pékin en 1954-1955.

Toutes ces nouveautés, et en particulier l’idéologie marxiste, heurtaient la mentalité des paysans et surtout les moines, à qui la nouvelle éducation ôtait le contrôle de la jeunesse ; une résistance passive se dessina, puis, en 1956, les premières actions de guérilla eurent lieu au Tibet oriental. Le gouvernement de Pékin réagit, d’une part en appliquant des mesures de répression, d’autre part en déclarant que les réformes étaient suspendues. Mais la situation devenait de plus en plus troublée, une psychose de crainte se répandait, des bandes partisanes anticommunistes firent leur apparition même dans le Tibet central. La tension aboutit à une catastrophe. En mars 1959, une invitation du commandant de la garnison au dalai-lama à se rendre à une représentation théâtrale dans les casernes chinoises fut interprétée comme une tentative de se saisir de sa personne. Une grande foule entoura le palais du dalai-lama (le Nor-bu-gling-kha), tandis que les bataillons tibétains de l’armée chinoise faisaient défection. Sur l’avis des bka’blon et des chefs du clergé, le dalai-lama quitta le palais en cachette (17 mars) et s’enfuit en Inde, accueilli avec honneur par le gouvernement indien, qui lui assigna une résidence à Dharamsala. Après son départ, le conflit éclata ouvertement à Lhasa, mais l’artillerie chinoise maîtrisa bientôt la résistance tibétaine. La guérilla dans le Sud ne put se maintenir et fut réprimée par des troupes fraîches arrivées de Chine. La plupart des membres de la noblesse et du haut clergé, ainsi qu’un bon nombre de marchands et de paysans, s’enfuirent en Inde.

L’émigration de presque toute l’ancienne classe dirigeante facilita la tâche aux Chinois. Le gouvernement tibétain traditionnel fut aboli. Un programme radical de réformes agraires confisqua la terre de la noblesse et des monastères. De nombreux immigrants chinois s’établirent au Tibet. Les vieilles positions commerciales gagnées en 1904 par les Anglais et dont l’Inde avait hérité disparurent quand le dernier accord commercial expira en 1962. La question des frontières, la ligne Mac-Mahon de 1914 n’étant pas reconnue par la Chine, n’avait fait que s’envenimer ; en automne 1962, les forces chinoises déclenchèrent une campagne foudroyante qui les conduisit presque à la plaine du Brahmapoutre, mais, peu après, elles se retirèrent spontanément. Depuis lors, la question est restée ouverte, mais aucun engagement sérieux ne s’est produit.

La Région autonome du Tibet, dans le cadre de la république populaire de Chine, fut inaugurée officiellement le 9 septembre 1965, sous la présidence du pan-chen lama ; elle ne comprend que le Tibet central et occidental, le Tibet oriental et nord-oriental faisant partie des provinces chinoises du Xikang et du Qinghai.

La révolution culturelle, déclenchée en Chine à la fin de 1966, s’est traduite à Lhasa par une violente action anticléricale des gardes rouges ; les monastères ont été envahis, beaucoup d’images et de textes sacrés détruits, les moines employés à des activités productives. En février 1967, le pan-chen lama, qui s’opposait à ce que les moines abandonnent l’état religieux, fut déposé et placé dans un camp de travail. Depuis lors, la situation a perdu son caractère aigu ; mais il est incontestable qu’on est en train d’assister au Tibet à la disparition rapide de la civilisation traditionnelle.

L’emprise chinoise et les transformations économiques

Les réformes socialistes qui furent entreprises au Tibet dès 1952 se heurtèrent rapidement à l’opposition du clergé tout-puissant, puis d’une partie de la population, et aboutirent à la rébellion armée de 1956-1959. Les Chinois ayant repris la situation en main, c’est alors, en un premier temps, l’abolition du servage et la réduction du loyer des terres, tandis que les biens des propriétaires et des monastères qui ont participé au soulèvement sont confisqués et confiés aux pasteurs et aux agriculteurs organisés en associations. On procède, en une deuxième étape, à une redistribution générale des terres, qui touche, en avril 1961, la quasi-totalité de la paysannerie. Celle-ci est ensuite organisée, de même qu’en Chine en 1952-1954, en équipes d’entraide, qui seront 22 000 en 1964 (dont 20 p. 100 d’équipes permanentes) regroupant 160 000 familles (sur 180 000 familles paysannes).

Parallèlement, les autorités chinoises s’efforcent de développer et de moderniser l’économie agricole du pays : implantations de fermes expérimentales qui introduisent des cultures nouvelles (blé, maïs, lin, tabac), défrichements.Les surfaces cultivées, essentiellement dans la vallée du Yarlungzangbo, sont passées de 160 000 hectares dans les années 1950 à plus de 220 000 hectares à la fin des années 1980, dont un peu plus de la moitié seraient irrigués ; on y cultive essentiellement de l’orge, du blé et du colza. Les pâturages occupent près de 20 p. 100 de la superficie de la région, où l’on élève quelque 5 000 000 de yacks, 5 800 000 caprins et près de 12 000 000 de moutons (et aussi des chevaux et des ânes).

C’est aussi la naissance de l’industrie au Tibet : un gisement de charbon (près d’un million de tonnes de réserves) est mis en exploitation, trente stations hydro-électriques sont édifiées, dont la plus importante, située en amont de Lhasa, a permis l’électrification de la capitale et de sa région. Les principales entreprises étaient implantées à Lhasa (cimenteries, verreries, ateliers mécaniques, lait en poudre, etc.), dont la population atteint 150 000 habitants en 1995.

Mais il s’est agi d’abord, et surtout, de désenclaver le Tibet, impératif d’ordre stratégique autant qu’économique, par l’édification de grands axes routiers dont les principaux sont la voie reliant le Sichuan à Lhasa (2 413 km), celle qui va du Qinghai à Shigatse (2 200 km) et celle qui du Xinjiang rejoint la vallée du Yarlungzanbo. En 1994, le réseau de voies carrossables du Tibet mesurait plus de 20 000 km et comportait cinq axes principaux : Sichuan-Tibet, Qinghai-Tibet, Xinjiang-Tibet, Yunnan-Tibet, Tibet-Népal ; en outre Lhasa a été dotée d’un aéroport civil assurant les liaisons avec Pékin, Chengdu (Sichuan), Xi’an (Shaanxi) et Katmandu (Népal).

L’ouverture de la Chine et la question du Tibet

L’ouverture de la Chine, à la fin des années 1970, et sa nouvelle orientation politique et économique conduisent les « nouvelles » autorités de ce pays à reconsidérer l’état du Tibet, où les effets de la révolution culturelle ont été particulièrement désastreux. Ainsi, au printemps de 1980, le Comité central du Parti communiste chinois publie-t-il un ensemble de directives pour la mise en œuvre d’une nouvelle politique au Tibet et, peu après, le secrétaire général du P.C.C., Hu Yaobang, et le vice-Premier ministre, Wan Li, vont s’y rendre en personne pour prendre la mesure des problèmes, fait sans précédent. Il en est résulté, notamment, la promulgation de « six mesures importantes » destinées à donner quelque contenu réel au statut d’« autonomie régionale » et à remédier quelque peu à la grande misère du Tibet ; il s’agit, en particulier, de constituer une Assemblée populaire régionale à majorité tibétaine, de « rétablir et développer vigoureusement la culture, l’éducation et la science du Tibet » et d’apporter une aide économique substantielle :

– exemption d’impôts sur quatre ans ;

– crédit de 3 millions de yuan pour le remboursement des propriétaires de domaines et de troupeaux confisqués au cours des décennies passées ;

– versement, par l’État, d’un crédit de plus de 1 milliard de yuan pour 1980 et 1981, en augmentation de 10 p. 100 au cours des années suivantes, qui représente plus de 90 p. 100 du budget de la région autonome du Tibet, cas exceptionnel dans l’organisation régionale de la Chine.

Mais le fait le plus marquant du début des années 1980 est l’ouverture du Tibet, en 1984, au tourisme international, Lhasa étant promue au rang de « nouvelle frontière » ; une telle ouverture n’allait pas sans risques, compte tenu du contexte, et effectivement la situation va rapidement évoluer à la faveur des contacts divers intervenant, pour la première fois depuis plus de trente-cinq ans, entre la population tibétaine et des visiteurs occidentaux, en particulier américains. Ainsi, en juin 1987, le Congrès américain adopte un texte sur « les violations des droits de l’homme au Tibet par la république populaire de Chine », texte qui réclame notamment l’ouverture d’une enquête, qui invite Pékin à entamer le dialogue avec le dalai-lama et qui envisage des mesures d’aide aux réfugiés tibétains. Le 24 septembre suivant, Radio-Lhasa annonce l’exécution de deux Tibétains accusés de meurtre, mais considérés par leurs compatriotes comme des martyrs ayant milité pour l’indépendance du Tibet ; dès lors les événements vont se précipiter : le 27 septembre, des moines du célèbre monastère Jokhang défilent dans les rues de Lhasa pour protester contre ces exécutions, et deux douzaines d’entre eux sont arrêtés ; le 1er octobre (jour anniversaire de la fondation de la République populaire), plusieurs milliers de Tibétains manifestent dans les rues de Lhasa en brandissant une bannière qui revendique l’indépendance du Tibet, attaquant un commissariat et incendiant des bâtiments officiels ; six manifestants auraient été tués par les forces armées chinoises. Le Tibet est fermé au tourisme le 2 octobre et, le 5, des renforts de police chinois cernent les principaux monastères et procèdent à de nouvelles arrestations de moines ; le lendemain, une grande manifestation demande leur libération et soixante moines sont encore arrêtés. Après l’expulsion des journalistes étrangers le 11 octobre, l’ordre règne à Lhasa à partir du 15 octobre, mais le climat y reste excessivement tendu. Cependant le problème tibétain demeure ; la communauté internationale n’y est pas insensible, comme en témoigne la remise du prix Nobel de la paix au dalai-lama le 5 octobre 1989.

Ce dernier préconise, en février 1994, une fédération entre la Chine et un Tibet doté d’une réelle autonomie, proposition vigoureusement rejetée par Pékin, qui doit faire face, peu après (déc. 1994-mars 1995), à une série de manifestations indépendantistes à Lhasa. Les rapports vont s’envenimer quand, en mai 1995, le dalai-lama annonce avoir identifié la réincarnation du dixième panchen-lama, un garçon de six ans, qui sera aussitôt placé avec sa famille en résidence surveillée à Pékin ; le 29 novembre 1995, les autorités chinoises en font reconnaître un autre... Le 25 décembre 1996, une bombe de forte puissance explose près du siège du gouvernement régional à Lhasa...

Dans le même temps, l’emprise économique chinoise au Tibet se développe : par des implantations industrielles qui totalisent quelque trois cents entreprises en 1993 (notamment tanneries, usines de lait en poudre, filatures et tissages de laine, fabriques de matériaux de construction) et une trentaine d’entreprises à capitaux mixtes, dont les premières sont une fabrique de tapis, à capitaux népalais, et une brasserie allemande ; par l’exploitation minière, surtout depuis 1995, année de l’ouverture de la plus grande mine de chrome de Chine dans la préfecture de Shannan et du plus riche filon d’or, à l’est de Lhasa ; des prospections pétrolières seraient même en cours sur le piedmont himalayen ; par des flux migratoires attirés par le mirage de l’or et de l’aventure, et venus surtout du Sichuan voisin, mais aussi déplacés de Chine orientale pour affectation administrative ou autre (les militaires seraient au nombre de 50 000) ; ainsi Lhasa compterait déjà quelque 100 000 Chinois han pour 140 000 Tibétains.
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MessageSujet: Re: Histoire du Tibet   Histoire du Tibet EmptyVen 1 Mai - 23:29

3. Religion et littérature

Croyances religieuses prébouddhiques

Signification du Bon

Ce que l’on sait des croyances religieuses prébouddhiques au Tibet se limite aux références contenues dans la littérature postérieure et à l’existence de croyances et de pratiques antérieures au bouddhisme, qui, au cours des siècles, n’ont cessé de faire partie de la religion tibétaine générale. La tradition bouddhique postérieure désigne toute croyance, toute pratique religieuse non bouddhique au Tibet sous le nom de Bon, terme probablement apparenté au nom tibétain du Tibet, Bod, et qui pourrait signifier « indigène ». Des érudits modernes ont généralement admis sans critique que Bon désignait la religion prébouddhique, mais en fait le terme de Bon est employé à la période la plus ancienne, dans l’acception exclusive de « prêtre », sans doute spécifiquement un prêtre qui invoque (du verbe ’bod-pa : appeler). Il a donc pu y avoir confusion entre deux termes d’origines différentes. Le terme authentique pour désigner la religion prébouddhique au Tibet est lha-chos, qui signifie « choses sacrées », et il semble avoir englobé tout un éventail de croyances. Comme les plus anciens documents écrits étaient établis sous les auspices de la cour royale, on a l’impression que les croyances les plus importantes étaient organisées autour du roi lui-même, être divin. Celui-ci porte le titre de Fils divin (Lha-sras), et l’on croyait qu’à une époque mythique antérieure le roi était véritablement descendu des cieux par une corde sacrée et y retournait une fois révolu le temps de son existence. Une chronique royale primitive relate que, pour un certain roi, la corde sacrée fut coupée et que depuis lors les rois ont leur sépulture sur la terre.

Les tombes royales

Dans la vallée du Yar-lung proche de Lhasa, résidence traditionnelle de la dynastie royale qui régna dans cette ville à partir du VIIe siècle, se dresse un groupe de dix tumulus qui sont en fait les tombes de huit rois et de deux princes. Elles ont été pillées il y a longtemps et, jusqu’à présent, n’ont pas fait l’objet de fouilles, mais des inscriptions en pierre ont permis des identifications. Il est vraisemblable qu’autrefois les compagnons du roi ont été mis à mort et ensevelis avec lui dans sa tombe avec certains de ses biens de prédilection. À une période plus tardive, ils ne furent plus tués, mais demeuraient attachés à la tombe dont ils étaient les gardiens, rituellement coupés de la vie quotidienne et vivant des offrandes substantielles apportées à la tombe lors des fêtes régulières, pendant lesquelles les pseudo-morts se dissimulaient. Si des hommes ou des animaux approchaient de la tombe à d’autres moments, les gardiens pouvaient s’en emparer et en faire leurs serfs et leur propriété. On célébrait des rites compliqués dont des prêtres appelés Bon (invocateurs) et gShen (sacrificateurs) étaient les protagonistes. Une description ancienne d’une cérémonie funéraire royale au cours de laquelle on sacrifiait sûrement des animaux a été conservée.

Les dieux locaux

La religion primitive concernait également les relations avec les dieux et démons locaux, qui intervenaient continuellement dans les affaires des hommes. Les prêtres assumaient aussi la responsabilité de découvrir par des sortilèges ou des calculs astronomiques les causes des malheurs et des pertes, puis d’accomplir la cérémonie nécessaire en vue d’y remédier. Lorsque le dieu ou le démon cause du mal avait été identifié, on pouvait procéder de deux façons : soit l’amadouer par une offrande pour qu’il parte comblé, soit l’effrayer en appelant à l’aide des dieux plus puissants. Ceux-ci étaient invoqués par les liturgies traditionnelles qui rappelaient leurs origines et décrivaient leurs pouvoirs spéciaux, et il est possible que le prêtre lui-même ait personnifié le dieu particulier avec lequel il avait des liens spéciaux. Certaines montagnes étaient considérées comme sacrées, et chaque tribu pouvait avoir sa propre montagne sacrée. La montagne de la famille Yar-lung, qui devint à partir du VIe siècle la famille royale suprême du Tibet, est encore connue comme étant la montagne Yar-lha-sham-po. Des légendes plus tardives racontent comment les premiers rois du Tibet étaient descendus sur terre, précisément sur le sommet de cette montagne. En tibétain, le même mot sert à désigner la catégorie spéciale de dieux de la montagne, à savoir btsan (puissant), et le titre royal bTsan-po (le Puissant).

À l’exception des théories particulières relatives à la royauté et au culte des tombes royales, tout ce que l’on connaît des croyances et des pratiques religieuses prébouddhiques a progressivement été absorbé par le bouddhisme tibétain et constitue une partie essentielle de la religion nationale. Les yogin bouddhiques et même certains moines sont considérés comme habilités à traiter avec les dieux et les démons locaux. Le culte des dieux des montagnes et d’autres dieux amicaux censés s’être convertis à la nouvelle religion est célébré dans les temples et les monastères bouddhiques comme faisant partie des liturgies régulières. Il est important de souligner que ceux qui se nomment Bon-po ne sont pas les représentants particuliers de la religion prébouddhique, comme la plupart des autres Tibétains s’obstinent à le croire. Il s’agit d’une spécialisation tout à fait différente qui sera décrite plus loin.

Pénétration du bouddhisme

Le premier grand roi

L’introduction du bouddhisme au Tibet est attribuée au roi Srong-btsan-sgam-po, le plus illustre de la lignée royale de Yarlung ; ce souverain fit de Lhasa la capitale d’un pays puissant et unifié comprenant la majeure partie de l’Asie centrale et empiétant sur le territoire chinois. Il comptait au nombre de ses épouses une princesse népalaise et une chinoise qui sont réputées avoir apporté des images de Buddha à Lhasa, où des temples furent édifiés pour les abriter. L’un d’entre eux existe encore ; c’est le temple principal de Lhasa, le Jo-khang ; il a été reconstruit au cours des siècles, mais ses fondations remontent à la première partie du VIIe siècle. Srong-btsan-sgam-po fut reconnu par la suite dans la tradition bouddhique comme une manifestation du Grand Bodhisattva Avalokitesvara, le divin sauveur qui est un reflet du Grand Buddha de l’Ouest, Amitabha (Lumière sans borne). Les épouses chinoise et népalaise furent identifiées comme des manifestations de la Grande Déesse Tara, la « Salvatrice », dans ses émanations Verte et Blanche. Toutefois, il semble historiquement établi qu’en dépit d’un intérêt bienveillant pour la nouvelle religion Srong-btsan-sgam-po demeura attaché aux traditions de ses ancêtres et fut certainement inhumé conformément aux rites non bouddhiques. La conversion du Tibet au bouddhisme fut un processus lent et graduel, peut-être encore inachevé, qui rappelle à bien des égards la conversion de la Gaule et des îles Britanniques au christianisme. L’initiative capitale prise par Srong-btsan-sgam-po dans l’histoire de la civilisation tibétaine consista à fixer définitivement un alphabet de trente lettres et à encourager le développement du tibétain comme langue littéraire. Le mérite principal semble en revenir à un ministre du roi du nom de Thon-mi Sambhota, qui, selon certains récits, se rendit au Cachemire pour étudier les écritures indiennes disponibles et en faire une adaptation tibétaine. Désormais, il était évident que le Tibet graviterait beaucoup plus dans l’orbite culturelle de l’Inde que dans celle de la Chine ; à la fin de la dynastie Yar-lung (842), l’influence chinoise avait été en grande partie éliminée et, par la suite, aucun Tibétain ne semble s’être adonné ni à la langue ni à la littérature chinoises.

Le choix de la tradition bouddhique indienne

Il faut pourtant attendre le règne du roi Khri-srong-lde-brtsan (755-797) pour constater des progrès sensibles dans la pénétration de la nouvelle religion. Ils n’eurent certainement pas l’ampleur que la tradition bouddhique ultérieure revendique faussement. Les Annales des rois Yar-lung, qui relatent les événements royaux à partir du VIIe siècle et furent enregistrées dans leur forme actuelle au IXe siècle comme l’un des morceaux les plus anciens qui aient subsisté de la littérature tibétaine, ne font nulle allusion au bouddhisme. Dans le dernier quart du VIIIe siècle, deux célèbres maîtres indiens, Santaraksita et Kamalasila, vinrent au Tibet, le premier monastère tibétain fut fondé à bSam-yas près de Lhasa, sept Tibétains furent pour la première fois ordonnés moines bouddhiques, et une grande controverse fut finalement organisée à bSam-yas où Santaraksita débattit publiquement avec le principal champion chinois des mérites respectifs des formes indienne et chinoise du bouddhisme. Le parti indien triompha. La tradition bouddhique ultérieure, telle qu’elle fut recueillie au XIVe siècle, parle abondamment des hauts faits d’un thaumaturge bouddhique indien du nom de Padmasambhava (Né d’une fleur de lotus), qui est censé avoir établi le bouddhisme au Tibet après avoir préalablement dompté les démons locaux hostiles à la nouvelle religion. Il n’est pas fait mention de lui dans les récits antérieurs à cette tradition, qui sont fondés principalement sur des documents de la cour royale. Il est probable cependant que le bouddhisme fut propagé non seulement en vertu de quelque consécration officielle, mais aussi spontanément et à un niveau non officiel, plus populaire, par des yogin bouddhiques indiens qui pénétraient librement dans le pays. Après l’effondrement du royaume tibétain en 842 et l’oubli où sombra le bouddhisme officiel, les formes plus populaires restèrent vivantes et constituèrent un ensemble de traditions rattachées à la personne de Padmasambhava ; celui-ci fut proclamé plus tard une manière de second Buddha.

Le Bon, forme spéciale du bouddhisme

La religion connue sous le nom de Bon par ses adeptes tibétains actuels semble avoir été, à l’origine, un courant parallèle reposant sur la propagation des enseignements bouddhiques indiens populaires semblables à ceux qui sont axés sur Padmasambhava.

Dans toutes ses doctrines essentielles, le Bon est manifestement une forme de bouddhisme et ses prédicateurs les plus anciens que l’on connaisse depuis le VIIe siècle vivaient et enseignaient selon des règles analogues à celles des yogin bouddhiques. Ils se livraient sûrement à des rites magiques comme le faisaient Padmasambhava et ses adeptes. Lorsque les Bon-po du Tibet parlent du Bon, ils ne visent pas seulement les croyances religieuses prébouddhiques décrites plus haut, mais un système cohérent d’enseignements qu’ils attribuent à leur fondateur, gShen-rabs, qui vécut dans le pays de sTaggzigs, identifié vaguement comme la Perse, dans un passé lointain indéterminé. À l’examen, ces enseignements, en tout cas ceux qui sont relatifs à des pratiques religieuses supérieures, semblent être originaires du bouddhisme indien, mais, au lieu de les attribuer au Buddha indien Sakyamuni, ils les imputent à leur propre Buddha, gShen-rabs. Donc, le Bon s’avéra être une tentative intéressante et délibérée d’absorber les enseignements religieux indiens et de les combiner avec les traditions religieuses préexistantes au Tibet. En dépit d’une méprise courante de la part de ceux qui ne sont pas Bon-po le Bon est une sorte de forme nationalisée de bouddhisme tibétain, qui continua à se développer au cours des siècles en plagiant directement la littérature bouddhique et en imitant tous les aspects de la culture bouddhique. Les bouddhistes fondèrent des temples et plus tard des monastères, créèrent des ordres de moines célibataires au Tibet, développèrent leur art et leur architecture sacrés sur les modèles indiens ; les Bon-po firent de même. Il en résulte que toute étude générale de la religion du Tibet se doit d’englober les Bon-po comme une catégorie particulière de secte bouddhique. L’origine de l’attribution de toutes ces traditions à un Buddha quasi historique distinct de Sakyamuni demande encore à être élucidée. Il est même possible qu’il y ait un vague rapport avec Mani, prophète et « Buddha de Lumière », qui fonda sa religion syncrétique en Perse au IIIe siècle. À partir du VIIe siècle, alors que les Tibétains avaient la mainmise sur les villes-États du Takla-Makan, marquant les étapes de la fameuse route de la soie qui reliait la Méditerranée à la Chine, ils furent en contact non seulement avec les bouddhistes de cette région, mais aussi avec les chrétiens nestoriens et les disciples de Mani. Il est également établi qu’ils avaient entendu parler du grand César de Rome, car, avec leur absence typique de précision géographique, ils accolaient ce titre étrange au héros de leur épopée nationale le roi de Ling, connu aussi sous le nom de Ge-sar (César) de Khrom (translittération perse de Rome).

Le royaume tibétain finit par s’écrouler en 842, principalement en raison des querelles entre les grandes familles aristocratiques dans lesquelles la religion intervenait, un parti représentant parfois les intérêts de la nouvelle foi bouddhique, l’autre défendant ceux des traditions tibétaines autochtones. Dans des récits bouddhiques plus tardifs, toutes ces discordes sont résolument présentées comme la lutte des adeptes du Bon contre les bouddhistes, mais cette interprétation des événements est trop simpliste. Comme on l’a noté ci-dessus, le Bon lui-même fut l’aboutissement d’un amalgame de croyances bouddhiques et tibétaines locales, tandis que de la même façon le bouddhisme tibétain naissait d’une synthèse complexe.

La conversion bouddhique

Le bouddhisme savant

Les zélateurs du bouddhisme indien inaltéré au Tibet furent les lettrés, tant indiens que tibétains, qui, à partir du VIIIe siècle, s’attelèrent à la tâche écrasante de traduire dans une forme de tibétain approprié les volumineuses quantités de littérature sanskrite bouddhique auxquelles ils avaient accès en Inde et au Népal. Le seul fait culturel comparable dans le monde occidental a été la traduction du grec en latin de toute la littérature chrétienne primitive et de tous les écrits des premiers Pères de l’Église, de sorte qu’il existe deux versions parallèles de ces œuvres, grecque et latine. Au départ, la tâche qui attendait les Tibétains était beaucoup plus compliquée, car le vocabulaire philosophique et bouddhologique indispensable à la traduction des nombreux termes techniques sanskrits faisait défaut dans la langue tibétaine. Ils inventèrent méthodiquement toute une terminologie inédite, créant des mots bien composés à partir de leur propre vocabulaire. Rarement, ils se contentèrent d’emprunter le mot directement au sanskrit. Ainsi, pour le mot Buddha, ils inventèrent le terme de Sangs-rgyas, composé de deux mots tibétains originaux qui signifient « pur » et « global ». Depuis lors, ce nouveau composé en est venu à signifier Buddha et rien d’autre. Pour le terme sanskrit asamskrta signifiant « non composé », définition philosophique de l’état transcendant de bouddhéité, les Tibétains forgèrent le terme ma-’dus-pa, qui dans le langage ordinaire pourrait simplement vouloir dire « ne pas venir ensemble », mais qui dorénavant sera fixé dans l’acception précise et avec toutes les connotations du terme sanskrit auquel il est substitué. Sous le règne du roi Ral-pa-can (815-838), le grand travail qui consistait à inventer et à cataloguer tout ce nouveau vocabulaire fut mené à bien et, par la suite, ce dictionnaire spécial sanskrit-tibétain qui comportait plusieurs milliers de rubriques fournit la base de toutes les traductions ultérieures. Cet ouvrage est si précis et si exhaustif qu’il est possible de reconstituer presque mot pour mot un original sanskrit à partir de sa traduction tibétaine. En fait, lorsque le bouddhisme disparut de l’Inde à la suite de la conquête musulmane, sa littérature sanskrite fut presque entièrement détruite à l’exception de quelques collections de manuscrits conservées au Népal. La connaissance que l’on a actuellement d’une grande partie du bouddhisme indien plus tardif repose essentiellement sur des traductions tibétaines, qui sont beaucoup plus exactes que les traductions correspondantes du sanskrit en chinois.

L’effondrement du royaume tibétain en 842 interrompit cette œuvre d’érudition, bien que le bouddhisme ait certainement survécu sous la forme d’un mouvement religieux populaire axé sur la personne de Padmasambhava. Lors du renouveau du bouddhisme savant qui suivit, les disciples de Padmasambhava réunirent tous leurs enseignements, traditions et légendes sous une forme littéraire et on les désigna sous le nom de rNying-ma-pa ou « Ordre religieux ancien », pour les distinguer des zélateurs qui provoquèrent une deuxième vague de pénétration du bouddhisme au Tibet en remontant encore une fois directement aux sources indiennes.

Deuxième tentative de propagation du bouddhisme

L’initiative la plus importante pour relancer la pénétration du bouddhisme fut prise dans la partie extrême-occidentale du Tibet, où les descendants de la lignée royale de Lhasa fondèrent trois royaumes associés qui étaient en contact étroit avec l’Inde du Nord-Ouest et le Cachemire, foyers florissants du bouddhisme à cette époque. Le plus célèbre des traducteurs tibétains d’alors est Rin-chen bZang-po (958-1055) ; sous son égide, une multitude de textes canoniques accompagnés de leurs volumineux commentaires furent traduits du sanskrit. Il se rendit lui-même à trois reprises en Inde où il séjourna en tout dix-sept ans. Il fonda à son retour un grand nombre de temples et de monastères dont les peintures et décorations illustraient de manière précise les textes liturgiques qui furent également introduits à cette époque. Il est d’emblée évident que la pénétration du bouddhisme impliquait non seulement la traduction de textes, mais aussi l’assimilation de toute une culture qui jusqu’alors était restée étrangère aux Tibétains. Ils continuèrent certes à construire selon la tradition tibétaine, utilisant les pierres, de grandes briques séchées au soleil, des toits de boue plats entretoisés et soutenus par des piliers de bois, mais la décoration et les ornements tant à l’intérieur qu’à l’extérieur révèlent déjà l’influence indienne. C’est ainsi que le toit plat pouvait être surmonté d’un toit décoratif de style pagode ; les piliers et traverses en bois étaient sculptés de motifs ornementaux indiens. À l’intérieur, les plafonds recevaient un décor de nuages, de déesses parées de guirlandes et d’oiseaux mythiques. Les murs étaient peints pour illustrer des divinités principales dont le culte était le sujet des textes traduits au même moment. Des images en stuc étaient placées au-dessus des autels et, dans certains cas, disposées en un cercle conventionnel (mandala : cf. infra) le long des murs. Des lettrés et artisans indiens furent invités au Tibet et, à leur école, les Tibétains apprirent rapidement à reproduire aussi exactement que possible toute la tradition du bouddhisme indien dans une adaptation tibétaine.
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MessageSujet: Re: Histoire du Tibet   Histoire du Tibet EmptyVen 1 Mai - 23:30

Les origines de différents ordres religieux

L’un des lettrés indiens les plus célèbres qui vint au Tibet fut Atisa, qui avait étudié et enseigné dans les grandes universités bouddhiques de l’Inde septentrionale et qui s’était déjà rendu à Sumatra comme missionnaire. Il arriva au Tibet en 1042 et y demeura jusqu’à sa mort en 1054. Avec l’aide de son disciple tibétain favori ’Brom-ston, qui fonda en 1056 le monastère de Re-ting (Rvasgreng), il réorganisa la vie religieuse sur une base plus rigoureuse et fonda l’ordre connu sous le nom de bKa’-gdams-pa (« liés par le commandement »). Cette discipline monacale s’avéra toutefois trop sévère pour la plupart des Tibétains qui, dans leur ferveur pour la vérité sacrée, étaient disposés à subir de grandes privations pendant des durées limitées, mais qui souhaitaient une plus grande liberté personnelle dans la vie monastique régulière. Les vœux d’obéissance perpétuelle sont inconnus, et cela transforme leur vie monastique en une sorte d’association volontaire de ceux qui se plaisent à vivre en communauté, dépourvue par conséquent de la sévérité et de la rigidité du monachisme occidental.

D’autres illustres voyageurs lettrés furent ’Brog-mi (992-1072) et Marpa (1012-1096), qui devinrent respectivement les sources spirituelles des ordres religieux des Sa-skya et des bKa’-rgyud. Le couvent de Sa-skya, dont la renommée est parvenue jusqu’à l’époque actuelle, fut fondé en 1073 par un disciple de ’Brog-mi. Grâce à la protection de la famille aristocratique locale et à la proximité d’une importante route commerciale reliant la province de gTsang et sa capitale Shigatse au Népal, Sa-skya acquit rapidement richesse et puissance. Au XIIIe siècle, son abbé devint le vice-régent de l’ensemble du Tibet sous la suzeraineté des successeurs de Gengis-khan ; les hordes mongoles firent preuve d’un respect surprenant pour les Tibétains et leurs autorités religieuses.

Marpa se situait dans la succession d’une lignée de maîtres religieux et de yogin indiens de qui il reçut textes et doctrines durant les séjours qu’il fit en Inde. Son disciple principal fut Mi-la Ras-pa, célèbre par sa vie d’ermite d’un rigoureux ascétisme, ses pouvoirs miraculeux et sa poésie religieuse. Il n’eut qu’un disciple dévoué, sGam-po-pa (1079-1153), qui était de famille noble, grand érudit et qui, par sa descendance spirituelle, fut à l’origine de six ordres religieux distincts, tous dans la lignée générale du bKa’-rgyud (« Parole transmise ») dérivant de la succession indienne de Marpa. Ces six ordres, dont quatre subsistent encore actuellement, comptaient un grand nombre de couvents fondés principalement au XIIe siècle. Les plus connus sont le Karma-pa, dont le grand lama vit maintenant en exil au Sikkim, et le ’Brug-pa, qui représente l’« Église nationale » du Bhoutan (’Brug-yul).

La réincarnation de certains lamas

Dans certains ordres religieux du bKa’-rgyud apparut pour la première fois au Tibet le système qui consistait à nommer le chef lama en identifiant l’incarnation dans un enfant de l’ancien chef lama. Le système fut probablement repris des successions religieuses de certains des grands yogin et maîtres bouddhiques indiens, célèbres du VIIIe et au XIIe siècle, qui passaient souvent pour des réincarnations de leurs prédécesseurs. La croyance en la réincarnation est un trait fondamental du bouddhisme sous toutes ses formes, et, de là, il n’y eut qu’un pas pour revendiquer la faculté de déceler en certains enfants doués la réincarnation d’un maître défunt qui, durant sa vie, avait fait vœu de bodhisattva (futur Buddha) de re-naître au monde à maintes et maintes reprises pour le bien des créatures vivantes, en particulier celui de son ordre religieux. Ce mode de désignation devait connaître une grande popularité au Tibet, bien que certains couvents aient continué à nommer les abbés en fonction de leur savoir, de leur spiritualité et de leurs capacités administratives, et que d’autres aient adopté un système de succession familiale d’oncle paternel à neveu. Ce système existe surtout dans les grands établissements religieux tels que les Sa-skya, où la succession des abbés est la prérogative d’une famille aristocratique déterminée qui assure la transmission des biens familiaux de père en fils pour en garantir la continuité, et simultanément la succession d’oncle paternel à neveu pour maintenir la lignée familiale des lamas célibataires.

Le terme de lama signifie seulement « supérieur religieux » et, employé seul, peut n’être rien de plus qu’une expression de respect pour un moine plus âgé. Mais, lorsqu’il est clairement défini par l’adjonction d’un nom ou d’un titre spécial, il peut désigner l’un des plus hauts dignitaires ecclésiastiques du pays, c’est-à-dire le Sa-skya-pa Lama ou le Karma-pa Lama.

Le contenu de la religion tibétaine reçue de l’Inde

Les relations étroites entre religion et politique

Grâce à cet intense esprit d’énergie et d’initiative, la conversion du Tibet au bouddhisme fut plus ou moins achevée au XIIIe siècle. Ce processus long et continu fut le fait d’un grand nombre de lettrés fervents et de religieux dévoués qui avaient peu à peu importé de l’Inde l’ensemble de la tradition bouddhique indienne survivante, elle-même le fruit de dix-sept siècles d’épanouissement sur le sol indien. Depuis le milieu du IXe siècle, il n’y avait pas d’autorité impériale centrale au Tibet ; l’initiative de la propagation du bouddhisme fut donc prise par des familles aristocratiques locales dont la fortune était souvent étroitement associée à celles des grands couvents qu’elles avaient aidé à fonder. Il est important de souligner qu’en dépit de la présence permanente de lettrés et de saints hommes la religion au Tibet était mêlée aux affaires politiques et économiques, de sorte que les différents ordres religieux, et très fréquemment les monastères individuels, trouvaient aisément des causes de discordes, voire de guerres locales, sans rapport avec les intérêts religieux qui étaient à l’origine de leur fondation. La religion tibétaine est un phénomène coloré et diversifié, et les moines sont aussi souvent de valeureux combattants et d’habiles négociants que de pieux religieux.

Le canon bouddhique tibétain

Il ne faut pourtant pas oublier qu’un des traits fondamentaux de la religion tibétaine a été d’avoir en sa possession le vaste patrimoine littéraire, artistique et religieux dont elle hérita de l’Inde in extremis. Le bouddhisme disparut de l’Inde après 1200, et ce qui en subsiste actuellement a survécu sous sa forme tibétaine habilement adaptée. En 1200, le travail de traduction qui s’était poursuivi pendant des siècles était arrivé à son terme, et les Tibétains s’employèrent à ordonner, en un canon spécial qui leur fût propre, les grandes collections d’ouvrages littéraires désormais disponibles en traduction tibétaine. Le travail de collationnement fut mené à bien par un grand lettré et encyclopédiste, Bu-ston (1290-1364), avec maints concours financiers et académiques. Lorsqu’il fut terminé, les lamas de Rin-spungs et de Karma-pa en firent confectionner de belles copies manuscrites. Les originaux étaient conservés au monastère de sNarthang où une édition imprimée fut exécutée au XVIIIe siècle sur des planches de bois gravées (xylographies). Ce grand ouvrage est la « Bible » (biblos) du bouddhisme tibétain. L’édition imprimée de sNar-thang comprend cent volumes d’enseignements faisant autorité, attribués aux Buddhas et connus sous le nom de Kanjur (bKa’-’gyur : « Parole de Buddha en traduction »), et deux cent vingt-cinq volumes de traités, commentaires, enseignements traditionnels, hymnes et poèmes sacrés par des lettrés et religieux indiens ; cette deuxième partie est intitulée Tanjur (bsTan-’gyur : « Traités en traduction »).

La vinaya

Le Kanjur contient en général trois types d’ouvrages canoniques. En premier lieu existent les livres relatifs à la discipline religieuse, y compris les récits traditionnels et souvent légendaires sur la manière dont le Buddha Sakyamuni transmit ces enseignements à ses premiers disciples. Ces livres sont en concordance avec la règle monastique (vinaya) conservée également dans le canon bouddhique pali de Ceylan, quoique les Tibétains aient reçu le leur d’un ordre religieux bouddhique indien différent, le Mulasarvastivadin, florissant dans l’Inde du Nord-Ouest. Il est important de noter que la vie monastique tibétaine repose exactement sur les mêmes traditions bouddhiques anciennes que celles qui prévalent dans les régions Theravadin de l’Asie du Sud-Est (Petit Véhicule).

Les sutra

Il y a en second lieu un très grand nombre d’ouvrages canoniques connus sous le nom de sutra (discours), qui sont tout à fait différents de ceux que l’on trouve dans le canon pali. Bien que presque entièrement perdus maintenant, les équivalents sanskrits des sutra conservés en pali ont sûrement existé en Inde à une époque donnée. Cependant, lorsque les Tibétains commencèrent à manifester un vif intérêt pour le bouddhisme indien, les anciens sutra avaient été remplacés par de plus récents, adaptés aux idées et aux enseignements de la tradition Mahayana (Grand Véhicule). Ces Mahayana-sutra sont des révélations, souvent faites dans des régions célestes par les Buddhas dans leur forme supraterrestre glorieuse. Ces Buddhas sont tous essentiellement des hypostases du suprême « Corps du Buddha » (dharmakaya) qui s’est manifesté une fois dans le Buddha Sakyamuni. Les plus populaires de ces Buddhas célestes sont Vairocana (l’Illuminateur), Amitabha (Lumière sans borne) et Aksobhya (l’Imperturbable). Ces « discours » exaltent les vertus et pouvoirs des Buddhas et préconisent comme seule voie menant à la bouddhéité le long chemin de formation du bodhisattva (futur Bouddha). Les bodhisattvas qui ont beaucoup progressé sur le chemin de la bouddhéité sont traités comme les équivalents des grands dieux de la dévotion populaire hindoue. Un bodhisattva a fait vœu de sauver toutes les créatures vivantes et de les conduire à l’illumination finale (bodhi), et si, dans le cours de sa longue carrière de multiples réincarnations différentes, il naît comme dieu dans les régions célestes, il est inévitable que les prières qui lui sont adressées avec une dévotion absolue reçoivent une réponse bienveillante. Dans la tradition tibétaine, celui qui est de loin le plus populaire de ces bodhisattvas célestes est Avalokitesvara, le Seigneur qui abaisse sur le monde un regard compatissant. On croyait qu’il pouvait lui aussi s’incarner volontairement dans une forme humaine pour le bien du Tibet. D’autres bodhisattvas favoris sont Manjusri, le Seigneur de sagesse, et Vajrapani, le Seigneur du pouvoir spirituel. Certains sutra traitent de la Grande Déesse-Mère Tara, littéralement la « Salvatrice », qui se manifeste comme la mère humaine de tout Buddha né dans ce monde ou dans un autre et qui se manifesta spécialement pour le bénéfice des Tibétains dans les deux reines chinoise et népalaise qui contribuèrent à introduire le bouddhisme au Tibet au cours du VIIe siècle.

Les Prajñaparamita-sutra, ou « Perfection de la sagesse », constituent une section spéciale des Mahayana-sutra. Ils sont parmi les plus anciens, leur création se situant probablement au Ier siècle de notre ère, et ils sont placés dans un cadre pseudo-historique : Sakyamuni discourt avec des disciples choisis, spécialement Ananda et Subhuti, particulièrement révérés dans la tradition Mahayana. Le thème principal de cette section est la doctrine de la vacuité de tous les phénomènes et noumènes, et par conséquent l’identification absolue, du point de vue de la sagesse suprême, des mondes matériels (samsara) et de l’objectif final de leur extinction (nirvana). Ces sutra réitérèrent inlassablement sous forme dogmatique, à titre de « Parole de Buddha » révélée, la vacuité de tous les concepts quels qu’ils soient et la nécessité pour le bodhisattva dans son aspiration altruiste de ne se reposer sur aucune base supposée. Il doit donc s’offrir en don pour les autres, mais sans qu’existe la notion d’un sujet qui donne, qui reçoit, ou de don, et sans aucun désir d’acquérir un mérite personnel. Ce n’est qu’alors, par une sorte de contradiction philosophique fondamentale, que son mérite aura des conséquences infinies. Il doit tendre à sauver toutes les créatures vivantes en pleine connaissance de cause quant à leur irréalité sur le plan de la sagesse suprême. Cependant, sans ses efforts, elles ne pourraient jamais être amenées à une prise de conscience de leur propre vacuité essentielle, qui conditionne leur ultime salut et le sien. La philosophie de la négation absolue a pour pendant les enseignements religieux positifs. Par conséquent, sa portée est entièrement différente de celle des théories nihilistes de certains philosophes occidentaux. Cet enseignement de la « Perfection de la sagesse » est sous-jacent à toute la religion tibétaine, à la pratique de la méditation comme aux liturgies récitées en honneur des Buddhas, bodhisattvas et divinités de moindre importance.

Les tantra


En troisième lieu, il existe une grande section d’ouvrages canoniques connus sous le nom de tantra, mot qui signifie littéralement « fils », une fois encore dans l’acception de « fil du discours ». Ces textes étranges, qui représentent la dernière phase du bouddhisme indien, se constituèrent à partir des enseignements oraux de yogin bouddhiques supposés inspirés, que l’on désigne du nom général des « 84 Siddha ». Il n’y a pas d’équivalent européen à siddha, qui signifie « arrivé à la perfection », c’est-à-dire qui s’est parfait dans les catégories de la connaissance et dans les pouvoirs miraculeux acquis par qui accède à la bouddhéité grâce à des méthodes « raccourcies » particulières. Les textes décrivent les différentes divinités, pour la plupart des adjonctions tardives au panthéon bouddhique indien, mais considérées comme hypostases de la nature suprême du Buddha et qui apparaissent dans ces tantra comme les maîtres faisant autorité. Ils décrivent par le menu, mais en général sans ordre cohérent, les sortes de pratiques et de rituels religieux nécessaires pour parvenir à la bouddhéité pendant la durée d’une seule existence. La base philosophique demeure généralement celle des préceptes de la « Perfection de la sagesse », mais ils réintroduisent aussi l’ancienne idée indienne d’un couple divin, masculin et féminin, comme manifestation première de l’existence émergente. La bouddhéité elle-même en tant qu’absolu ultime est conçue comme procédant de l’union de deux éléments primaires, masculin et féminin, définis par la compassion, élément actif, et la sagesse, élément passif. Cette fondamentale « dualité dans l’unité » imprègne toutes les formes d’existence, supérieures et inférieures, et les Buddhas qui sont maintenant représentés symboliquement comme des dieux et des déesses dans une étreinte sexuelle ont comme corollaires sur terre le plaisir sexuel des hommes et des femmes ordinaires. L’une des méthodes utilisées par les yogin tantriques dans leurs aspirations supérieures était un accomplissement sous forme ritualisée, maîtrisée, de l’acte sexuel lui-même. Le rituel exigeait la représentation symbolique des composantes principales de l’existence phénoménale, conçue comme une émanation des éléments premiers, la terre, l’eau, le feu et l’air, issus de l’élément absolu, l’espace, identifié à la vacuité des enseignements de la « Perfection de la sagesse ». Ainsi un cercle d’éléments rituels appelé mandala était tracé pour représenter l’aire divinisée sacrée dans l’enceinte de laquelle le rite devait être accompli. D’autres pratiques furent introduites, comme l’absorption symbolique de certaines catégories de chair, normalement interdites, en vue de mettre en évidence le renversement total des lois normales de l’existence.

Lorsque les Tibétains importèrent ces enseignements, ils avaient déjà été adoptés en Inde par des moines célibataires à titre de pratiques méditatives puissantes. Certains maîtres en religion, tel Marpa déjà mentionné, étaient des hommes mariés qui avaient le droit d’accomplir légitimement les vrais rites sexuels. D’autres demeurèrent des yogin indépendants et étaient également libres de les pratiquer avec une partenaire spécialement choisie et formée à cet effet. D’autres, comme le célèbre Mi-la Ras-pa, furent fidèles au célibat leur vie durant, bien que leur pratique méditative ait pu être imprégnée de symbolisme sexuel.

Ces tantra fournissent aussi les éléments de base de la plupart des liturgies monastiques, et tous les moines et laïcs tibétains sont familiarisés avec les couples divins représentés de manière très vivante sur les fresques décorant les murs des temples.

Une tradition tibétaine indigène

Les pouvoirs miraculeux

Le bouddhisme importé de l’Inde présente une si extraordinaire diversité que les Tibétains n’éprouvèrent aucune difficulté à y incorporer les éléments populaires de leur religion prébouddhique. Leurs prêtres indigènes, les Bon et les gShen, célébraient des rites sacrificiels à des intentions d’ici-bas, pour la prospérité de leurs clients, pour conjurer les esprits malins et anéantir les ennemis. Mais les yogin bouddhiques indiens possédaient tout un répertoire de rites semblables, que beaucoup pratiquaient comme l’aspect matériel de leurs pouvoirs religieux supérieurs. Il convient de rappeler aussi que, dans la plus ancienne tradition bouddhique, Sakyamuni lui-même est souvent représenté en train d’accomplir des miracles, par exemple domptant un éléphant furieux, volant par-dessus les fleuves et organisant des fêtes magiques populaires. Il triomphait souvent de ses adversaires religieux grâce à ses pouvoirs miraculeux supérieurs. De telles croyances ont toujours été une partie essentielle du bouddhisme, et les Tibétains ne corrompaient sûrement pas cette religion en y greffant leurs formes de magie. En même temps, on relève que les maîtres religieux sérieux de toutes les époques et de toutes les traditions ont persisté à enseigner que les pouvoirs miraculeux ne devaient jamais être recherchés comme fin en soi, mais sont légitimes puisque accompagnant normalement une connaissance religieuse supérieure.

Les divinités tibétaines locales

Les Tibétains firent entrer progressivement dans le panthéon bouddhique indien, déjà fort peuplé, leurs dieux locaux favoris, qui furent opportunément réputés convertis à la nouvelle foi. Derechef, ce processus s’opéra constamment tout au long de l’histoire du bouddhisme, depuis les temps les plus reculés où les principaux dieux indiens, Indra et Brahma, y furent introduits comme acolytes de Sakyamuni et où les yaksa ou divinités locales indiennes, probablement les esprits des arbres, furent représentés iconographiquement comme gardiens de ses sanctuaires commémoratifs (stupa). Les Tibétains ne virent donc à juste titre aucune contradiction à admettre leurs dieux des montagnes dans le sein du bouddhisme et à faire de leur culte une partie secondaire des liturgies bouddhiques régulières.
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ཌརུཁདཇིགམེ




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MessageSujet: Re: Histoire du Tibet   Histoire du Tibet EmptyVen 1 Mai - 23:30

La littérature tibétaine indigène

Plus digne d’attention est la production graduelle d’une vaste littérature bouddhique tibétaine indigène reposant sur les écrits canoniques brièvement décrits plus haut. Cette littérature s’exprima sur le double plan savant et populaire. À partir du XIIe siècle, on passe de l’ère des grands traducteurs, qui avaient habituellement œuvré aux côtés des maîtres indiens, à celle des lettrés tibétains. Comme le canon du bouddhisme indien et tous les ouvrages connus d’érudits bouddhiques indiens existaient désormais en tibétain, les Tibétains avaient toute latitude de composer leurs propres commentaires et résumés. Les lettrés de l’ordre religieux Sa-skya furent spécialement actifs pendant les XIIe et XIIIe siècles, et l’un d’entre eux écrivit la plus ancienne histoire qui subsiste du bouddhisme au Tibet. D’autres traitèrent de philosophie, de logique, de grammaire et de poésie, reprenant dans leur propre langue classique les traditions et les méthodes de leurs précurseurs indiens. Un célèbre lama Sa-skya du nom de ‘Phags-pa inventa une écriture pour le mongol, qui a reçu son nom, et rédigea des explications des tantra pour les Mongols que lui et ses confrères étaient en train de convertir.

Les lamas bKa’-rgyud-pa se montrèrent tout aussi lettrés, mais produisirent simultanément des genres de littérature plus populaires, reposant sur les traditions que leur avaient transmises les grands yogin indiens qui avaient été des maîtres de Marpa. Des biographies et des collections d’enseignement religieux en vers populaires parurent bientôt sous la signature des principaux lamas bKa’-rgyud. Les biographies de Marpa et de Mi-la Ras-pa existent toutes deux en traduction française. La tradition consistant à dispenser un enseignement religieux sérieux en vers populaires s’est perpétuée comme une préoccupation spécifique des bKa’-rgyud.

La consolidation des traditions des rNying-ma-pa ou « Ordre ancien »

Au cours du XIVe siècle, les rNying-ma-pa ou adeptes de l’« Ordre religieux ancien » rassemblèrent leurs enseignements sous forme littéraire. Au milieu du siècle, le Tibet était redevenu indépendant en fait de la tutelle politique des empereurs mongols de Chine et unifié sous l’autorité d’un noble héroïque lié aux bKa’-rgyud-pa, du nom de Byang-chub rGyal-mtshan. Ce dernier restaura les titres et le costume tibétains à la cour et institua des festivités civiles et religieuses pour le Nouvel An, conformément à des traditions anciennes, qui demeurèrent jusqu’en 1959 les plus importantes fêtes tibétaines annuelles. Dans le cadre de cet effort général de résurrection des gloires du passé apparut au XIVe siècle un ensemble d’ouvrages littéraires célèbres intitulés les bKa’-thang sdelnga (Quintuple Jeu de rouleaux), qui étaient censés avoir été composés à l’ancienne époque royale, cachés pendant la période consécutive de troubles politiques et exhumés récemment. Ces livres, incontestablement écrits en langue archaïque, reposent probablement sur des traditions orales authentiquement anciennes, qui sont cependant en grande partie légendaires. Les thèmes principaux en sont les exploits des anciens rois et des histoires concernant Padmasambhaya, notamment sa lutte victorieuse contre les démons du Tibet et ses amours avec l’une des reines de Khri-srong-lde-brtsan. D’autres renseignements intéressants y sont contenus, tels que des descriptions du culte pratiqué sur les tombes royales, de la construction du monastère de bSam-yas, et même de l’organisation administrative et militaire du Tibet. Il s’ensuivit rapidement une grande avalanche de « textes redécouverts » (appelés gter-ma, « trésors cachés ») du passé. Une autre œuvre importante relevant du même genre est la biographie légendaire de Padmasambhava, le Padma Thangyig, qui existe en traduction française.

Pendant cette période, les rNying-ma-pa se constituèrent en ordre religieux séparé, dont toutes les traditions sont centrées sur la personne de Padmasambhava. Ce personnage est unique dans la tradition bouddhique tibétaine. Aux yeux de ses adeptes, il est un grand dieu tantrique plutôt qu’une figure historique ; il se trouve au cœur d’un grand nombre de rituels et de liturgies où il apparaît dans diverses manifestations traduisant différents aspects de sa nature de Buddha. Dans une manifestation quasi-historique, il est connu comme le « Gentil Maître » (Gu-ru zhi-ba), mais il a aussi une forme farouche correspondante : le « Dieu-Tigre , (sTag-lha), divinité tibétaine indigène acceptée par les bouddhistes et les Bon-po. Il apparaît aussi comme le Corps suprême de Buddha dans un cercle complexe (mandala) de divinités appelé l’« Union des précieux » (dKon-mchog spyi-’dus) qui comprend tous les grands Buddhas cosmologiques du centre de l’univers et des quatre points cardinaux, conçus dans des manifestations paisibles et dans des manifestations violentes, avec leurs compagnes, comme l’exigeaient les théories tantriques, et un vaste entourage de bodhisattvas et de déesses gardiennes. Cette liturgie particulière est très souvent célébrée au Tibet au cours des cérémonies funèbres, car l’ensemble de ces divinités représente tous les êtres divins qu’un défunt risque de rencontrer entre sa mort et sa réincarnation suivante. Non seulement les moines officiants ont un pouvoir propitiatoire, mais ils se proposent de guider le trépassé dans sa migration : cernant de plus près la vraie nature des formes divines qui s’offrent à sa vue, celui-ci améliore ses perspectives d’une re-naissance agréable. De même un religieux pleinement exercé, grâce à son intelligence totale des formes divines, peut à sa mort être délivré de la transmigration, donc échapper définitivement au processus d’apparences illusoires qui constituent notre monde.

Les compilations des Bon-po et la grande épopée tibétaine

Tandis que les rNying-ma-pa, comme d’autres bouddhistes tibétains, admettaient volontiers le Kanjur et le Tanjur comme base de leur religion, ils continuèrent à se réclamer de leurs propres traditions. Ils compilèrent donc un Recueil des anciens tantra (rNying-ma’i rGyud-’bum), qui ne figurent pas dans le Kanjur et représentent probablement les premières tentatives non officielles d’introduire le bouddhisme au Tibet à partir du VIIIe siècle. Les Bon-po eux aussi se mirent à « redécouvrir » des textes, prétendument cachés pendant les premiers triomphes du bouddhisme sous le règne du roi Khrisrong-lde-brtsan (seconde moitié du VIIIe s.). Tout comme les rNying-ma-pa, ils compilèrent donc plusieurs éditions d’œuvres qui relatent les activités de leur fondateur gShen-rabs et les doctrines proclamées en son nom. Toutefois, à l’examen, ces doctrines s’avèrent plus bouddhiques que prébouddhiques, et, bien qu’elles comprennent maintes traditions prébouddhiques, les compilateurs du XIVe siècle semblent déjà incertains quant à la signification d’une grande partie des traditions orales qu’ils consignent. Les Bon-po compilèrent aussi des collections de leurs propres tantra, des généalogies de leurs grands sages, et produisirent quelques documents quasi historiques relatifs au Tibet du VIIIe siècle.

L’épopée tibétaine de Ge-sar de Ling est une autre grande œuvre littéraire qui prit forme graduellement en assimilant différentes traditions orales locales et en s’imprégnant progressivement d’idées bouddhiques. En dépit de l’existence d’éditions manuscrites et même imprimées par la suite, elle est demeurée au cours des siècles une œuvre essentiellement orale. Sa récitation et son exécution partielle sont confiées à une catégorie spéciale de bardes nomades ; de ce fait, elle se prête à une infinité de variantes et d’inflexions.

Les Bonnets jaunes


Les origines

Au sein de ce monde culturel et religieux de monastères et de sectes qui s’entredéchirent surgit soudain le grand maître Tsong-kha-pa (1357-1419). Il vint au Tibet central du Kukunor en Extrême-Orient et commença par étudier sous les maîtres les plus illustres du temps, appartenant à toutes les variétés d’ordres religieux. Il fut impressionné surtout par le couvent bKa-’gdams-pa de Re-ting, où il eut une vision d’Atisa. Puis, en 1409, il fonda près de Lhasa le monastère de Ganden (dGa’-ldan) et veilla à ce qu’y soient observées les règles strictes de discipline monacale. La vie religieuse réformée de ses moines, qui se tenaient à l’écart des intrigues politiques, semble avoir fait impression sur la population de Lhasa, et cette initiative novatrice reçut un appui si ample qu’elle provoqua bientôt la constitution d’un autre ordre religieux. Ses disciples fondèrent deux autres couvents près de Lhasa, Drepung (’Bras-spungs) en 1416 et Se-ra en 1419. Au fur et à mesure qu’ils prirent de l’assurance, ils fondèrent en 1445 un autre couvent, Tashilhunpo (bKra-shis-lhun-po) près de Shigatse, capitale de la province de gTsang, donc en territoire dominé par d’autres ordres religieux. Un lama énergique, dGe-’dun-grub (1391-1475), fut le bâtisseur de la fortune des dGe-lugs-pa (« Conduite vertueuse »). Ceux-ci adoptèrent à des fins cérémonielles le port d’un bonnet pointu jaune, d’où le surnom de « Bonnets jaunes » qui leur fut donné par les Chinois et qui est passé dans l’usage courant en Occident.

À la mort de dGe-’dun-grub fut introduit le système de nomination du hiérarque par réincarnation en un enfant, de sorte qu’il devint rétrospectivement le premier Dalai-Lama. Ce titre particulier, communément employé par les Chinois et les Occidentaux, fut décerné au troisième dalai-lama en 1578 par Altan-khan, le plus puissant chef mongol dans les pays frontaliers situés entre le Tibet et la Chine. Ta-le, écrit dalai par les Occidentaux, signifie simplement « Océan », avec l’implication d’« Océan de sagesse ». Après cette rencontre, les dGe-lugs-pa furent assurés de l’appui mongol, qui fut politiquement très utile lorsque le quatrième dalai-lama fut identifié en un arrière-petit-fils d’Altan-khan. Il était évident que dorénavant les dGe-lugs-pa seraient mêlés comme les autres ordres religieux tibétains à la lutte pour la suprématie politique sur l’ensemble du pays, dont le cinquième dalai-lama s’empara finalement en 1642 avec l’aide militaire des Mongols ; depuis lors, les dalai-lamas ont été les dirigeants en titre du Tibet. Les monastères et les ordres religieux qui résistèrent aux dGe-lugs-pa furent occupés de force et transformés en établissements dGe-lugs-pa. Dans le cadre de ce processus, le Bhoutan, qui faisait jusque-là partie intégrante du Tibet, devint un État séparé, où les sectateurs de l’ordre de ’Brug-pa bKa’-rgyud réussirent à tenir en échec les revendications des dGe-lugs-pa. Au Tibet central, la prépondérance dGe-lugs-pa fut finalement garantie par les empereurs mandchous, qui étendirent leur véritable suzeraineté sur le Tibet à partir de 1721, le dalai-lama étant à la fois leur prêtre personnel et leur représentant politique.

Les changements culturels au Tibet

Pour la première fois depuis le règne des anciens rois de Yar-lung, le Tibet avait renoué des contacts culturels étroits avec la Chine. Sans aucun doute, la différence de langue constituait toujours une barrière importante, mais l’art, l’architecture et spécialement la vie d’intérieur se ressentirent rapidement de la nouvelle influence. Les pièces d’habitation des grands lamas et de l’aristocratie commencèrent à être décorées dans le style chinois, avec des laques et des porcelaines de Chine. Les styles plus libres de la peinture chinoise tendirent à modifier le genre stylisé de la peinture religieuse, que les Tibétains avaient repris précédemment de modèles indiens et népalais. Dès 1411, le canon tibétain fut imprimé à Pékin pour la première fois au moyen de planches de bois gravées. Les Chinois enseignèrent cette méthode d’imprimerie aux Tibétains, qui refusèrent jusqu’au XXe siècle de l’abandonner au profit de procédés plus modernes. Tous les ordres religieux se mirent alors à imprimer les ouvrages écrits de leurs lettrés et lamas par cette méthode. Les dGe-lugs-pa, non contents d’être d’habiles politiciens, possédaient aussi une grande érudition. Le cinquième dalai-lama fut un historien et un prodigieux écrivain religieux. Les grands lamas de Tashilhunpo, qui adoptèrent à partir du XVIIe siècle le système de nomination par réincarnation en un enfant, étaient fréquemment de très grands lettrés, et leurs œuvres complètes imprimées selon la méthode tibétaine traditionnelle sont maintenant conservées dans les bibliothèques de Paris, de Londres et d’ailleurs.

Unité essentielle de la tradition religieuse

Bonnets jaunes et Bonnets rouges

Par opposition aux Bonnets jaunes, tous les ordres religieux précédents sont désignés par les Occidentaux sous le nom de « Bonnets rouges », mais ce terme prête à confusion, car il masque grand nombre de différences historiques et religieuses, et, dans l’acception tibétaine authentique, le terme de « Bonnet rouge » se réfère à une secte particulière unique de l’ordre Karma-pa. Il est indubitable que la vie monacale plus austère de l’ordre des Bonnets jaunes, spécialement aux deux premiers siècles durant lesquels son importance ne cessa de croître, eut un effet bénéfique sur les ordres religieux tibétains plus anciens qui, comme les ordres monastiques du Moyen Âge occidental tardif, étaient corrompus par des intérêts politiques et séculiers. Cependant, à partir du XVIIe siècle, lorsque les dGe-lugs-pa commencèrent à partager avec l’aristocratie l’administration générale de la plus grande partie du Tibet, ils furent également contaminés par des questions temporelles. En revanche, les ordres antérieurs, exclus, sauf quelques exceptions, des hautes fonctions administratives, gardèrent un esprit religieux authentique, voué à la prière et à la méditation profonde. Alors que les dGe-lugs-pa se sont acquis une grande renommée en raison de leurs hautes réalisations en philosophie et en logique, disciplines pratiquées dans leurs trois grandes universités monastiques, Ganden, Drepung et Se-ra, près de Lhasa, les ordres plus anciens étaient plus respectés pour leur spiritualité et leurs pouvoirs magiques. Ils avaient également conservé une bien plus grande liberté dans la pratique de la vie monacale, conformément aux traditions qu’ils avaient reçues de l’Inde du Xe au XIIe siècle. Tout en observant les traditions monastiques dans leurs institutions réformées, ils reconnaissaient une égale valeur à la vie religieuse des yogin errants et des pratiquants religieux mariés. Dans bien des villages tibétains et dans les campements nomades, le religieux local peut être un lama marié, versé dans toutes les cérémonies nécessaires que ses clients pourraient requérir de lui. Il faut se rendre compte que la religion tibétaine est plus protéiforme encore que la chrétienté en Europe.

Religion et société

Le bouddhisme tibétain se confondit à un point tel avec la culture tibétaine que le fait d’être tibétain impliquait aussi celui d’être bouddhiste tibétain, et en l’occurrence ce concept englobe nettement les Bon-po. En tibétain, il n’y a pas de terme pour dire bouddhiste proprement dit. Une personne est soit un nang-ba, « homme de l’intérieur », soit un phyi-ba « homme de l’extérieur » ou étranger. Ce dernier terme recouvre aussi bien les musulmans tibétains, qui formaient une communauté à Lhasa, que des étrangers ressortissants d’autres pays. Comme les rares missionnaires chrétiens qui visitèrent le Tibet au début du XVIIIe siècle le remarquèrent rapidement, un Tibétain converti au christianisme était effectivement rejeté en dehors de toute son ancienne société. Il lui fallait nier, par exemple, la nature divine du dalai-lama qui, à partir du Grand Cinquième, fut considéré comme une incarnation humaine spéciale du bodhisattva céleste Avalokitesvara. De même, le grand lama de Tashilhunpo était tenu pour une manifestation du Buddha Amitabha, et bien d’autres lamas étaient identifiés à des êtres divins. De ce fait, les Tibétains tendirent à se considérer comme une sorte de « peuple élu », auquel Buddhas et bodhisattvas firent des révélations particulières tout au long de son histoire. Ils faisaient peu de cas des autres pays et des autres peuples, et, tout en étant disposés occasionnellement à reconnaître des incarnations spéciales en des étrangers éminents qui leur avaient apporté de l’aide (c’est ainsi que la reine Victoria d’Angleterre était réputée être une incarnation de Tara la Grande Déesse-Mère), ils supposaient généralement que leur réincarnation individuelle continuerait à se faire au Tibet. Ainsi que dans d’autres pays bouddhiques, la majorité de la population n’aspire pas à une connaissance religieuse supérieure et espère qu’en maintenant un équilibre suffisant de paroles pies elle s’assurera une re-naissance améliorée. Cependant, il a toujours existé une minorité de fervents, qui ont cherché et trouvé un maître religieux valable et qui, sous sa direction, ont fait l’expérience des vérités religieuses bouddhiques les plus hautes : détachement complet des préoccupations mondaines, équanimité absolue et paix intérieure résultant de la connaissance salvatrice. Ils ont assumé la transmission et la perpétuation des traditions anciennes d’une génération à l’autre, et, tant que durera cette succession religieuse, la religion tibétaine ne sera pas confinée aux vastes recueils d’écrits religieux, de peintures et d’objets d’art sacrés qui reposent dans les bibliothèques et les musées européens et américains.

4. Archéologie et art

Archéologie

La crainte de provoquer le courroux des divinités telluriques dissuada les Tibétains d’entreprendre les fouilles systématiques qui leur auraient permis de connaître leur passé lointain. Seuls les hasards des travaux des champs avaient mis au jour quelques vestiges : premiers jalons publiés par G. Tucci.

Depuis les années 1950, des découvertes fortuites, des campagnes de repérage et plusieurs fouilles importantes ont cependant révélé l’existence au Tibet d’un patrimoine archéologique considérable.

En de nombreux points du Tibet du Nord, à une altitude moyenne de 4 000 mètres, et dans un site de la région de Ding-ri, à la frontière du Népal, ont été découverts des outils de pierre taillée, qui ont été datés du Paléolithique supérieur et placent le Tibet dans le groupe des cultures « à choppers », celui de l’Asie centrale et orientale. Dans le nord du pays et dans l’actuelle province du Qinghai, de nombreux sites à microlithes témoignent de techniques plus avancées.

Des sites néolithiques ont également été découverts, en général sur des terrasses fluviales : à Qugong, près de Lhasa, et dans les vallées du gTsang-po (sites de sNying-khri) et de ses affluents (Yarlung). Le plus important est le site de Karuo, près de Chab-mdo (Tibet oriental) sur le haut cours du Mékong. Maisons semi-enterrées en torchis ou construites en pierre, matériel lithique comportant, outre des outils en pierre polie, des outils en pierre taillée et des microlithes, objets en os, poterie au décor incisé ou imprimé, parfois peint, très différente des pièces chinoises contemporaines y témoignent d’un millénaire d’occupation, entre 3000 et 2000 avant notre ère.

Les monuments mégalithiques sont nombreux sur l’ensemble du territoire tibétain, sans que les dates puissent en être fixées avec précision, du IIe millénaire avant notre ère aux premiers siècles de celle-ci : tombes marquées par un cercle de pierres, monolithes isolés, alignements, comme l’impressionnant ensemble du lac sPang-gong (Tibet occidental) composé de dix rangs de pierres levées, bornés à l’ouest par deux demi-cercles et trois grands monolithes. De nombreux objets d’art animalier ont été trouvés, dans des circonstances mal connues, sur le plateau tibétain ; ils témoignent des contacts que le Tibet eut de longue date avec des régions parfois très lointaines d’Asie.

L’état des recherches ne permet pas encore de dater avec précision l’apparition de la métallurgie au Tibet central. On a cependant trouvé dans le Qinghai, région qui fut au contact des cultures du cuivre et du bronze du nord-ouest de la Chine, des objets en métal dont les dates s’échelonnent entre le IIe millénaire et le Ve siècle avant notre ère.

Du Qinghai au Ladakh, des pétroglyphes ont été relevés en grand nombre ; certains paraissent très marqués par l’influence Saka. Les datations, à partir du VIe siècle avant notre ère, restent très imprécises.

Si l’histoire officielle du Tibet « monarchique » commence au VIIe siècle pour s’achever au IXe, les vestiges de cette époque couvrent une période encore mal définie, mais vraisemblablement plus étendue. En dehors du site des tombes royales de ‘Phyong-rgyas, décrit par G. Tucci notamment, on a découvert depuis les années 1960 de très nombreuses nécropoles, regroupant parfois plusieurs centaines de tombes, en général couvertes d’un tumulus, le plus souvent trapézoïdal. Au Tibet central, où les pillages ont été nombreux au cours de l’histoire, les fouilles n’ont jusqu’à présent mis au jour que des poteries rouges assez rustiques, quelques objets en métal (laiton et fer), quelques outils et pièces d’ornementation.

Le site de ‘Phyong-rgyas dans la vallée de Yar-klungs comporte dix tumuli, tombes de huit rois et de deux princes qui moururent entre 650 et 815, que H. Richardson a examinées. Les motifs décoratifs se limitent à un lion de pierre placé sur le tumulus du roi Ral-pa-can ; de style persan, il illustre probablement la sculpture du début de la période bouddhique. Quelques piliers de pierre ornés de soleils, de lunes, de lotus démontrent une influence indienne. Un lion et un dragon rappellent le style chinois, tandis qu’un dessin de feuillage se rapproche de l’Asie centrale. Les textes trouvés à Tun-Huang disent que les dépouilles du roi Srong-btsan-sGam-po et de ses deux épouses, recouvertes d’une feuille d’or, furent placées dans la première tombe de ces tumuli. Ce site fut probablement pillé au IXe siècle.

Le règne de Srong-btsan sGam-po (mort en 649) marque la date charnière qui relie le Tibet encore inconnu au Tibet attesté par les textes chinois et tibétains ; il constitue le début de la période historique du pays.

À partir du VIIe siècle, l’art tibétain sera caractérisé par une tradition exclusivement bouddhiste, animée par les contacts religieux et politiques avec les pays voisins qui engendreront différentes influences stylistiques.

Né autour de Yar-klungs avec la dynastie des rois du Tibet, l’art s’est développé dans les régions du gTsang au sud du pays et du dBus au centre, entre 627 et 837 sous l’influence d’artistes venus de Chine, d’Inde et d’Asie centrale.

Le meurtre du roi Khri-gtsug-lde-btsan en 836, le refus du bouddhisme proclamé par son successeur Glang-dar-ma, puis des persécutions entraînent l’un des descendants du roi assassiné, sKyis-lde-nyi-ma-mgon, à émigrer au Tibet occidental en 929, créant un royaume indépendant qui sera à son tour subdivisé.

Un nouveau style naîtra alors. Ye-she-od, le roi-prêtre qui règne sur Gu-ge, envoie en 970 vingt et un Tibétains au Cachemire. Ils ont pour mission de perfectionner leur connaissance du bouddhisme et de ramener des savants. Seuls deux survivants reviendront sept ans plus tard ; l’un d’eux, Rin-chen-bZang-po, demeurera illustre. Ces hommes sont accompagnés d’artistes qui construiront des monastères. L’art du Tibet occidental sera ainsi marqué par les influences du Cachemire, de l’Himachal Pradesh et du Népal occidental, et prendra le nom de style de Gu-ge. Le nord-est de l’Inde lui apportera une forte tradition Pala. Isolé du reste du Tibet, un art indigène évoluera dans les régions occidentales jusqu’en 1687, date du rattachement du Gu-ge au reste du Tibet.

Dans leur recherche du bouddhisme, les Tibétains invitèrent des savants attachés aux grands centres mystiques de Vikramasila et d’Odantapuri (Bihar et Bengale). Atisha, qui réformera le bouddhisme tibétain, arrive au Tibet en 1042.

À la fin du XIIe siècle, l’invasion musulmane en Inde entraîne l’extermination du bouddhisme dans toute la région du Nord-Est. Les religieux se réfugièrent alors au Tibet, propageant les doctrines du vajrayana et du Tantrayana, qui inspireront toutes les réalisations artistiques à l’exception des œuvres Bon.

Cette seconde diffusion du bouddhisme suscitera la formation d’écoles qui construiront des monastères et les décoreront selon leurs propres traditions religieuses.

Les XIe et XIIe siècles représentent la période de formation de l’art tibétain. Les XIIIe et XIVe siècles voient des modifications stylistiques qui déboucheront sur la période classique des XVe, XVIe, XVIIe siècles.

Les XVIIIe, XIXe, XXe siècles peuvent être considérés comme une période postclassique dérivant vers une stagnation puis un déclin général de la création artistique. On distingue cinq régions qui ont subi des influences différentes : l’ouest déjà évoqué, particulièrement marqué par le Cachemire ; le gTsang au sud, qui aura des contacts privilégiés avec la vallée de Katmandou au Népal ; le dBus au centre, en relation avec le nord-est de l’Inde ; le Khams à l’est tourné vers la province chinoise du Sseu chouan et l’Amdo au nord-est vers la province chinoise du Gansu.
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ཌརུཁདཇིགམེ




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MessageSujet: Re: Histoire du Tibet   Histoire du Tibet EmptyVen 1 Mai - 23:31

L’architecture

Architecture civile et militaire

Les sources chinoises mentionnent les importants châteaux que les rois et l’élite de l’aristocratie possédaient au Tibet avant l’arrivée du bouddhisme. Chaque roi construisait son palais que ses descendants abandonnaient à sa mort pour en élever un à leur tour.

Les vestiges les plus importants se trouvent dans la région de Yar-klungs, siège de la dynastie. Le donjon de Yum-bu lha-mkar domine un ensemble de ruines sur l’éperon d’une colline rocheuse. De hautes tours destinées à la défense du site étaient construites en blocs de pierre à peine équarris et en briques crues séchées au soleil.

Le règne de Srong-btsan sGam-po vit l’essor manifeste de l’architecture. Il n’en demeure que des ruines. Le roi fit construire un palais de neuf étages à Pha-bong-kha ainsi que de nombreuses résidences. Ses descendants suivirent son exemple.

Les points stratégiques des vallées sont dominés par les vestiges des châteaux-forteresses protégés par des tours de guet rondes ou carrées ; ces défenses furent élevées jusqu’aux XIe et XIIe siècles, période au cours de laquelle s’affirme la suprématie des grands monastères.

Ces édifices étaient construits en pierres de taille, jointoyées avec un mortier de terre ou des éclats de pierres. L’épaisseur des murailles garantissait la solidité du bâtiment. Il arrivait que la construction soit faite de gros blocs de terre mêlée de paille, durcis au soleil.

Les édifices religieux

Monastères, temples et mchod-rten représentent l’essentiel de l’architecture tibétaine. Les temples les plus anciens furent construits sous le règne de Srong-btsan sGam-po. Le ‘Phrul-snang, ou Jokhang, parfois appelé la « cathédrale de Lhasa » fut élevé par l’épouse népalaise du roi ; son épouse chinoise construisit le Ramoche. Ces deux temples furent remaniés au cours des siècles. Le Kra ‘brug dans la vallée de Yar-klungs constitue la plus grande fondation de ce monarque.

Une floraison de monastères apparaît sous le règne de Khri-srong lde-btsan. Le premier d’entre eux, bSam-yas, fut consacré en 775. Les trois étages de son sanctuaire principal, inspiré, selon la tradition, par celui d’Odantapuri au Bihar, furent réalisés respectivement selon les styles tibétain, chinois et indien. Autour du sanctuaire principal se dressent de nombreux bâtiments annexes suivant un plan qui représente un mandala.

La chronique de dPa‘-bo gTsug-lag ‘Phreng-ba (1504-1566) nous apprend que Khri-lde-srong-btsan construisit, vers 776, un temple de neuf étages à sKar-chung, dans les styles tibétain, khotanais, chinois et indien, avec la collaboration d’artistes venus de ces pays. Son fils, Ral-pa-cen, suivit cette tradition.

Lorsque, persécutés par Langdarma, les bouddhistes se réfugièrent au Tibet occidental, Rin-chen-bzang-po et ses successeurs construisirent les chapelles de Mang-nang, sTod-gling en 996, Tsaparang, Kojarnath qui inspireront dans le gTsang les constructions de Iwang, Samada, gNas-gsar.

Ces temples, ou lha-khang, sont généralement de petits édifices de plan rectangulaire, comportant parfois en façade un atrium soutenu par des piliers de bois. L’autel et l’image consacrée se trouvent à l’intérieur et au fond de la pièce, décalés du mur afin que le visiteur puisse tourner autour de la statue, selon le rite.

Les ensembles monastiques renferment plusieurs lha-khang. Mang-nang, par exemple, en compte quatorze.

Le développement des écoles bouddhiques à partir du XIIe siècle et la prééminence successive de certaines d’entre elles entraîneront la construction de monastères qui deviendront de véritables cités édifiées autour du sanctuaire le plus important. Là se réunit l’assemblée des moines pour les prières quotidiennes et pour les grandes fêtes religieuses. Séminaires, collèges, demeures d’abbés se trouvent groupés en un gigantesque ensemble. C’est le cas de Rva-Grengs construit pour les bKa‘Gdamspa en 1056, de gDan-sa-mthil pour les bKa‘-rgyud-pa, de ‘Bri-gung (1179) pour les ‘Bri-gung-pa où vivaient huit cents moines, de sTag-lung pour les sTag-lung-pa (1185), de Rva-lung pour les ‘Brug-pa (1180). Un exemple frappant est celui de Sa-skya, fondé en 1073 ; il donnera son nom aux Sa-skya-pa, qui dirigeront le pays de 1260 à 1354. Ceux-ci subiront l’influence du Népal et de la Chine, ce qui explique l’introduction de toits superposés de type chinois ; le temple de Zha-lu dans le gTsang en est l’exemple le plus caractéristique.

L’avènement des Dge-lugs-pa entraîne la fondation entre 1409 et 1447 des monastères de Dga-lden (1409) de ‘Bras-spungs (1416), de Se-ra (1419) et de Bra-shis-lhun-po (1471) dans les provinces du dBus et du gTsang Chab-mdo, ainsi que de celui de Li-Thang dans le mDo-Khams.

Le cinquième dalaï-lama, en réalisant l’unité du Tibet, conduisit l’architecture à son apogée avec la réalisation du Potala en 1653. Construit sur une colline dominant Lhasa, cet édifice monumental est en harmonie avec l’ampleur du paysage. Le Potala est une création unique, qui donne une impression de grandeur et de puissance. À l’image des hommes qui conçurent l’accès aux temples grecs, l’architecte a le sens du cheminement et de la découverte successive de points de vue. Ce principe se retrouve en particulier dans la montée progressive des plans jusqu’au toit. Les terrasses qui couvrent les bâtiments sont ornées avec richesse d’objets rituels dorés, qui constituent d’admirables premiers plans.

Au Tibet, l’ancrage des constructions sur un terrain escarpé conduit souvent à des compositions articulées. Le Potala en est un excellent exemple. Les bâtiments sont implantés de telle manière que les façades s’inscrivent dans une courbe. Le jeu des horizontales et des obliques, provenant du fruit des différentes constructions, est magistralement traité. Les façades successives se déploient en légers décalages et changements d’orientation les unes par rapport aux autres, les ombres s’associent ainsi aux grandes lignes directrices du bâtiment et créent un effet saisissant de tracés obliques. Le traitement très libre de la composition a permis d’aménager de remarquables accès, en particulier le grand escalier.

Le décor est en parfaite harmonie avec l’architecture. Sur les façades, le jeu des couleurs qui résulte de l’association de la pierre et de la brique, du bois et d’ornements dorés est d’une grande beauté.

Les installations intérieures sont de la même qualité, en particulier les admirables cours qui, selon des conceptions très hardies, peuvent être abritées l’hiver par une toiture de feutre amovible.

Les encadrements de fenêtres donnent à ces bâtiments d’une austère simplicité un rythme remarquable. L’usage abondant du bois dans un pays si pauvre en arbres est saisissant. La parenté entre les monastères tibétains et ceux du mont Athos est frappante.

Cet usage du bois est très ancien comme en témoigne le porche du temple de Samada dans le gTsang – avec ses étages de chapiteaux, de linteaux, de corbeaux, d’architraves et de larmiers –, bon exemple de l’architecture en bois des XIe et XIIe siècles.

À l’intérieur de toute construction, les étages supérieurs et les toits sont soutenus par des piliers et des colonnes de bois. Les plafonds, généralement constitués de planches entrecroisées recouvertes de plusieurs couches de pierres alluviales et de terre, sont souvent plaqués de caissons peints ou sculptés, embellis de figures animales ou humaines. Le hall principal du Jo-Khang illustre cette technique.

À Tsaparang, le plafond du temple blanc est formé de bandes décoratives qui sont les plus raffinées de tout le Tibet occidental. Elles renferment des figures de divinités ainsi que des motifs floraux et géométriques. Au temple rose, les pilastres sculptés témoignent du rattachement de l’art de Tsaparang à l’école du Cachemire.

Tous ces motifs sont peints, parfois ornés des thèmes symboliques du bouddhisme.

Les mchod-rten correspondent aux stupa de l’Inde. Ces édifices, conçus pour contenir les cendres du Buddha, ont conservé leur caractère de reliquaire et leur signification symbolique de mandala.

Des huit formes de stupa venues de l’Inde, les plus communes au Tibet sont : le byang-chub mchod-rten, ou mchod-rten de l’illumination, comportant une base carrée reposant sur un ou plusieurs gradins, un bum-pa, ou marmite de forme arrondie surmontée de sept ou de treize parasols réunis par un pivot et surmontés des symboles du soleil et de la lune ; le mchod-rten de la descente du ciel caractérisé par ses escaliers construits sur une ou sur quatre faces ; enfin le mchod-rten aux multiples portes qui renferme des chapelles communicantes disposées sur plusieurs niveaux et conduisant à la cella, consacrée, au sommet, aux divinités ésotériques. Les murs des chapelles sont couverts de peintures religieuses.

Il faut citer, parmi les principaux mchod-rten, ceux qui furent construits au XIIIe siècle dans un défilé entre Jonang et gZhi-ka-rtse, le mchod-rten de rGyang, près de Lha-rtse, celui de Jonang construit au XIVe siècle, sans oublier celui de sNar-thang, celui de rGyal-rtse, le plus important du Tibet (1427).

On trouve souvent des rangées de ces édifices, de petite taille, au voisinage des lieux sacrés ; d’autres, ouverts à la base, tiennent lieu de porte. La coutume de construire cent huit mchod-rten se rencontre principalement au Tibet occidental. Dans cette région, aux environs de mTho-gling, on retrouve une technique proche de celle du Gandhara : des blocs irréguliers, lisses à l’extérieur, sont disposés en assises rectilignes en alternance avec des pierres rectangulaires, les vides étant comblés au moyen de pierres plates.

Les bronzes

Les Tibétains sont passés maîtres dans le travail du bronze. Ce métal, li pour les Tibétains, est formé d’alliages divers dans lesquels prédomine toujours le cuivre. D’autres éléments peuvent lui être adjoints : plomb, fer, argent, zinc, antimoine, arsenic et, parfois, or.

Des analyses systématiques par absorption spectrométrique ont été réalisées dans les années 1970 sur des prélèvements de 0,01 gramme provenant d’un échantillonnage de statues. Ce travail, joint à une étude approfondie des traités publiés au cours des siècles, ainsi qu’aux travaux de P. T. Craddock, de E. Lo Blue, de W. A. Oddy, de M. Bimson et de S. La Niece, publiés par le British Museum, et à l’ouvrage important de U. van Schroeder, a fait faire des progrès considérables à notre connaissance des bronzes tibétains. La distinction entre bronze rouge, bronze jaune et bronze blanc est aujourd’hui étayée par des analyses précises.

Le Tibet est riche en minerais, le cuivre domine dans toutes les régions ; l’argent, le fer et le plomb sont extraits des provinces du Khams et de l’Amdo dont les rivières contiennent de l’or ; l’étain est importé de Chine, de Birmanie et de l’Asie du Sud-Est ; le Bhoutan, l’Inde et le Népal fournissent le zinc et le plomb. L’analyse d’une pièce permet de désigner les mines qui ont fourni ses composantes. Le travail du métal était déjà connu au début de la période historique, un texte des annales Tang donne la nomenclature des présents offerts par les Tibétains aux Chinois : une armure d’or, une oie d’or, une ville miniature, une coupe d’or, etc.

Il semble que le Tibet ait acquis dès le IXe siècle la connaissance des techniques utilisées jusqu’à nos jours : celle du moule de terre cuite, de la cire perdue, du repoussé qui exige des métaux malléables (or, argent, cuivre). Cette dernière est utilisée pour les statues de grande taille et pour les décorations architecturales introduites par les artisans newar. Ces objets, de forme compliquée, exigent parfois l’emploi de plusieurs feuilles de cuivre travaillées au repoussé puis assemblées par des rivets avant d’être soudées. Certaines parties, tels les pieds, les bras ou différents attributs, sont ajoutées après avoir été sculptées dans le bois et plaquées de métal ou bien fondues selon le procédé de la cire perdue.

La statuaire fut introduite au Tibet en même temps que le bouddhisme. La dynastie de Yar-klungs était en contact avec l’Inde et le Népal, et des sculpteurs newar et indiens vinrent travailler au Tibet dès cette période. Rin-chen bzang-po amena du Cachemire vingt-deux artistes. Leur style est illustré par le Buddha de Cleveland (68,3 p. 100 de cuivre, 20,2 p. 100 de zinc et 11,5 p. 100 de plomb). Le canon de cette statue reste proche de celui des Buddha indiens de l’époque Gupta. Le traitement des pectoraux et des abdominaux, très développés, est caractéristique de la statuaire du Cachemire.

Le sculpteur népalais Aniko est appelé au Tibet en 1260 en compagnie de quatre-vingts artistes ; il sera plus tard invité à la cour mongole où il travaillera jusqu’à sa mort.

Des communautés de Newar sont installées à Lhasa, gZhi-ka-rtse, rGyal-rtse, Sa-skya, Tsetang ; ils fabriquent des sculptures de styles népalais et tibétain.

Les Népalais ont une prédilection pour les bronzes dorés au mercure ou à l’or froid. Les bronzes non dorés ont des sources plus diverses, généralement indiennes d’origine Pala ; ils sont quelquefois sertis d’alliages divers. Dorés ou non, les bronzes sont parfois incrustés de pierres précieuses ou semi-précieuses.

À l’époque de la dynastie Ming (1368-1435), certaines œuvres montrent une affinité avec les images lamaïstes chinoises, en particulier durant les règnes de Yongle et de Xuande. Les Tibétains sont d’ailleurs responsables de l’introduction du bouddhisme en Chine, et au cours des missions entre le Tibet et la Chine des cadeaux comportant des statues de métal étaient échangés.

À partir du XVe siècle, les artistes tibétains ont assimilé les influences étrangères et trouvé leur style propre. Au XVIIe siècle, le cinquième dalaï-lama réunit les bronziers, artisans de père en fils, en guilde, et les installe au pied du Potala. Les statues de taille gigantesque représentent une tradition introduite au Tibet par les épouses chinoises et népalaises de Srong-btsen sGam-po. Parmi les exemples les plus fameux, on peut citer le Buddha du Tokhang et celui de Bkra-shis-lhun-po exécuté en 1914. Les détails des auréoles présentent un grand intérêt aussi bien à sNar-Thang qu’à Sa-skya ou au Jo-Khang.

L’art du bronze se révèle aussi sur les toits des temples et des monastères, traditionnellement couverts de cuivre doré, ornés de dragons, de garuda, de makara, de roues de la loi ainsi que de parasols, d’antéfixes et d’épis de faîtage.

Enfin, il faut mentionner les stupa de métal, les reliquaires ou dga‘u, les conques richement ciselées, les couvertures de livres, les bijoux qui constituent autant d’exemples de la virtuosité des orfèvres tibétains. Le moindre objet usuel, ceinture, couteau, blague à tabac, bol à thé, est de forme harmonieuse.

On trouve également une statuaire en bois, comme au Tibet occidental, à Luk, Tsaparang et mTho-gling ; ces statues sont de style Kaçmiri. À rGyal-rce, dans la salle des arhat, on a un exemple saisissant de sculpture en bois. Les personnages sont représentés en prière, l’expression de leur visage est d’un réalisme frappant. Au Klu-sbug (la grotte des naga) à Lhasa, Buddha et saints personnages sont réalisés en bas-reliefs colorés.

Les rondes-bosses en pierre sont rares. En revanche, les créations en terre crue séchée au soleil sont fréquentes, elles sont parfois traitées en miniatures. Les plus intéressantes sont les tsha-tsha : objets sacrés porteurs de formules pieuses ou façonnés en forme de mchod-rten ; la terre dont ils sont fabriqués était parfois mélangée aux cendres des défunts ; ce sont en général des objets votifs. Les rondes-bosses de terre sont fréquentes, nous en avons pour exemple le Buddha de terre recouvert de stuc de Mang-nang (XIIe-XIIIe s.), et celui de Zha-lu (XIIIe-XIVe s.). Ce dernier temple présente une particularité intéressante : il a été construit dans le style chinois de l’époque Yuan avec la contribution d’artistes mongols. On peut y rencontrer des bas-reliefs et des ornements de terre vernissée uniques au Tibet.

La peinture


Le panthéon innombrable de la religion bouddhique – Buddha, bodhisattva, divinités paisibles et terribles, dieux gardiens, arhat et saints personnages – est illustré par les peintures murales, les thangka et les manuscrits illuminés.

Les plus anciennes peintures tibétaines connues sont les « bannières » de Dunhuang conservées au musée Guimet, au British Museum et au musée de New Delhi. Certaines portent des inscriptions qui les situent entre 781 et 848, période qui correspond à l’occupation de Dunhuang par les Tibétains. Deux styles dominent, l’un d’influence chinoise, l’autre plus nettement népalo-tibétain.

Les peintures murales

La destruction des temples et la remise à neuf périodique de nombreuses peintures pariétales diminuent le nombre des jalons permettant de tracer une évolution artistique. G. Tucci a magistralement traité ce problème. Les peintures les plus anciennes datent du XIe siècle. Elles se trouvent à Man-nang au Tibet occidental, fortement marqué à cette époque par ses contacts avec le Cachemire sous l’impulsion de Rin-chen-bZang-po, ainsi qu’à mTho-gling et Tsaparang. Le style de ces peintures les rapproche de celles du monastère d’Alchi au Ladakh . Tsaparang revêt une grande importance du point de vue artistique, iconographique et historique, particulièrement le temple blanc où le cycle de Vairocana est traité selon un dessin d’une exécution minutieuse. C’est ici qu’apparaissent les germes de l’art tibétain.

Au Spiti, lTa-bo semble un écho à l’art de Qyzyl par les silhouettes aux formes généreuses, les vêtements sassanides que portent les donateurs et par l’utilisation de couleurs lumineuses.

Trois périodes se détachent. Après le style cachemire apparaît au XIVe siècle une influence iranienne à laquelle succède un style inspiré par les enluminures des manuscrits moghols.

L’influence de l’Asie centrale se fait sentir au mchod-rten de rGyang dans le gTsang construit par un abbé Sa-skya-pa. Le gSer-khang de Zha-lu, jalon important de l’art tibétain, est construit sur deux étages entourés de corridors de circumbulation ; ceux-ci sont ornés des cent moments de la vie du Buddha. Deux courants sont décelables : le style indien se traduit par la division en carrés, les postures ascétiques, les motifs rajput, les vêtements, la composition. De Chine viennent les cavalcades, le traitement des chevaux ; quant aux tuniques, elles sont inspirées de celles d’Asie centrale. De grandes images signées de mChims-pa-bsod-nams-‘bum offrent un avant-goût du style qui trouvera sa maturité à rGyal-rtse dans le sKu-‘bum, édifice dédié à Maitreya et dont les peintures se rapprochent de celles du sKu-‘bum de sNar-Thang. Les silhouettes minces et légères sont enveloppées de draperies richement dorées. L’artiste a assimilé le traitement des paysages tibétains. Deux artistes de rGyal-rtse ont signé leurs œuvres à sNar-Thang. La construction des deux sKu-‘bum, contemporaine, est datée de la seconde moitié du XIVe siècle.

L’influence népalaise ne se dément pas. Le monastère Sa-skya-pa de Ngor, construit en 1429, fut décoré par des artistes de ce pays ; de nombreux manuscrits enluminés de même origine y ont été retrouvés. Leur pouvoir d’inspiration fut certainement décisif.

Les Sa-skya-pa exerceront une grande influence sur la représentation figurée en traduisant par des symboles figurés l’ésotérisme de leur doctrine. Les dGe-lugs-pa feront de même. Les monastères de bSam-yas (très remanié au XVIe s.), de bKra-shis-lhun-po, le Potala, Se-ra, ‘Bras-spungs et ‘dGal‘-dan sont les témoins de la continuité de la tradition artistique jusqu’à la période moderne. Fidèles aux règles iconographiques et iconométriques, les artistes n’en déploient pas moins un talent narratif certain dont témoignent, au Potala, les représentations de danses rituelles, de festivals et de discussions animées entre les moines.

Les thangka (littéralement : « objet que l’on déroule ») constituent un élément important de l’art tibétain. Nous ignorons l’organisation des ateliers qui les fabriquaient ; un grand nombre de peintres étaient moines. Les thangka anciens suivent les normes des peintures indiennes. Avec le temps, leur format varie. La partie centrale, rectangulaire, est entourée de bandes de soie orangée ou rouge symbolisant le halo qui émane de la divinité représentée . L’ensemble est encadré de tissus qui sont parfois des soies chinoises. Une pièce d’étoffe incrustée dans la partie inférieure représente la « porte ».

Les thangka peints sont les plus nombreux ; ils sont traités le plus souvent sur toile, parfois sur soie. Les artistes s’aident fréquemment de poncifs. Les couleurs, essentiellement minérales et végétales à l’époque ancienne, sont remplacées à partir du XIXe siècle par des couleurs chimiques importées. Les pigments utilisés sont le jaune d’arsenic, le vert de vitriol, le bleu de lapis-lazuli et des terres d’une grande variété. Le procédé pictural utilisé s’apparente à celui des gouaches occidentales. Il n’est pas rare que plusieurs artistes travaillent à la même œuvre. Les thangka représentent des sujets rituels immuables. Certains composent des cycles iconographiques, tels que la vie du Buddha ou les représentations d’arhat. Ces peintures servent lors des séances de méditation ou de fêtes spécifiques. Mais certaines sont utilisées comme éléments purement décoratifs.

Quelques thangka sur soie sont brodés, d’autres reçoivent des applications de petites pièces de soie de couleur découpées puis réunies par un point de broderie ou bien collées sur le fond. Les thangka sont parfois constitués d’une seule pièce de soie tissée à la main.

Les œuvres de très grande taille portent le nom de gos-sku. L’une des plus importantes, conservée au Potala, mesure 55,80 m sur 46,81 m. Exécutée à la fin du XVIIe siècle, elle représente le buddha Amitabha.

Les thangka peints se distinguent par la couleur de leurs fonds. Certains sont formés de plusieurs tons juxtaposés, d’autres sont unis, rouges, noirs ou or.

Les Tibétains distinguent plusieurs écoles, décrites par Kong-sprul Blo-gro-mtha-yas (1813-1899) et reprises par Gene Smith en 1970.

Sman-bla Don-grub fonda au Lhobrag l’école Sman-ris au début du XVe siècle. Cette création coïncida avec l’introduction de la poudre de cinabre qui donna le vermillon. L’artiste devint éminent dans le gTsang et à Sa-skya. Son style est fortement influencé par la Chine des Yuan. Padma-dKarpo (1527-1592) fut un adepte de cette école.

Le XVe siècle vit la naissance du style mKhyen-ris qui recèle une influence chinoise mais diffère du Sman-ris par ses représentations en plans successifs, son goût du détail et son traitement des fonds. Cette école est représentée à la fin du XVIe siècle par les peintres de Ngor. Le mKhyen-ris et le néo-Sman-ris inspireront l’école de Lhasa au XIXe siècle.

Le style sGa-bris, influencé essentiellement par la Chine, représente une approche complète de l’art religieux. Cette école est une émanation du Sman-ris classique datant de la seconde moitié du XVIe siècle.

Le Byi’u-ris date du XVIe siècle, il est caractérisé par un emploi excessif des couleurs brillantes.

La création du néo-Sman-bris est attribuée à un artiste du XVIIe siècle : Chos-dbyings rdo-rje du gTsang. Son style proliféra, mêlé au mKhyen-ris et au sGar-bris. Il est actuellement représenté par les œuvres que des peintres vivant à Lhasa exécutèrent au XXe siècle.

Les thangka ne sont jamais signés, ils sont rarement datés. Le plus ancien, selon P. Pal, est daté de 1479 ; exécuté au Tibet central, il représente Vajranairatma et est conservé au musée de Boston. Le British Museum possède une représentation des Pañcaraksa peinte en 1662.

Antérieur mais non daté, le grand thangka d’Amitayus du musée de Los Angeles, probablement peint au XIIIe siècle dans le monastère de Iwang au Tibet méridional, est caractérisé par ses silhouettes souples et allongées, sa richesse de nuances. Il évoque par son style des peintures retrouvées au début du siècle à Kara-Khoto, ville de la Mongolie-Intérieure détruite en 1227 par Gengis khan. Le traitement en cercles concentriques se rapproche du canon indien Pala, mais les influences khotanaises sont évidentes dans les détails des coiffures et des ornements.

Du point de vue stylistique, l’évolution des thangka suit celle des peintures murales. Les expositions organisées à New York (Asia House, 1969), à Paris, « Dieux et démons de l’Himalaya », au Grand Palais en 1977, ont permis de réunir un grand nombre d’œuvres et de les comparer.

Dès le XIVe siècle, les artistes tibétains ont trouvé un style personnel. Ils font preuve d’un sens parfait de la composition, et groupent avec harmonie les personnages, les paysages et l’architecture. Leur rigueur se traduit dans la composition des mandala, leur verve dans les peintures de sacrifices qui représentent des offrandes symboliques aux divinités protectrices – telle cette œuvre du Rijksmuseum voor volkenkunde de Leyde dédiée à dPal-ldan lha-mo que l’on voit recevant des peaux humaines et animales fraîchement dépecées –, leur poésie dans le portrait de Mi-la-res-pa conservé au musée Guimet.

À l’immense complexité de la philosophie tibétaine correspond l’immense variété des expressions artistiques qui en sont le support.
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