Traversées tibétaines : 150e anniversaire de la naissance d’Alexandra David-Neel
De Paris à Lhassa : la femme aux semelles de vent[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Alexandra David-Neel (1868-1969) commença sa vie comme chanteuse lyrique mais elle est surtout connue pour ses voyages en Asie, jusqu’à un âge avancé. Intéressée très tôt par les spiritualités orientales mais peu attirée par l’orientalisme de chambre, elle partit pour Ceylan en 1911 et fut en 1912 la première Occidentale à obtenir une audience avec un Dalaï-Lama : en effet, le treizième de la lignée, Thubten Gyatso (1875-1933), était alors réfugié en Inde. Pendant les quatorze ans qu’Alexandra David-Neel passa en Asie (1911-1924), elle s’initia au bouddhisme tibétain au Sikkim (nord-est de l’Inde) auprès d’un maître et ermite, avant de partir au Tibet, et apprit le tibétain à cette occasion auprès de Lama Kazi Dawa Samdrup (1868-1923), un passeur de culture et un traducteur puisqu’il co-traduisit en anglais la vie de Milarepa et le Bardo Thödol (connu populairement en Occident sous le titre du Livre des morts tibétains), avec Walter Y. Evans-Wentz.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Alexandra David-Neel fut en 1924 la première femme occidentale à atteindre la capitale du Tibet, interdite aux étrangers : déguisée en Tibétaine, accompagnée de Lama Yongden (1899-1955), son futur fils adoptif originaire du Sikkim, elle trompa la vigilance des garde-frontières tibétains. Paru en 1927, son livre Voyage d’une parisienne à Lhassa : à pied et en mendiant de la Chine à l’Inde à travers le Thibet lui assura la notoriété et popularisa le Tibet auprès du public français, avant d’être traduit dans de nombreuses langues.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]À travers l’ouvrage Au pays des brigands gentilshommes, paru en 1933, Alexandra David-Neel emmène le lecteur chez les Khampa, habitants de la province du Kham, terme qui désigne tout l’est du plateau tibétain :
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]L’ouvrage
"À l’Ouest barbare de la vaste Chine" est consacré aux régions tibétaines de l’Amdo (nord-est) et du Kham (est) du Tibet : la ville monastique de Labrang (actuel Gansu), le centre administratif chinois de Xining (Qinghai), la ville-marché frontière tibétaine de Dartsedo (actuel Kangding, Sichuan) figurent parmi les lieux évoqués. Le lama ici représenté est le Ve Jamyang Zhepa (1916-1947), principal lama réincarné de Labrang. Ces deux ouvrages contiennent des photos précieuses pour notre connaissance de ces deux provinces tibétaines.
Paysages spirituels : Alexandra David-Neel et la mystique spirituelleAlexandra David-Neel ne fut pas qu’une voyageuse au Tibet et en Asie. Féministe et anarchiste dans sa jeunesse, encouragée en cela par son père, et amie d’Elisée Reclus (1830-1905), géographe et anarchiste, elle s’intéressa dès son adolescence aux spiritualités et aux penseurs d’Asie. Par ailleurs, elle ne négligea pas le roman :
"Le Lama aux cinq sagesses", "Magie d’amour et magie noire" ainsi que
"La Puissance du néant", co-écrits avec son disciple Lama Yongden, mêlent romanesque et spiritualité. Un roman inédit de jeunesse,
"Le grand art, journal d’une actrice (1902)", a été récemment retrouvé dans les archives de l’écrivaine-orientaliste, dans sa maison de Samten-Dzong, à Dignes (04), et publié aux éditions du Tripode. Ce roman qui a pour personnage centrale une chanteuse lyrique (comme l’était Alexandra David-Neel à l’époque) éprise de liberté, est suivi d’une longue postface de Samuel Thévoz qui apporte des éclairages essentiels sur Alexandra David-Neel et ce roman, resté ignoré jusqu’à aujourd’hui.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Dans "
Mystiques et magiciens du Thibet", Alexandra David-Neel relate les circonstances qui l’ont mise en contact avec le bouddhisme tantrique du Tibet et celui des pratiquants de magie noire qui gravitent autour de lui ; elle met en évidence des traits saillants des théories occultes ou mystiques et des pratiques d’entraînement psychique des Tibétains. Ci-contre, Alexandra David-Neel photographiée en tenue tibétaine dans un studio à Calcutta en 1924 à son retour de Lhassa.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]"Le lama aux cinq sagesses" est un roman cosigné par Alexandra David-Neel et son fils adoptif Albert Arthur Yongden, Tibétain du Sikkim qui l’accompagna au Tibet et avec qui elle revint en France.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Elle y dresse le portrait de Mipham, jeune garçon aux capacités prodigieuses, peu enclin dans un premier temps à embrasser la voie du Bouddha mais qui progressivement s’engage dans la pratique spirituelle.
L’hindouisme intéressait également Alexandra David-Neel. Selon elle, le Vedanta Advaita est « la plus haute des philosophies que l’Inde inclut parmi ses Écoles réputées orthodoxes ». Elle étudia ce texte avec « un érudit Védantin : Lall Bij Nath, un magistrat » et le compléta de notes prises lors de conversations avec des mystiques et savants hindous. "
L’avadhûta Gîtâ de Dattatraya" : poème mystique Védanta Advaita avec notes et commentaires est le fruit de ce travail critique.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Par-delà les montagnes : détours en ChineAlexandra David-Neel publia des articles en anglais dès 1910. Une grande partie de ses monographies furent traduites non seulement en anglais mais dans une trentaine d’autres langues. Elle séjourna également en Chine. En chinois, sa première œuvre fut traduite en 1940 : ce fut
"Le lama aux cinq sagesses", par l’anthropologue Li An-che, formé à Berkeley. En 1945, fasciné par l’endurance de l’exploratrice qui, à 76 ans, continuait à voyager en Chine dans des conditions très spartiates, il publia en chinois un article à son sujet. Il fallut toutefois attendre près de soixante ans pour que paraisse en chinois le
"Voyage d’une Parisienne à Lhassa" (Pékin, 1997).
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Dès 1893, Alexandra David-Neel publia de nombreux articles dans diverses revues. Sa connaissance intime du Tibet lui permit de contribuer à la revue d’anthropologie de langue anglaise publiée à Chengdu en Chine, le Journal of the West China Border Research Society alors qu’elle était « coincée » à Dartsedo, à la frontière sino-tibétaine, entre 1938 et 1943, la guerre civile en Chine et des problèmes de santé l’ayant empêchée de poursuivre plus en avant vers le coeur du Tibet. Assez courts, sans notes de bas de page, ses articles sont basés sur ses lectures, ses observations et échanges avec les Tibétains. Cette revue comprend trois contributions d’Alexandra David-Neel :
« Nature Gods in Tibet » (1941), « Summary of an essay on Mani khorlos and Tarchogs in Tibet » (1945), « The Tibetan lamaist rite called Rab Nes intented to casue inanimate objects to become efficient » (1946).[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Alexandra David-Neel traduisit en français
"Le Philosophe Meh-Ti et l’idée de solidarité", texte du philosophe chinois Mozi (墨子, 479-392 av. notre ère).
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]La voyageuse opta pour une lecture socialiste de ce texte. Selon elle, il expose « une doctrine de notre moderne Solidarité ». Elle travailla à partir d’une version publiée en 1754 en Chine, dont elle reprit en partie la préface, et s’assura l’aide d’un collaborateur chinois anonyme et du sinologue Édouard Chavannes.
Dans un article publié en 20171, le chercheur Yunfei Bai a montré que cette traduction chinoise tardive du Voyage d’une parisienne à Lhassa déformait délibérément l’original pour supprimer toute allusion à l’indépendance du Tibet à l’époque où l’auteure et Yongden l’avaient traversé. Il montre également que les traducteurs de la République Populaire de Chine ont exagéré la sinophilie d’Alexandra David-Neel et amplifié ses remarques négatives sur le Tibet.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Voici un exemple de traduction censurée, avec tout d’abord le propos original d’Alexandra David-Neel, puis sa reformulation dans la version chinoise (retraduite en français pour la démonstration) :
"J’ai appris que le souverain du Thibet, le Dalaï-Lama, avait fui son pays – alors en révolte contre la Chine – et résidait dans l’Himalaya."
"J’ai appris que le treizième Dalaï-Lama, à cause d’un petit différend avec l’autorité centrale, avait quitté Lhasa pour résider dans les régions de l’Himalaya."L’aventure au féminin : figures d’exploratrices au TibetÀ partir de 1850, le Tibet central et la capitale Lhassa furent interdits aux Occidentaux. Dès lors, il leur fut difficile de « résister à l’attrait de cette immense tache blanche sur la carte de Centre-Asie » (Léa Lafugie). Plusieurs femmes tentèrent l’aventure de l’exploration, parfois seules, et pour des motifs divers : le prosélytisme chrétien, mais aussi le simple goût de l’aventure, l’alpinisme ou encore l’art. La première d’entre elles fut la missionnaire évangélique anglaise Annie Royle Taylor (1855-1922) qui malgré son déguisement fut arrêtée en 1892 à trois jours de Lhassa et renvoyée en Chine. Alexandra David-Neel fut donc la première Occidentale à atteindre la ville sainte.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]La missionnaire canadienne Susie Carson Rijnhart (1868-1908) paya cher son engagement pour l’évangélisation du Tibet : en 1898, son fils d’un an mourut et son mari disparut, alors qu’ils allaient atteindre le poste-frontière tibétain de Nagchu. L’ouvrage With the Tibetans in tent and temple en possession de la BULAC est dédicacé à Fernand Grenard qui, cinq années plus tôt, avait tenté en vain d’atteindre Lhassa par une route similaire.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Fin 1903, l’empire britannique s’apprêtait à envahir le Tibet à des fins commerciales et politiques. L’exploratrice Jane E. Duncan (1848-1909) visita alors seule l’ouest du plateau tibétain (Ladakh, Baltistan). Elle soumit à August Hermann Francke, missionnaire en poste au Ladakh, ses découvertes de rochers recouverts d’inscription en tibétain et contribua ainsi à éclairer l’histoire ancienne de l’ouest tibétain. A summer ride through western Tibet est le récit de son voyage ; elle y décrit les monastères bouddhistes, la vie à Khapallu et son voyage vers Shardu.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]La peintre Léa Lafugie (1892-1970) se rendit trois fois en terre tibétaine, avec pour seul « appareil guerrier […] (s)es pinceaux et des sucreries ». Elle n’atteignit jamais Lhassa, puisqu’elle fut arrêtée à Gyantse, troisième ville du Tibet. Son ouvrage Au Tibet est préfacé par Alexandra David-Neel. Cette dernière loue sa « ténacité », tenant son auteure pour « véritablement digne d’éloges ». Son œuvre artistique oubliée est à (re)découvrir.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Itinéraire linguistique : l’enseignement du tibétain à Paris aux XIXe et XXe sièclesLa France fut avec la Russie parmi les premières nations à proposer en Occident un enseignement de langue tibétaine : des cours de tibétain furent en effet dispensés dès 1842 à l’École des Langues Orientales par Philippe-Édouard Foucaux (1811-1894), auquel succéda Henri-Léon Feer (1830-1902) de 1864 à 1868, année où il fut nommé au Collège de France. Les grands orientalistes de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle maintinrent un intérêt pour le tibétain et, en 1918, Sylvain Lévi invita Jacques Bacot (1877-1965) à dispenser des cours de tibétain dans le cadre de son séminaire du Collège de France, cours qu’Alexandra David-Neel suivit au milieu des années vingt, à son retour du Tibet. C’est en 1936 enfin que fut créée la première chaire de philologie tibétaine à l’EPHE et Jacques Bacot l’occupa. D’après Samuel Thévoz, il fut question qu’Alexandra David-Neel remplace Jacques Bacot lors de sa prise de poste, car ce dernier devait se rendre dans l’Himalaya. Mais elle ne put le faire pour des « raisons de santé ». Elle était vraisemblablement à l’époque, avec Jacques Bacot, la seule locutrice occidentale de tibétain en France – et peut-être en Europe.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Philippe-Édouard Foucaux publia en 1858 la
première grammaire du tibétain en langue française.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]L’Imprimerie impériale d’alors dut couler des caractères tibétains pour cet ouvrage. Dans sa préface, l’auteur établit que la langue tibétaine n’était pas apparentée au sanscrit, comme beaucoup d’orientalistes le croyaient à l’époque.
Jacques Bacot (1877-1965) présente la vision tibétaine traditionnelle de la grammaire. Une grammaire tibétaine du tibétain classique : les ślokas grammaticaux de Thonmi Sambhota avec leurs commentaires contient la traduction des deux courts traités versifiés, le Sum cu pa et le Rtags ‘jug pa, attribués par les Tibétains au créateur présumé de l’alphabet tibétain au VIIe siècle, qu’il fait précéder par celle d’un commentaire anonyme.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Son jugement sur le tibétain littéraire est rude : il « n’est pas une langue morte, puisqu’il n’a jamais vécu ».
Philippe-Édouard Foucaux (1811-1894) fut le premier à publier des ouvrages d’érudition sur la langue tibétaine et le bouddhisme en France. La BULAC conserve un cahier annoté par l’auteur lui-même et daté de sa première année d’enseignement à l’École des Langues Orientales, qui contient la traduction d’un extrait du Sutra du sage et du sot (Mdzo mdzangs blun), texte sapiential intégré au Canon tibétain, le Kangyur (Bka’ ‘gyur).
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]La
"Grammaire du tibétain littéraire" de Jacques Bacot est le fruit des cours de l’auteur dispensés à l’EPHE.
tibétain » (p. 6). En 1946, en effet, la France sortait juste de la Seconde Guerre mondiale.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Elle ne contient pas de caractères en tibétain car, ainsi que Jacques Bacot l’explique dans sa préface, « les difficultés actuelles d’impression nous ont fait adopter à regret la transcription latine du
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]"