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 Le Messie dans le tétragramme

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2 participants
AuteurMessage
pierre.b

pierre.b


Messages : 524
Date d'inscription : 05/04/2019

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MessageSujet: Le Messie dans le tétragramme   Le Messie dans le tétragramme EmptyLun 2 Oct - 22:49

Le Messie est révélé dans le tétragramme, le nom divin. Découvrez-le !

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laurence c

laurence c


Messages : 438
Date d'inscription : 05/04/2019

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MessageSujet: Re: Le Messie dans le tétragramme   Le Messie dans le tétragramme EmptyDim 10 Déc - 5:36

MESSIANISME

Prise de vue

Pendant longtemps, l’étude du phénomène messianique a été l’apanage quasi exclusif de la christologie, c’est-à-dire d’une théologie appliquée au personnage central du christianisme tenu et retenu, sinon exclusivement du moins archétypiquement, pour le Messie. Dans l’entre-deux-guerres, néanmoins, les sciences humaines des religions – histoire, sociologie, ethnologie, anthropologie – élaborent peu à peu les éléments d’une approche inductive et comparative de ce phénomène messianique définitivement pluralisé. Ainsi se présente toute une population de personnages – des messies –, de mouvements spécifiques – des messianismes – ou de mouvements apparentés – des millénarismes. C’est à partir de ces populations que peuvent être envisagés la définition, les cycles et la typologie du messianisme.



1. Définition du messianisme

On a défini le messianisme comme étant « essentiellement la croyance religieuse en la venue d’un rédempteur qui mettra fin à l’ordre actuel des choses soit de manière universelle soit pour un groupe isolé et qui instaurera un ordre nouveau fait de justice et de bonheur » (H. Kohn, « Messianism », in The Encyclopædia of Social Sciences). Pratiquement, ce terme revêt souvent une signification voisine de celle de « millénarisme », qui désigne le mouvement socio-religieux dont le Messie est le personnage. Les deux notions, en tout cas, impliquent une liaison essentielle des facteurs religieux et des facteurs sociaux, du spirituel et du temporel, des valeurs célestes et des valeurs terrestres, aussi bien dans le désordre dont ils préconisent l’abolition que dans l’ordre nouveau dont ils annoncent l’instauration. À la différence du prophète, qui se réclame seulement d’une mission reçue de Dieu ou de l’agent surnaturel suprême, la messianité implique un lien d’identification plus poussé avec ce dieu, généralement un lien de parenté : si le prophète est uni au dieu par un lien électif, le Messie est uni à Dieu par un lien natif.

L’étymologie des termes « Messie » et « messianisme » (hébreu : mâshîakh ; grec : christos – l’oint ; latin : messias) semblerait montrer que l’Occident a connu le personnage et la doctrine qu’ils désignent sous l’influence d’Israël et du christianisme (le christianisme est la religion du christos). Cependant, les idées et les faits recouverts par ces mots dépassent largement l’aire judéo-chrétienne. Ainsi le messianisme recouvre en réalité deux concepts distincts : un concept théologique normatif lié à la proclamation de l’unicité messianique du fondateur du christianisme, tous les autres personnages messianiques étant classés comme prémessies ou faux messies ; un concept sociologique comparatif appuyé sur une population de situations dans lesquelles un personnage fondateur d’un mouvement historique de libération socio-religieuse s’identifie ou est identifié à une puissance suprême « émettant » sur l’ensemble de l’histoire des religions comme des sociétés.

Le sens théologique

Le sens théologique est propre à l’aire culturelle dominée par le christianisme. Dans son acception absolue, le messianisme désigne ici l’ensemble des croyances juives relatives au Messie promis dans l’Ancien Testament. Dans un sens moins strict, il s’applique aux enseignements ou aux mouvements qui promettent la venue d’un envoyé de Dieu appelé à rétablir sur terre la justice et l’innocence premières. Les controverses ont surtout porté sur le contenu de ce messianisme, soit entre la tradition chrétienne du Messie « déjà venu » et la tradition juive du Messie « encore attendu », soit à l’intérieur de la tradition chrétienne, où se rencontrent, d’une part – surtout dans une tradition patristique des trois premiers siècles –, l’attente futuriste d’un retour messianique en gloire et en majesté pour l’instauration d’un millenium terrestre, d’autre part – surtout après saint Augustin –, la prédominance des thèses prétéristes : thèse de la révélation close, fixation du retour messianique aux moments de la fin du monde et d’une unique résurrection, identification du régime ecclésiastique avec le royaume en transition, etc. Bien que parvenue à une position dominante, la seconde conception n’a cependant cessé d’être investie par des filières de dissidences surgies autour des trois grandes confessions chrétiennes (catholicisme, protestantisme, orthodoxie).

Le sens historico-sociologique

Au sens historico-sociologique, le messianisme représente le fonds commun des doctrines qui promettent le bonheur parfait sur terre sous la direction d’une personne, d’un peuple, d’un parti, de mouvements collectifs, au sein desquels les réformes tant ecclésiastiques que politiques, économiques ou sociales sont présentées sous la forme d’ordres ou de normes identifiés à des « missions », voire à des « émissions » divines. Ce bonheur peut d’ailleurs, selon les cas, être présenté sociologiquement, soit comme un radical retrait du monde, soit comme une non moins radicale transformation de ce même monde, tandis que, psychologiquement, il peut être situé tantôt au sommet mystique d’une bienheureuse délectation, tantôt dans les âpres profondeurs d’un ascétisme de néantisation, ou encore au confluent de cette exaltation et de cette abnégation – todo y nada – jusqu’à confiner parfois au nihilisme. Ce messianisme, considéré comme mouvement à caractère essentiellement constructif et transformateur, comme « force agissante, vivante et pratique » (selon les termes de Kohn), est le domaine spécifique de l’investigation sociologique.

Jusqu’à une date relativement récente, la sociologie générale des messianismes comparés ne reposait guère que sur les deux ouvrages, fort riches, de Wilson D. Wallis : Les Messies chrétiens et païens (Messiahs : Christian and Pagan, 1918), et surtout Les Messies et leur rôle dans la civilisation (Messiahs : Their Role in Civilization, 1943). Mais depuis lors, cette étude scientifique, à laquelle on proposera de donner le nom de messialogie, connaît un renouveau spectaculaire. Un de ses champs les plus saisissants a sans doute été le foyer océanien, avec la luxuriance de ses cultes du cargo ou de l’avion miracle : les richesses, dont le débarquement est escompté sur un quai ou un terrain d’atterrissage dûment préparé, seront remises non plus aux Blancs mais aux autochtones, car les Ancêtres auront repris aux Blancs les secrets d’une prospérité et d’une abondance qui étaient bien à eux, in illo tempore, en ce temps bienheureux qui précéda la colonisation européenne. Les travaux de J. Guiart et de P. Worsley, entre autres, ont dessiné la géographie de ces attentes multiformes dans l’aire océanienne. Parallèlement, des phénomènes analogues étaient relevés dans les grandes aires de développement, en particulier en Afrique avec les revendications de dieux noirs ou de christs noirs, et en Amérique du Sud, avec l’orchestration eschatologique de jacqueries en chaîne. Les Indiens de l’Amérique du Nord avaient déjà connu ces paroxysmes avant leur parcage en réserves, et les Chinois avaient eu leurs Taïping avant que leurs insurrections ne se cristallisent en révolution. Ainsi, d’un bout du monde à l’autre, protestations ou révoltes sociales apparaissent à la fois amorcées et masquées dans une revendication religieuse : des hommes veulent un dieu qui soit le leur ; et cela entraîne soit l’apparition de ce dieu dans un personnage (messianisme), soit son annonce imminente par un messager (prophétisme), soit l’avènement d’un règne ou d’un royaume (millénarisme) antécédents ou conséquents à une telle apparition (postou prémillénarisme) ; une telle revendication implique, d’ailleurs, par choc en retour les postulats d’une politique d’émancipation sociale, économique et nationale.

Autour de cette constellation de phénomènes contemporains ou quasi contemporains, les recherches se sont prolongées dans deux dimensions, l’une historique, l’autre comparative. Car l’intérêt ainsi éveillé sur les messianismes de la géographie ou de la conjoncture allait se répercuter sur les messianismes de l’histoire, malgré des oblitérations attribuables à leur classement sommaire par des cultures dominantes dans des catégories tératologiques : filières médiévales étudiées par N. Cohn et E. Werner ; filières juives aux cadences parfaitement continues ; filières des left-wingers anglo-saxons ; filières concentriques à la Révolution française ; filières nationalistes européennes ; filières du socialisme utopique (avec, en particulier, ses messianismes féminins), etc. Presque partout, au creux de ces vagues et aux points où elles se ramassent in statu nascendi, se laissait déceler, en clair ou en filigrane, l’acte messianique, avec ou sans son personnage historique, historisé ou historialisé avec ou sans son royaume (belliciste ou pacifiste, micro- ou macromillénaire).

La dimension comparative fait l’objet entre autres d’une enquête publiée dans les Archives de sociologie des religions, et qui doit beaucoup aux tentatives qui l’ont accompagnée ou précédée, notamment le colloque de Chicago sur les « rêves millénaires en action », l’ouvrage de V. Lanternari sur les mouvements religieux des peuples opprimés, ceux de G. Guariglia, de W. Mühleman ou de M. I. Pereira de Queiroz. Dans cette ligne, il convient de souligner l’importance de deux œuvres adventistes : les Lacunziana de A. F. Vaucher et la grande encyclopédie de H. Froom. L’intérêt porté par les historiens de la religion aux messianismes devait, en effet, conduire à étudier l’adventisme pour lui-même et à y déceler une des traditions centrales d’un messianisme conséquent.

2. Les cycles messianiques

Messianismes et religions

L’aire des messianismes ne se confond pas mais interfère largement avec celle des religions. Wallis remarque que si les messies ont été plutôt rares dans le shintoïsme, le taoïsme et le confucianisme, ils ont été nombreux dans le judaïsme, l’islam et le christianisme. Il relève aussi des traces de messianisme dans l’ancienne Égypte et à Sumer et estime même qu’il n’est pas absent de cette religion de soumission qu’est le bouddhisme (attente des Bodhisattvas et particulièrement du millième et dernier Bouddha à venir, dont l’apparition provoquerait l’instauration d’un Âge d’or), et S. Fuchs a pu identifier des mouvements messianiques dans les religions indiennes. Quant à la religion zoroastrienne, elle entretenait spécialement la croyance en la naissance miraculeuse d’un descendant du prophète, descendant qui inaugurerait un règne de salut lié à des supputations millénaristes. En Extrême-Orient, les religions chinoises ont vu apparaître périodiquement sur leurs franges toute une tradition de sociétés secrètes et conspiratrices souvent liées à des jacqueries, et il n’est pas rare d’y relever des syncrétismes dont le noyau contient, peut-être à la suite de l’imprégnation chrétienne, quelque espérance messianique.

Pour la période judaïque préchrétienne, le fait messianique a été étudié par M. J. Lagrange dans un ouvrage qui demeure classique : Le Messianisme chez les juifs. Cependant, la découverte des manuscrits du désert de Juda a ravivé l’attention tant sur l’éventualité d’un messianisme pacifiste et ésotérique que sur l’existence, par contrecoup, d’un messianisme zélote. Pour expliquer ce messianisme juif préchrétien, on a souvent évoqué l’influence des bouleversements du VIIe siècle avant J.-C., la référence à la période davidique, la royauté se trouvant stimulée, en outre, par l’eschatologie des peuples orientaux rencontrés au cours de l’exil. Mais d’autres historiens, comme A. Lods, relèvent, avant même cette période, une espérance messianique dans la religion populaire.

À partir de l’ère chrétienne, le messianisme juif et le messianisme chrétien se différencient. W. D. Wallis a pu consacrer un chapitre de son investigation aux messies juifs. Ceux-ci ont été nombreux, en effet, non seulement autour des origines chrétiennes mais ultérieurement de siècle en siècle. A. Silver en a présenté également une large rétrospective allant des messies juifs préchrétiens et immédiatement postchrétiens (Bar Kokhba et la grande révolte de 135) jusqu’aux précurseurs du sionisme contemporain.

Si le fait messianique a connu dans le judaïsme et dans le christianisme son développement le plus important et le plus original, certains ont pu voir dans l’islam une branche du messianisme judéo-chrétien ou, du moins, de sa dimension apocalyptique concernant l’établissement d’un royaume (de Dieu) sans Église. « La mission de Mahomet est une page, la plus inattendue et la plus décevante pour les juifs, des antiques espérances messianiques » (Lagrange, Le Messianisme chez les juifs). En tout cas, ce messianisme est un fait (S. Friedländer, L’Idée messianique dans l’islamisme) et il a proliféré dans l’« hétérodoxie musulmane » comme dans l’« hétérodoxie » chrétienne (E. Blochet, Messianisme dans l’hétérodoxie musulmane). Sa plus célèbre manifestation est l’attente du Mahdi, qui a donné naissance à de multiples mouvements dont certains, plus spectaculaires ou plus récents, sont mieux connus, tels le babisme et le béhaïsme. On a même suggéré que la doctrine islamique du Mahdi pourrait représenter, hors de l’aire spécifiquement judéo-chrétienne, la conception la plus proche du messianisme juif.

Les cycles de l’aire chrétienne

C’est néanmoins dans les aires culturelles où le christianisme est devenu religion dominante que le fait messianique est particulièrement riche, ou du moins mieux connu. Après le cycle primitif des messies judéo-chrétiens, après le messianisme impliqué dans toute la tradition patristique du second retour ou du second avènement, apparurent en ces régions des cycles fort divers parmi lesquels on peut relever :

– Le cycle impérial dominé par le mythe de l’Empereur des derniers jours, mythe concernant non seulement le culte de Charlemagne mais les représentants ultérieurs de telle ou telle dynastie, et particulièrement virulent dans les controverses sur le leadership des croisades.

– Le cycle populaire du non-conformisme médiéval, dont N. Cohn a présenté une excellente rétrospective depuis les premiers messianismes médiévaux comme ceux des tanchelmites, jusqu’au règne messianique de Jean de Leyde dans le millénarisme égalitaire de Münster assiégée. Leur paroxysme est sans doute atteint dans la grande guerre des paysans allemands, étudiée par F. Engels, et chez son leader Thomas Münzer, dont E. Bloch a analysé la théologie de la révolution ; il y a là également un chaînon important dans l’histoire des messianismes, si c’est bien par ce mouvement, comme le propose Karl Mannheim, que le soulèvement chiliastique médiéval et la révolution moderne furent structuralement intégrés.

– Le cycle de la post-Réforme, plus particulièrement repérable chez certains left-wingers – levellers, diggers, premiers quakers – en liaison avec la révolution politique et industrielle anglaise, ou dans certains conventicules piétistes allemands.

– Probablement un cycle plus typiquement janséniste, étrangement lié au triple thème de la conversion des juifs, de leur retour en Judée et de la reconstruction du Temple.

– Un cycle missiologique catholique, où se rangent des nouvelles chrétientés latino-américaines. Ce cycle a comme objectif soit la rechristianisation de l’Ancien Monde, soit l’arrêt de la perversion du christianisme qu’aurait impliquée et véhiculée la colonisation. Telle est, par exemple, la position de Jérôme de Mendieta. Ce messianisme catholique d’inspiration joachimite ou iñiguiste a même pu, en certains cas, revêtir des formes autochtones, ainsi dans la fondation des réductions guaranis.

– Le cycle d’Amérique du Nord du XVIIe au XIXe siècle ; il représente souvent l’aboutissement de la post-Réforme à travers des micro-expériences sociales qui constituent vraisemblablement le chaînon intermédiaire entre les dissidences religieuses et les socialismes utopiques (par exemple labadistes, kelpiens, ephrata, shakers, rappites, zoarites).

– Le cycle russo-polonais : la situation ecclésiologique créée par le Raskol suscite mainte effervescence messianiste dans des sectes ou des mouvements populaires russes (cf. E. Sarkisyanz, Russland und der Messianismus des Orients) ; de même, à partir de la situation politique engendrée par le partage de la Pologne, apparaissent des messianismes divers (Towianski, A. Mickiewicz) annonçant la résurrection de la nation victime.

– Le cycle de la Révolution française : celle-ci, en effet, a été interprétée comme un événement messianique non seulement en France, avec Suzette Labrousse, Pontard et son Journal prophétique, mais aussi, et peut-être surtout, dans le christianisme anglo-saxon, plus ou moins héritier des left-wingers.

– Les cycles postrévolutionnaires, qui comprennent celui du Grand Monarque ou du Monarque fort, lié à des tentatives de réhabilitation ou de restauration de certaines lignées monarchiques (vintrasisme), et celui des nouveaux christianismes, qui, à travers les courants français, anglais ou allemands du socialisme utopique, annonce une ère « messiaque ».

– Les cycles contemporains des pays sous-développés, qui apparaissent dans trois aires principales : dans l’aire océanienne, où l’on a pu établir une première géographie de quelques dizaines de messianismes véhiculés à travers les cultes du cargo (cf. Archives de sociologie des religions, V, pp. 38-47) ; dans l’aire africaine sud-saharienne, domaine des messianismes noirs analysés par G. Balandier et par E. Anderson entre autres, ainsi que des messianismes sud-africains, qui sont plutôt des prophétismes que des messianismes, et ont été examinés par B. Sundkler ; dans l’aire sud-américaine, qui a donné lieu à de nombreuses études, citées, reprises, prolongées ou renouvelées par les contributions de R. Bastide, A. Metraux, M. I. Pereira de Queiros. À ces aires, où les faits messianiques se présentent avec une étonnante densité, il conviendrait d’adjoindre celles de l’Italie du Sud ou de l’Andalousie, explorées récemment par Eric Hobsbawm, et celle de l’Amérique du Nord, avec ses messies indiens du siècle dernier ou avec ses messies noirs contemporains.

Il n’existe pas encore aujourd’hui d’inventaire systématique des faits messianiques à travers ces différents cycles de l’ère chrétienne, et M. Eliade écrit même : « L’interprétation historico-religieuse de ces microreligions millénaristes est à peine commencée. » Mais il ajoute : « Tous ces phénomènes ne deviennent complètement intelligibles que dans la perspective de l’histoire des religions. » C’est à cette perspective historique et comparative que se réfèrent, sinon l’interprétation, du moins les classifications ou propositions de classifications qui suivent.

3. Typologie du messianisme

Les matériaux concernant les faits messianiques non chrétiens et chrétiens se présentent aujourd’hui encore en ordre dispersé et avec des contenus hétérogènes. Cependant cette sociographie descriptive suggère une certaine typologie du phénomène messianique qui pourrait se construire selon trois lignes essentielles.

Les personnages

Le personnage historiquement présent

Le personnage du Messie peut être soit prétendant, soit prétendu. Le prétendant à la messianité se réclame généralement d’un lien natif avec la puissance divine suprême, maîtresse de l’histoire universelle. Il est son père, sa mère, son fils, son épouse, etc. Ou encore, il apparaît, sous la forme d’un être redivivus, comme le dieu lui-même ou l’ancêtre divin. Dans tous les cas, la prétention personnelle à la messianité s’accompagne d’une certaine autodéification. Cette prétention peut être explosive (à la suite d’un songe, d’une révélation) ; elle est le plus souvent progressive : on est d’abord messager, envoyé, prophète de Dieu, et c’est peu à peu que la conscience de la mission se métamorphose en conscience de la messianité. Cette prétention, enfin, peut être exclusive (messianité d’un individu) ou partagée (messianité d’une lignée, d’une ethnie ou d’une ecclesiola).

Le Messie prétendu ne revendique pas lui-même son titre de Messie, qui lui est attribué soit par le cercle, soit par la postérité de ses disciples. À la limite, ce cercle ou cette postérité non seulement lui donnent le titre de Messie, mais encore lui confèrent ou lui inventent son historiographie ou son historialisation. Le plus souvent, cependant, cette attribution subséquente se greffe sur un personnage historiquement présent mais dont la conscience n’était encore que celle d’un être chargé d’une mission divine, sans prétendre lui-même à la conscience proprement messianique. La conscience collective précède ainsi et catalyse la prétention de la conscience individuelle à la messianité. L’individu est d’abord Messie prétendu avant d’être prétendant.

Le personnage historiquement absent

Il existe des cas où le phénomène messianique repose soit sur une historicisation subséquente, soit sur une sublimation perspective ou rétroactive. Souvent alors, le personnage messianique ne se laisse définir et désigner que par la présence de l’antipersonnage ou Antimessie (Antichrist) ou même par l’imminence et la surabondance des événements qui constituent un antitype du royaume messianique (thème du « débordement de la coupe »). Mais on trouve également d’autres « formules » relativement fréquentes selon les types de messages messianiques. Elles représentent, pour ainsi dire, un calcul des degrés de l’absence et peuvent prendre, par exemple, les expressions suivantes : le personnage est venu mais personne ne le connaît ; à la limite, il ne se connaît pas lui-même. Il est venu mais il demeure caché, seuls quelques-uns le connaissent. Il n’est pas encore venu mais il est imminent (attente et supputations concernant la mère). Il est venu mais il est reparti et il attend pour reparaître. Il est là, il attend, mais ceux pour qui il est venu ne veulent pas le reconnaître. Il est définitivement ailleurs mais sa place doit demeurer libre et personne ne saurait l’occuper, etc.

Les vicaires du personnage

Entre la présence ou l’absence radicalement différenciées, il y a place pour bien des solutions intermédiaires. Elles peuvent se regrouper autour de la conception d’une présence vicariale, antécédente, concomitante ou subséquente. Les types de personnages les plus fréquemment rencontrés sous cette rubrique sont les suivants : le prédicateur-ascète itinérant qui se hissera ou sera hissé jusqu’à la conscience messianique sous la pression de la conscience et de l’effervescence collectives ; le prophète ou simplement la prophétie ; le précurseur (sans parler du « postcurseur » revendiqué par C. Fourier) ; l’allié consentant (généralement un lieutenant habilité à être le bras séculier de la démarche messianique) ; l’allié malgré lui (le fléau de Dieu) ; enfin le pontife théocrate.

Les règnes ou les royaumes messianiques

Même si ces nouveaux règnes impliquent toujours un lien entre des facteurs religieux et des facteurs sociaux également nouveaux, ils peuvent être caractérisés par la prédominance de tel ou tel niveau d’intérêt.

Le messianisme peut être dominé par un projet de réforme religieuse, ecclésiologique ou culturelle ; mais ce projet s’accompagne d’une abstention ou d’une « grève » socio-religieuse plus ou moins radicale à l’égard du monde existant, au moins vis-à-vis des « cultes » dominants. On en vient même parfois à la vente de tous les biens et au refus du travail, comme dans l’expectation adventiste primitive ; le plus souvent, on se retranche dans une vie « hors du monde » en fondant des conventicules.

Le règne peut prendre un aspect principalement politique. L’établissement de dynasties, l’achèvement de régimes ou même l’éclosion des nationalités s’accompagnent fréquemment de spéculations et de dimensions messianiques ou paramessianiques, qui s’observent, par exemple, dans l’histoire de la France, de l’Allemagne, de l’Italie, de la Pologne ou de la Russie. Ce phénomène rejoint et prépare l’attribution de droits divins à l’autorité politique, ainsi qu’on le voit par l’histoire des religions.

Dans d’autres cas, on rencontre un messianisme économico-social. En effet, l’histoire des révoltes sociales, comme celle des nationalités, manifeste souvent une affabulation messianique. On a même prétendu que la révolution soviétique elle-même aurait reposé sur un phénomène de ce genre ; cette corrélation est particulièrement claire lorsque la révolte sociale se conjugue avec la lutte pour l’indépendance nationale. Ainsi en est-il des messianismes contemporains dans les pays sous-développés d’Océanie ou d’Afrique.

Le nouveau règne est souvent conçu, selon une perspective sexuelle et familiale, comme étant celui où il n’y aura plus « ni homme ni femme ». Cette conception donne à son tour naissance à des variantes dans les régimes proposés : ascétisme monastique ou néo-manichéen, affinitarisme libertaire ou combinaisons mixtes avec des prescriptions variables portant sur l’endogamie, l’exogamie, la polygamie (mormons) ou le mariage plural (onéidistes) ; à la limite, affabulations sur l’androgynie.

L’ambition du nouveau règne peut aller jusqu’à des visées naturistes et vouloir affecter des régimes encore plus fondamentaux ; régimes de la consommation alimentaire (tabous ou antitabous de tels ou tels aliments) ou vestimentaires (adamites, doukhobors, naked cults) ; régime de reproduction (fréquence du thème des vierges mères) ; ou même régime de la mort et de l’immortalité (métempsycose, résurrections successives, autorité du personnage ou de l’antipersonnage redivivus).

Le nouveau règne peut enfin prendre une signification cosmique et s’étendre au monde végétal, animal et astral, en rejoignant les prédictions poétiques, profanes ou sacrées de l’Âge d’or : économie d’abondance, paix universelle, modification des climats, redressement de l’axe terrestre, nouveaux rapports des vivants et des morts, etc. À ce stade, la sociologie du messianisme rejoint la sociologie de l’utopie.

Cette diversité de niveaux est cependant traversée par un trait à peu près constant : celui du retour ou de la répétition. Le nouveau règne messianique est une réédition en avant d’un régime plus ou moins identique expérimenté en arrière. Cette référence peut concerner une fondation antérieure : celle, par exemple, du christianisme dit primitif, celle d’une période économico-sociale d’avant les catastrophes déplorées, celle d’un monde originel (paradis perdu) ou celle du monde, submergé par la colonisation ou les guerres, des ancêtres vertueux et indépendants. Il est rare que, dans sa nouveauté même, le règne messianique n’en appelle pas du présent à un passé lointain, inconnu, oublié ou inconscient pour fonder son projet d’avenir. Il n’évoque un point oméga qu’en invoquant un point alpha.

Les supputations

Les deux typologies précédentes se retrouvent et se redistribuent dans quelques classifications communes aux « personnages » et aux « royaumes ».

Messianismes et millénarismes

La conscience messianique surgit souvent dans le milieu historique et social avant de se cristalliser sur un personnage et, a fortiori, avant d’être entérinée ou revendiquée par celui-ci ; et il y a tant de manières d’être un personnage divin (envoyé de Dieu, homme de Dieu, descendant ou ascendant de Dieu) que, souvent aussi, par une connivence ambiguë, un même titre peut recouvrir des significations totalement différentes aux yeux de l’initiateur ou de ses adeptes. Mais, d’une part, le contexte millénariste peut demeurer en deçà du messianisme : tantôt le personnage ne surgit pas, tantôt, s’il surgit, il fait lui-même obstruction à la qualification messianique, ou bien il en obtient le transfert à une entité suprahistorique, se cantonnant personnellement dans la fonction de précurseur. D’autre part, le surgissement du personnage peut précéder la nostalgie milléniale, voire la provoquer, et ainsi ce dernier trouvera ou non audience, risquant encore, s’il y réussit, d’achopper sur une distorsion entre l’émission et la réception des messages. Les relations entre le personnage et le royaume n’obéissent pas à une logique unilatérale : elles sont complexes, variables et la plupart du temps réciproques.

Prémillénarisme et postmillénarisme

La distinction entre prémillénarisme et postmillénarisme alimenta des controverses copieuses. Elle connote approximativement deux caractéristiques concernant respectivement un processus social d’intervention et une conception théologique de la grâce.

Dans le prémillénarisme, le royaume de Dieu intervient ex abrupto par un processus révolutionnaire, rompant la chaîne des causalités naturelles et historiques, visitant le monde par une véritable effraction pour le désintégrer en le réintégrant ou non à un niveau plus ou moins proche de l’ici-bas ou de l’au-delà. D’autre part, cette intervention est le fait d’une initiative caractérisée par une other worldness (miséricorde ou colère) ; sans elle, l’action de l’homme ne peut rien pour le royaume millénial ; elle vient avant (pré), lui, et seule elle le rend possible.

Dans le postmillénarisme, le royaume de Dieu s’instaure progressivement par un processus évolutif qui s’intègre dans l’enchaînement des faits historiques (sociaux et ecclésiastiques) et oriente le monde, selon la logique interne de son évolution sociale et religieuse, vers un point de maturité où il portera le royaume millénial ou messianique ainsi qu’un arbre porte un fruit. En second lieu, l’action de l’homme, religieusement animée et contrôlée, non seulement ne s’oppose pas à cet avènement ultime mais elle est de nature à en accélérer le rythme : en tout cas, le millenium vient après (post) cet effort humain collectif, qui est une de ses conditions préalables.

On pourrait également ajouter : ce que le prémillénarisme attend d’une descente de haut en bas dans l’espace, le postmillénarisme l’escompte d’une progression de bas en haut dans le temps. Pour l’un et pour l’autre, cependant, l’Âge d’or est en avant.

C’est sans doute en pensant à leur dimension commune – le millenium comme Eden en avant de l’histoire humaine – que E. L. Tuveson s’est efforcé d’y discerner une source théologique – avant l’acculturation – des philosophies ou des théosophies du progrès. Encore conviendrait-il de distinguer entre les deux filières de l’acculturation et de se demander : si les théories optimistes et linéaires du progrès continu trouvent, en effet, leur arrière-plan (background), comme le propose Tuveson, dans des postmillénarismes peu à peu sécularisés, les prémillénarismes ne seraient-ils pas, eux aussi, de nature à fournir, moyennant leur propre sécularisation, un arrière-plan à certaines pratiques pessimistes et tranchées d’une révolution discontinue ?

Micromillénarisme et macromillénarisme

Le projet de renouvellement – « cieux nouveaux et terres nouvelles » – spécifique du règne messianique peut affecter de deux manières le régime socio-religieux établi : ou bien, il agit au maximum sur l’ensemble, et éventuellement de l’intérieur de ce régime, de façon à le transformer en royaume de Dieu, les armes de ce macromillénarisme pouvant d’ailleurs, selon les cas, être non violentes ou violentes ; ou bien, au contraire, en se distinguant le plus possible du régime, il forme à l’extérieur de celui-ci une micro-société qui, pour être exiguë, n’en prétend pas moins à être globale. Si l’on prend comme exemples le macromillénarisme de la théologie münzérienne et le micromillénarisme des sociétés shakers, on voit que dans les deux cas il s’agit bien d’un « royaume de Dieu » dans la catégorie de l’immanence, mais, dans le premier, il s’agit de la société elle-même à transformer en théocratie et dans le second, d’une société théocratique en marge d’une société jugée comme rédhibitoirement non transformable. Cette opposition fut peut-être celle qui différencia messianisme essénien et messianisme zélote, messianisme chrétien paulinien et messianisme juif de Bar Kokhba, ou, ultérieurement ce qu’il y a de millénarisme dans le manichéisme et ce qu’il y a de manichéen dans le messianisme mazdakite.

Violence et non-violence

Il est assez rare de ne pas déceler, même dans les micromillénarismes, une intention d’absorber finalement, par la logique même de la non-coopération, la société dans les marges de laquelle le mouvement s’inscrit. Réciproquement, on trouve assez souvent dans un macromillénarisme la constitution d’un corps minoritaire sélectionné, soumis à une discipline propre et destiné à actionner ou contrôler la transformation projetée : Joseph Smith, apôtre de ce macromillénarisme qu’est le mouvement des mormons ou Église des saints du Dernier jour, avait, par exemple, un corps apostolique, une garde et même une police secrète. T. Münzer avait également constitué une ligue de ce genre. Aussi bien, le principe de la « minorité agissante » se retrouvant ici ou là, une distinction supplémentaire peut être relevée dans la nature des moyens, violents ou non violents, mis en œuvre par telle ou telle minorité.

La tradition millénariste des moyens violents peut se réclamer d’une longue tradition. Sans remonter jusqu’à Bar Kokhba ou aux divers messies militaires des guerres juives, le chiliasme médiéval fournirait un bon échantillonnage de messies ou pseudo-messies prêchant l’inauguration du royaume dans un bain de sang « jusqu’au poitrail des chevaux » ; il est vrai que l’antichiliasme représenté par l’appareil inquisitorial ne se signalait pas non plus par une particulière douceur. N. Cohn a exhumé le projet indubitablement millénariste d’une Fraternité de la croix jaune qui donne, avec des analogies stupéfiantes, un avant-goût de sa postérité, le parti de la Croix gammée. Plus tard, la Ve monarchie (Fifth Monarchy Men) se signala comme organisatrice d’émeutes et de conspirations. Et cet authentique chiliaste que fut W. Weitling ne rêvait-il pas d’ouvrir les prisons et de convier les criminels libérés à l’extermination du désordre existant ?

La tradition non violente est pour le moins aussi ancienne et aussi continue. Son arme est la non-coopération, forme quasi ontologique d’une grève gestionnaire qui peut entamer plus ou moins profondément les dispositifs biologiques, moraux, cultuels ou culturels de l’environnement. Le refus de la manipulation de la monnaie en est une des formes les plus régulières (y compris la forme du frater bursarius chez les fraticelles). Mais il en est d’autres qui caractérisent cette tradition : refus de la nourriture carnée, de la reproduction, du mariage, du commerce, de la médecine, de la production industrielle ou du voisinage des villes, refus du culte ecclésiastique et d’un clergé ministériel, des tribunaux et du serment, du service militaire, de l’impôt, de l’électorat et de l’éligibilité, de l’alcool et du tabac, etc. Il n’est pas un de ces refus qui ne soit l’envers négatif dont une structure ou un régime positifs entendent constituer l’endroit par la découverte ou la redécouverte d’un mode de vie jugé édénique ou chrétien primitif.

De ces quelques codifications grossières suggérées par la population messianiste ou messianisante (telle qu’elle a été recensée par H. Desroche, Dieux d’hommes. Dictionnaire des messies, messianismes et millénarismes de l’ère chrétienne), il convient de souligner encore les limites et la relativité. En effet, malgré l’intensité des explorations et des compilations, une inconnue subsiste toujours, qui peut être une infraction à la règle cartésienne des dénombrements entiers. On n’est jamais certain d’un tel dénombrement, non seulement en raison de la multitude ou de la difficulté des sources, mais aussi parce que les faits messianiques sont de ceux qui sont le plus facilement transformés par la mémoire collective : en effet, s’ils peuvent être créés ou promus par cette mémoire collective, ils peuvent être aussi refoulés ou éliminés par elle. Ainsi, devant une aire culturelle ou une phase historique apparemment sans faits messianiques, comme d’ailleurs devant le fait d’une « combinaison messianique » sans réalité correspondante offerte à l’observation, se demandera-t-on toujours si ce « sans » est le fait d’une réalité initialement nulle ou bien d’une réalité finalement annulée.
Le Messie dans le tétragramme Kekb
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