Andres Segovia
Toutes les transcriptions ne sont pas équivalentes. Dans l'édition originale de l'oeuvre de John Duarte, il y avait des fautes évidentes à corriger. Si certaines fautes semblent évidentes à détecter, toutes ne le sont pas. Comment, a fortiori, peut-on être certain des corrections qu'on apporte à un texte écrit de la main d'un compositeur qu'on n'a pas connu ?
La musicologie est un travail scientifique
Pour cela, les méthodes ne suffisent pas, il y a toujours une bonne partie d'intuition. Quand l'oreille tombe sur un passage étrange, c'est un premier indicateur. À partir de l'étude du texte, on en déduit que certaines choses ne sont pas logiques. Souvent, c'est une altération qui a été oubliée.
Parmi tous les travaux musicologiques menés pour la guitare classique - Villa-Lobos, Giuliani, Tansman, Tedesco, Sor - tous ne sont pas passionnants. Les "Douze Études" de Villa-Lobos est un exemple car le texte est particulièrement faible dans sa première édition. Le problème ne vient pas de l'aspect éditorial. En consultant les manuscrits et les lettres, on comprend que cela venait du fait que Villa-Lobos avait écrit deux fois les Études. Il faut rappeler qu'il s'est trouvé à un moment de sa vie dans l'impossibilité de retourner en France pour travailler avec son éditeur, en raison du coup d'état de 1930, qui l'a empêché de sortir du pays pendant vingt ans. C'est là qu'il a commencé à réécrire ses oeuvres pour guitare, sur la base des notes qu'il avait prises au début. Cette seconde écriture concerne surtout les Études et la Suite populaire brésilienne. À l'époque, envoyer une épreuve à corriger n'était pas aussi simple qu'aujourd'hui et la probabilité de la perdre était élevée. En d'autres termes donc, il était très difficile de préparer des éditions de loin et d'expédier des épreuves à corriger.
Villa-Lobos
Alexandre Lagoya et Alirio Diaz, allaient voir Villa-Lobos tous les ans lors de ses séjours à Paris. Villa-Lobos entretenait les ongles à sa main droite. À partir du milieu des années 1950, ils lui ont joué sa musique pour guitare pour la travailler avec lui. C'étaient de véritables leçons, c'est-à-dire qu'il n'était pas particulièrement intéressé de les écouter, mais plutôt par le fait d'expliquer des choses, surtout sur l'harmonie. Il a vraiment joué de la guitare toute sa vie. Si on regarde avec attention les photos d'époque, on voit qu'il a toujours des ongles, pas très long certes, mais il en a. Alors que dans l'autre main, il n'en a pas. Il existe deux courts enregistrements qui sont révélateurs de ce qu'on disait sur lui. En effet, Segovia racontait que Villa-Lobos jouait très mal de la guitare car il ne travaillait pas, ce qui était probablement vrai. Par exemple, l'enregistrement du Prélude n° 1 est révélateur de sa manière de concevoir un portamento et de son expressivité à la guitare, qui se rapproche beaucoup de celle du violoncelle — l'unique instrument qu'il ait joué en concert. Dans l'enregistrement du Chôro n° 1, qui n'est même pas complet, on comprend immédiatement comment un musicien brésilien joue une syncope, chose qui n'a rien à voir avec certaines interprétations que l'on écoute souvent chez les guitaristes européens.
Mauricio Giuliani
Il est toujours difficile de rentrer dans le contexte culturel de cette époque, finalement assez éloignée de nous. Le personnage de Mauro Giuliani est assez semblable à celui de Leo Brouwer. C'est une personne qui n'a rien inventé et qui reprend ce qui se passe dans le monde de la grande musique : la musique de Vienne avec Haydn et Beethoven, et la musique italienne avec Rossini. Il a simplement transformé en un langage qui sonne bien à la guitare tout ce que ces gens-là avaient proposé à un autre niveau avec, bien sûr, des différences de qualité. Il réussit à faire en sorte que cela sonne bien et que cela soit facile à la guitare. En réalité, la musique des Rossiniane n'est pas simple à reproduire, mais elle est idiomatique et valorise l'instrument. Elle ne le laisse pas avec une voix un peu étouffée comme font certains auteurs modernes (par exemple la pièce d'André Jolivet, qui est très belle et construite de façon géniale, mais qui ne se révèle pas vraiment sur l'instrument).
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