France Présidentielle 2022

S’ils s’opposent désormais politiquement jusque devant les tribunaux, Jean-Marie et Marine Le Pen doivent encore se serrer les coudes sur le plan financier et judiciaire. Depuis janvier, le père et sa fille, respectivement fondateur et présidente du Front national, sont visés par une enquête judiciaire sur leurs déclarations de patrimoine, que la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique les soupçonne d’avoir sous-évalué d’environ deux tiers – et notamment leurs parts dans la société civile immobilière qui détient le manoir familial de Montretout, sur les hauteurs de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine). Cette enquête, qui porte initialement sur Jean-Marie Le Pen pour des faits présumés de fraude fiscale aggravée, blanchiment de fraude fiscale et déclarations de patrimoine inexactes, a été élargie à la présidente du Front national. Ce n’est pas la première fois que le patrimoine des Le Pen fait l’objet d’interrogations. Mais cette fois-ci est également concernée la fille cadette du fondateur du fn.

2La question de l’argent a ponctué l’histoire du Front national. Elle a aussi été un révélateur de la gestion personnelle et hypercentralisée du parti par les Le Pen. Leurs entourages ont souvent raconté leur fascination – voire leur « obsession » – pour l’argent. « Ne jamais oublier que le fil rouge de Le Pen, c’est l’argent », soulignait en 2011 Lorrain de Saint Affrique 

Pascale Nivelle, « Elle n’a rien d’une blonde », Libération,…, l’ancien conseiller en communication de Jean-Marie Le Pen, qui a repris du service auprès de lui après sa brouille avec la nouvelle présidente du fn. « Le Pen devient fou quand il s’agit d’argent », avait témoigné la même année l’ancien imprimeur historique du Front national, Fernand Le Rachinel 

Entretien avec Caroline Fourest et Fiammetta Venner, 26 avril…. Loin de cette image, père et fille se présentent depuis des décennies comme les défenseurs des petites gens. « Le Pen, le peuple », affichait le slogan de campagne du fondateur du fn lors de l’élection présidentielle de 1988. « La voix du peuple », paraphrasait Marine Le Pen sur ses affiches en 2012. Jean-Marie Le Pen a souvent raconté qu’il avait « connu le froid, la faim, la pauvreté » durant son enfance. Sa fille, elle, a presque réussi à faire oublier son statut d’héritière, jusque dans le Nord-Pas-de-Calais, où elle se présente depuis 2007. Même si, dans leurs piques, ses adversaires l’ont parfois surnommée « la châtelaine de Montretout ».

Le « système » Le Pen

3Car c’est un héritage qui a permis à Jean-Marie Le Pen de vivre de la politique : celui du fils du fondateur des cimenteries Lambert. En 1976, Hubert Lambert décède à 42 ans et lègue au fondateur du fn l’intégralité de sa fortune, alors évaluée à 30 millions de francs (plus de 4,5 millions d’euros) 

Bulletin quotidien « Un mouvement d’extrême droite… : des avoirs bancaires et financiers, et des biens immobiliers, dont son hôtel particulier de Montretout, composé d’un bâtiment principal de 430 mètres carrés sur trois niveaux, de dépendances de 350 mètres carrés, sur un parc de 4 670 mètres carrés. Cet héritage – qui a donné lieu à une longue bataille judiciaire avec la famille du défunt, avant un règlement à l’amiable – va radicalement changer la vie de Jean-Marie Le Pen. « Sans Lambert, pas de fn. Sans Le Pen, pas de Lambert », résume en 2013 Lorrain de Saint Affrique 

Entretien avec Valérie Igounet, 5 novembre 2013, ibid.. S’il a puisé sur ces fonds, que Lambert destinait à la politique, le fondateur du fn s’est bien gardé de mettre cet héritage au nom du Front national, alors couvert de dettes. Ce qui a suscité une certaine incompréhension en interne, comme l’a raconté l’historienne Valérie Igounet 

Ibid., parlant d’un sujet « tabou ». Arrivé au Front national en 1978, l’ancien secrétaire général du fn Carl Lang se souvient que « tout le monde savait que Jean-Marie Le Pen ne mettait pas l’argent de l’héritage Lambert dans le Front national […]. Mais cela servait indirectement à la cause fn. Cela le rendait indépendant financièrement et lui donnait une immense liberté. Il a dû financer en partie la campagne présidentielle de 1981 

Entretien avec l’auteure, 12 janvier 2016. ».

4Dans son autobiographie 

Marine Le Pen, À contre flots, Paris, Grancher, 2006., Marine Le Pen avait relayé la version officielle : « Hubert Lambert n’était pas l’oncle caché d’Amérique par où vous vient la bonne fortune. C’était un ami de Le Pen. » Selon elle, Lambert aurait dit au fondateur du fn : « Je veux que tu sois libre de faire de la politique, de t’y consacrer […]. Je ne veux pas que tu sois contraint de sortir de ta route pour des conditions matérielles […]. Donc je te fais mon héritier […], tu t’en serviras pour défendre les idées nationales. » « Moi, la politique ne m’a pas enrichi, elle m’a appauvri », affirmait Jean-Marie Le Pen en 1995 

« La France en direct », France 2, 13 mars 1995., ajoutant : « Mais c’est à cela que l’argent doit servir : à donner aux hommes la liberté et la dignité. » Le fondateur du fn a pourtant bénéficié d’autres héritages de la part de riches sympathisants, parmi lesquels le marchand de biens Julien Le Sabazec, mort en 1974 ; ou encore Henri Bussière, un retraité vosgien décédé en 1994, dont les biens étaient estimés à au moins 500 000 francs (soit près de 70 000 euros). Le leader frontiste a joué avec les frontières floues entre sa vie privée et sa vie publique. Ces héritages s’adressaient-ils à Jean-Marie Le Pen en tant que personne ou au président du Front national ? En 1997, Lorrain de Saint Affrique avait assuré qu’il y avait eu « beaucoup d’autres » legs qui n’avaient pas donné lieu « à des procès et qui par conséquent [avaient été] intégrés directement au patrimoine de Jean-Marie Le Pen » alors qu’ils auraient dû bénéficier au fn 

« Envoyé spécial : Le Pen dans le texte », France 2, 20 février…. La sœur d’Henri Bussière gagnera ainsi sa bataille judiciaire 

« Jean-Marie le Pen a été débouté de sa demande en appel… face au président du fn en démontrant que le défunt avait rédigé un premier testament en faveur du Front national, qui avait été modifié, comme le suggérait le trésorier du parti, en faveur de « Jean-Marie le Pen, président du Front national » – un parti politique ne pouvant recevoir de legs. Marine Le Pen était alors l’avocate de Jean-Marie Le Pen.

5Cette porosité entre les sphères privée et publique s’est manifestée dans les comptes du Front national dans les années 1980-1990. « Le fn a tellement brouillé les pistes que distinguer les ressources tirées de la fortune personnelle des dirigeants des contributions des militants, des élus ou des bailleurs de fonds du monde économique relève de la mission impossible », constate Le Monde en 1992 

« Un système financier hypercentralisé », dossier « Le Front…, évoquant un système de financement « artisanal ». Face à la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, les trésoriers du fn s’étaient montrés « incapables de fournir un bilan des comptes de leur campagne présidentielle de 1988 », relate aussi le quotidien.

6Jean-Marie Le Pen comme sa fille ont successivement mis en place un système financier hypercentralisé, tenant fermement les cordons de la bourse, et plaçant des proches au poste de trésorier. Dès la première scission, avec Ordre nouveau 

Descendant d’Occident, Ordre nouveau est un mouvement…, en 1973, Jean-Marie Le Pen se pose en propriétaire de la « marque » Front national. « Au Front, le président a pratiquement les pleins pouvoirs, les statuts l’ont toujours prévu, rappelle Carl Lang 

Entretien avec l’auteure, 12 janvier 2016.. C’est la méthode romaine : un système très centralisé, le président choisit le trésorier du fn, le secrétaire général, etc. Les questions financières, en dehors des adhésions, Jean-Marie Le Pen n’en parlait jamais, y compris avec ses lieutenants. Il n’était même pas envisageable de poser des questions. C’est un homme secret, qui cloisonne énormément. » Cette gestion personnelle transparaît dans le système de micro-partis utilisé par les Le Pen. S’ils sont loin d’être les seuls à recourir à ce système de « partis de poche » qui permet de se constituer des cagnottes indépendantes de leur parti, Jean-Marie et Marine Le Pen ont été pionniers en la matière. Le fondateur du fn crée ainsi, en 1988, le premier micro-parti : l’association de financement « Cotelec » (acronyme de « cotisation électorale »), domiciliée à Montretout. Il en confie successivement les manettes financières à deux très proches : son vieil ami, l’éditeur Jean-Pierre Mouchard (jusqu’en 1997), puis son majordome et assistant personnel, Gérald Gérin (à compter de 1997). L’objectif ? Recevoir à son nom des dons de sympathisants, contracter des emprunts et prêter à son tour au Front national ou à ses candidats.

7En 2010, cette micro-structure vient au secours du fn, au bord de la faillite (le parti comptait alors 10 millions d’euros de dettes). Cotelec prête 2,8 millions d’euros et devient ainsi son deuxième créancier. Depuis 2011, le micro-parti a obtenu en moyenne 220 000 euros de dons chaque année (à l’exception de l’année 2014, où 388 euros ont été collectés), il a emprunté en moyenne 2,2 millions d’euros par an et prêté d’importantes sommes au Front national : près de 3 millions d’euros en 2012, plus de 4 millions en 2013 et 3,3 millions en 2014. Selon Franck Timmermans 

Entretien avec Valérie Igounet, 9 mai 2013, in Le Front…, un ancien cadre dirigeant du fn qui avait rallié Bruno Mégret 

Numéro deux du Front national, Bruno Mégret provoque une…, Jean-Marie Le Pen voulait créer « une structure indépendante du fn » qui puisse « constituer un fichier qui déborde largement le cercle politique fn » et « apporter un maximum d’argent pour ses campagnes électorales ». D’après lui, « le fonctionnement de Cotelec a bénéficié d’une opacité incontestable […]. S’est mis en place un fichier parallèle sans que les fédérations puissent obtenir une quote-part sur les dons ni une mise à jour des fichiers. Le fn a été ainsi privé d’un certain nombre de soutiens et de prospections possibles de par les méthodes souvent confiscatoires de son président ». « C’était une machine à recueillir des dons, pour que les dons à la cause fn soient versés à Cotelec et non aux mandataires financiers du fn, confirme Carl Lang 

Entretien avec l’auteure, 12 janvier 2016.. Jean-Pierre Reveau, le trésorier du fn, n’avait pas connaissance du fichier Cotelec. C’était parfaitement légal, mais moralement condamnable. »

8Quelques mois avant son élection à la tête du Front national, en 2011, Marine Le Pen marche dans les pas de son père en créant son propre micro-parti, baptisé « Jeanne ». Elle en confie elle aussi l’animation à son tout premier cercle : le groupe des anciens du gud (Groupe Union Défense – un syndicat étudiant d’extrême droite aux méthodes violentes), fédéré par un vieil ami de fac, Frédéric Chatillon, ancien employé de la librairie d’extrême droite Ogmios. Au poste de trésorier de Jeanne, elle désigne un comptable issu du même groupe, Olivier Duguet – qui sera condamné en juin 2012 à six mois de prison avec sursis dans une affaire d’escroquerie à Pôle emploi 

Marine Turchi, « L’escroquerie à Pôle emploi du trésorier du… –, puis son ami Axel Loustau, patron d’une société de sécurité privée, qui ne cache pas son hostilité à la presse 

Des journalistes du Monde et de Mediapart.fr en ont fait les…. Si ce groupe n’est pas officiellement encarté au Front national, Marine Le Pen en a fait son équipe bis. Dès 2007, elle évince l’imprimeur Fernand Le Rachinel, avec l’aide de son ami Philippe Péninque, un ancien avocat fiscaliste et ex-leader du gud lui aussi. « Il y avait un aspect politique, se souvient l’avocat de l’imprimeur, maître Robert Apéry 

Entretien avec l’auteure, 3 février 2015., qui consistait à mettre sur la touche une partie des pro-Gollnisch [Bruno Gollnisch, ex-numéro deux du fn], et un aspect financier : celui de récupérer des marchés. À l’époque, j’ai eu plusieurs rendez-vous avec Marine Le Pen, qui répétait : “Rien ne se fera sans mon accord.” Elle montrait qu’elle tenait déjà les cordons de la bourse. » Pour précipiter sa mise à l’écart, Fernand Le Rachinel est accusé de malversations dans un audit du Front national rédigé par Philippe Péninque. Ce « rapport d’audit » 

Rapport en possession de l’auteure. va justifier le refus du parti de rembourser l’imprimeur, qui avait prêté 6,5 millions d’euros pour les campagnes de 2007. Le Rachinel obtiendra gain de cause au tribunal, mais Frédéric Chatillon devient, avec sa société de communication Riwal, le nouvel imprimeur du parti. Les ex-gudards s’emparent de plusieurs marchés au sein du parti (communication, propagande électorale, sécurité, captation vidéo, etc.). Contrairement à Cotelec, Jeanne ne prospère pas grâce aux dons (qui plafonnent à 1 000 euros en 2014), mais grâce à un montage financier lucratif. Riwal réalise des « kits » de campagne que Jeanne revend 16 650 euros pièce aux candidats. Pour leur permettre d’acheter ce kit, coûteux, Jeanne propose aux candidats un prêt du même montant, au taux très élevé de 6,5 %, mais qu’importe : les candidats déclarent ces dépenses comme frais de campagne et sont remboursés par l’État lorsqu’ils ont recueilli plus de 5 % des voix. Ce fonctionnement a fait de Jeanne la quatrième formation politique en termes de rentrées financières en 2012 (9,5 millions d’euros), la plaçant même devant le Front national. Dans les comptes de l’année 2014 

Journal officiel de la République française. Édition des…, l’association affiche encore 5,4 millions d’euros de recettes.

9C’est ce système qui est au cœur de l’enquête judiciaire ouverte en avril 2014 sur le financement des campagnes frontistes de 2012. Les juges Renaud Van Ruymbeke et Aude Buresi soupçonnent un financement illégal du Front national par son prestataire Riwal, via des services consentis au fn et à Jeanne (surfacturation, mise à disposition de locaux et d’auto-entrepreneurs, crédits fournisseur, etc.). Le but, selon les magistrats : majorer des dépenses électorales remboursables. Les enquêteurs estiment à 10 millions d’euros le cumul des sommes en cause. Un montant contesté par les intéressés. Au total, dix personnes physiques ou personnes morales sont mises en examen, dont le Front national, son trésorier, l’un de ses vice-présidents et plusieurs proches de Marine Le Pen. Convoquée comme témoin assisté par les juges, la présidente du fn a refusé de s’y rendre à deux reprises, avant d’être finalement entendue le 5 janvier.

10Malgré l’existence de Cotelec et de Jeanne, les Le Pen ont fondé ensemble, en décembre 2013, un troisième micro-parti, « Promelec ». Destinée à « promouvoir l’image de marque et l’action de Jean-Marie Le Pen et de Marine Le Pen », cette structure est contrôlée directement par le fondateur du fn (le président), sa fille (la secrétaire générale) et son assistant Gérald Gérin (le trésorier). Pour sa première année d’exercice, Promelec a déjà recueilli près de 143 000 euros de dons 

D’après les comptes déposés auprès de la Commission nationale….

Un « Front familial »
11Marine Le Pen n’a pas seulement reproduit le système des micro-partis de son père, elle a également conservé son organisation pyramidale et familiale. Même si la présidente du fn s’est efforcée d’ouvrir son parti à des personnalités non issues de l’extrême droite – comme Florian Philippot, qui a soutenu Jean-Pierre Chevènement en 2002 avant de devenir vice-président du fn –, elle répète qu’il n’y a qu’une seule ligne au fn et « pas de numéro deux 

Abel Mestre, « Congrès du fn : derrière l’unité affichée, des… ». Des déclarations qui rappellent celles de son père, qui expliquait qu’« il n’y a qu’un seul numéro au fn, c’est le numéro un 

Discours de Jean-Marie Le Pen à l’université d’été du fn à… ». Adversaires politiques et anciens frontistes dénoncent régulièrement le népotisme de la « pme familiale » Front national. Aucune autre formation politique française n’est dominée par une dynastie familiale comme le parti lepéniste, qui offre postes et mandats à son premier cercle et ses proches. Le Front national « nourrit vos filles et vos gendres », avait lancé en avril 2002 Jean-Yves Le Gallou 

Meeting de Bruno Mégret à Paris, 16 avril 2002., cadre frontiste devenu le numéro deux de Bruno Mégret. Nombre de cadres s’en sont plaints, notamment parmi les mégrétistes. « Quand, dans une organisation aussi importante, le népotisme et le favoritisme transparaissent au niveau des investitures, au travers des nominations et des prestataires de services, un climat de méfiance s’instaure fatalement », résume Franck Timmermans 

Entretien cité avec Valérie Igounet.. « Le fn est un clan, une machine familiale, c’est indiscutable », explique Carl Lang 

Entretien avec l’auteure, 12 janvier 2016., qui évoque un « fonctionnement de Front familial » et une « préférence familiale ».

12Avant d’être propulsée à la direction du parti, Marine Le Pen a été recrutée pour y diriger le service juridique (entre 1998 et 2003). Pour Carl Lang encore, cette embauche s’est faite « par confort financier et protection paternelle. Jean-Marie Le Pen crée ce service juridique de manière artificielle et inutile. Le travail de Marine Le Pen se résumait à des relations publiques avec des avocats ». Sa sœur Yann Le Pen se fera de son côté embaucher par le parti dès les années 1980, à la direction nationale des grandes manifestations, dont elle est en charge aujourd’hui. Elle était aussi rémunérée, sous la précédente mandature, comme assistante de Bruno Gollnisch au Parlement européen. L’aînée des Le Pen, Marie-Caroline, a elle dirigé la serp, la maison d’édition de disques fondée par son père en 1963, et National Vidéo, qui produisait les cassettes vidéo du fn. Jany Le Pen, la seconde (et actuelle) épouse de Jean-Marie Le Pen est quant à elle devenue le porte-drapeau de plusieurs associations satellites du fn, dont sos Enfants d’Irak. Elle a aussi été envisagée comme doublure de Jean-Marie Le Pen lorsqu’il a, un temps, été empêché de mener la liste du parti aux européennes en 1999.

13Les gendres ont eux aussi tenu une place de choix dans le parti d’extrême droite. Si le premier mari de Marine Le Pen, Franck Chauffroy, n’était que le gérant d’une société prestataire du fn, le deuxième, Éric Loriot, fut secrétaire national aux élections et conseiller régional, et son troisième compagnon, Louis Aliot, a été le directeur de cabinet de Jean-Marie Le Pen puis le secrétaire général du parti, avant d’en devenir le vice-président après l’intronisation de Marine Le Pen. Samuel Maréchal, le mari de Yann Le Pen et père de Marion Maréchal-Le Pen, fut directeur du Front national de la jeunesse, puis directeur de communication du fn. Le premier époux de Marie-Caroline Le Pen, Jean-Pierre Gendron, travaillait à la direction des grandes manifestations et siégeait au bureau politique. Quant au second, Philippe Olivier, il fut délégué général adjoint, collaborateur de Bruno Mégret, conseiller régional et conseiller officieux de Marine Le Pen.

14En 2012, c’est encore une Le Pen qui fait son entrée au bureau politique du parti : Marion Maréchal-Le Pen, fraîchement élue députée. Couronnée deux ans plus tard par une première place à l’élection du comité central du parti, elle refuse cependant d’intégrer le bureau exécutif, de peur que sa tante se voie reprocher « le fameux Front familial » 

Propos tenus par Marion Maréchal-Le Pen en marge du congrès du…. Le premier cercle lepéniste est présent à chaque élection, même dans les seconds rôles. Lors des élections municipales de 2014, à Saint-Cloud, la mère de Marine Le Pen, Pierrette Lalanne, et sa sœur Yann Le Pen figuraient en trentième et trente-quatrième position sur la liste fn. C’est d’ailleurs à Montretout, à Saint-Cloud, que toute la famille a résidé, avec enfants, pendant des décennies. Chaque brouille a fait l’objet d’un départ fracassant de la demeure : Marie-Caroline Le Pen en 1999, Marine Le Pen en octobre 2014.

15Ce mélange des genres inédit confère aux conflits du Front national une dimension familiale et financière. En 1998, la scission politique avec Bruno Mégret se double d’une lutte financière et d’une crise familiale. Lorsque Marie-Caroline Le Pen rejoint, avec son mari, le fondateur du Mouvement national républicain, Jean-Marie Le Pen l’accuse de « trahison familiale » et lui reproche d’avoir « suivi son amant plutôt que son père ». Il lui mène une longue guerre judiciaire sur les parts de sa société d’édition, qui se prolongera sur la question de la maison familiale de la Trinité-sur-Mer, dans le Morbihan. Parallèlement, les Le Pen bataillent face à Bruno Mégret pour conserver le sigle fn, son siège, sa flamme tricolore, les cotisations de ses élus. En mai 1999, la justice reconnaît le président du fn comme le seul détenteur du titre, du logo et du sigle du parti. Il perd en revanche le contrôle de l’Institut de formation national, qui reçoit l’argent des collectivités locales pour la formation des élus et dont les statuts avaient été déposés par Bruno Mégret. Lors de la scission, les cadres mégrétistes dénoncent un système pyramidal entièrement contrôlé par Jean-Marie Le Pen et votent une motion sur la transparence financière et la répartition des moyens entre le siège et les fédérations. « Le Pen a une conception de fermier général, estimait en 1999 Denis de Bouteiller 

Cité par Romain Rosso, « L’argent du fn », L’Express, 4 février…, un cadre frontiste devenu le trésorier du Mouvement national républicain. Il craint l’émergence de baronnies pouvant exister sans lui. Faire vivre les fédérations, c’était entretenir le risque que se développent des contre-pouvoirs. »

16Quinze ans plus tard, ce sont des critiques similaires qui sont faites à Marine Le Pen en interne : concentrer tous les pouvoirs et imposer ses prestataires. En août 2015, une dizaine d’élus fn de Provence-Alpes-Côte d’Azur dénoncent un parti « antidémocratique et digne d’un régime nord-coréen » pour contester l’exclusion de Jean-Marie Le Pen. Le fondateur du fn lui-même fustige un mouvement « autoritaire, pour ne pas dire dictatorial puisque seule la volonté exprimée par Marine s’impose, sans aucune discussion 

Entretien au Figaro, 11 juin 2015. ». En novembre, ce sont des élus frontistes du Nord qui affirment avoir été écartés des élections régionales pour avoir refusé les kits de campagne proposés par le micro-parti de Marine Le Pen 

Vincent Tripiana, « Valenciennois : quand les élus locaux du fn….

17Comme le conflit avec Bruno Mégret, la guerre avec sa fille revêt pour Jean-Marie Le Pen une dimension financière majeure. Le président d’honneur déchu conserve de fait une force de frappe financière importante au Front national, à travers ses micro-partis, Cotelec et Promelec. Outre ses prêts au fn, le premier aide aussi les candidats frontistes à se présenter aux élections. Au plus fort du conflit, Marine Le Pen a donc pris les devants, à travers une mise en garde : « Cotelec ne peut pas ne pas financer les campagnes alors que de l’argent lui a été prêté par des gens du fn. Jean-Marie Le Pen ne peut pas faire un abus de confiance 

Olivier Faye, « Le fn face au casse-tête du financement des…. » « Cotelec ne gère pas l’argent des amis de Jean-Marie Le Pen mais celui des adhérents du fn qui soutiennent Marine », avait aussi cru bon de rappeler le vice-président Louis Aliot, dans un tweet, le 27 août. Malgré son exclusion, Jean-Marie Le Pen n’a pourtant pas fermé ces robinets. « Cotelec a financé les élections régionales », confirme le trésorier du fn, Wallerand de Saint-Just 

Entretien avec l’auteure, 22 décembre 2015.. Une manière pour le patriarche de rappeler son importance passée. Mais le Front national cherche à s’émanciper. Pour le trésorier du fn, le micro-parti de Jean-Marie Le Pen « n’a pas vocation à prêter au Front national, il l’a fait dans les moments de difficultés financières ; on a tout remboursé, donc il n’a plus spécialement de poids dans le parti 

Entretien avec l’auteure, 16 avril 2015. ».

18Après avoir été écarté du parti, Jean-Marie Le Pen a laissé planer une autre menace : que sa fille « perde [son nom] le plus rapidement possible ». La remarque n’est pas anodine, elle fait référence à la perspective de l’héritage d’une partie de sa fortune. Si la rupture se confirme, la succession sera en effet compliquée. Marine Le Pen est déjà entrée au capital de plusieurs sociétés civiles immobilières détenant des propriétés familiales. Elle possède un huitième de la maison de la Trinité-sur-Mer, construite sur un terrain de 850 mètres carrés et estimée à 1 million d’euros 

Anne-Sophie Mercier et Christophe Nobili, « Marine a la fortune…. En 2013, elle a racheté, avec son père et sa sœur Yann, « La Bonbonnière », la demeure de Jean-Marie et Jany Le Pen à Rueil-Malmaison, dans les Hauts-de-Seine – 200 mètres carrés sur deux niveaux dans un jardin de 1 200 mètres carrés. Enfin, à la suite de deux donations, en 1994 et 2012, elle est devenue copropriétaire de 12,5 % de la société civile immobilière du Pavillon de l’Écuyer, qui gère le manoir de Montretout 

Karl Laske et Marine Turchi, « Le Pen : les dessous financiers…. Sur l’acte de donation, Jean-Marie Le Pen, qui détient encore 75 % des parts, s’était engagé à prendre à sa charge « les conséquences d’un redressement fiscal éventuel ». Car l’évaluation de cette demeure a fait l’objet d’estimations contradictoires depuis qu’il en a hérité. En 2006, des agents immobiliers consultés par Le Canard enchaîné l’avaient évaluée à 6,45 millions d’euros. Mais, en 2012, l’acte de donation fait apparaître son estimation officielle : 1 795 200 euros. Un montant qui semble peu réaliste au regard du prix du mètre carré dans le parc de Montretout (7 700 euros aujourd’hui) et de la taille de cette propriété des Hauts-de-Seine. « Marine Le Pen a repris ce que déclarait son père : sa bonne foi est totale », avait commenté le trésorier du fn 

Entretien avec l’auteure, 22 décembre 2015.. « La Bonbonnière » aurait elle aussi été sous-évaluée : elle vaudrait près de dix fois plus que le montant indiqué dans les déclarations de patrimoine des Le Pen (350 000 euros, contre 3,3 millions d’euros selon l’administration fiscale) 

Anne-Sophie Mercier et Christophe Nobili, « Marine a la fortune…. La Haute autorité pour la transparence de la vie publique s’interroge sur un autre point : les conditions d’achat de cette propriété 

Mélanie Delattre et Christophe Labbé, « Le Pen, le prêt…. Car, un mois avant d’acquérir cette demeure, le compte bancaire de Jean-Marie Le Pen a été crédité de 600 000 euros, en provenance de son micro-parti Cotelec. La Haute autorité a tiqué sur cette concomitance, mais aussi sur le montant du virement, qui représente 83 % du prix d’achat de « La Bonbonnière », acquise pour 720 000 euros. L’argent de Cotelec a-t-il servi à acheter cette villa ? Les lois sur le financement des partis politiques interdisent d’utiliser les fonds des micro-partis pour financer un bien privé. Les Le Pen, eux, accusent la Haute autorité de « diffamation ». Jean-Marie Le Pen a justifié ce virement par « un prêt destiné à financer sa campagne européenne de 2014 », avant d’affirmer qu’il s’agissait du remboursement de prêts qu’il avait octroyés à Cotelec. Marine Le Pen dit avoir « financé [sa] part de l’acquisition par un emprunt », sans préciser qu’il lui a été accordé par son père. Elle « n’a rien su des relations financières de son père avec Cotelec », a assuré le trésorier du fn. Ces éléments transmis à la justice par la Haute autorité, sont au cœur de l’enquête sur le patrimoine de Jean-Marie et Marine Le Pen ouverte par le parquet national financier en janvier.

19La présidente du fn a tout de même pris soin, ces dernières années, de se tenir à distance des affaires financières du fondateur du parti. « Ce n’est pas parce qu’on a un père, un frère, qu’on connaît l’intégralité des détails de leur existence patrimoniale », rétorquait-elle à Mediapart.fr, en 2013 – tout en défendant son père, qui « en soixante ans de vie politique, exclusivement dans l’opposition, a eu dix-sept contrôles fiscaux » 

Karl Laske et Marine Turchi, « Jean-Marie Le Pen, son compte….

20Depuis la fin des années 1970, Jean-Marie Le Pen n’a cessé de faire l’objet de vérifications fiscales, de subir des pénalités et de les contester. Il a surtout été accusé par son ex-femme, Pierrette Lalanne, d’avoir dissimulé une partie de sa fortune en Suisse. Après leur divorce, en 1987, son ex-épouse assure, dans deux entretiens 

« Les révélations de Pierrette Le Pen », Genève Home…, avec moult détails, que l’héritage Lambert – qu’elle évalue à « près de 100 millions de francs » (soit plus de 15 millions d’euros) – comptait une « autre partie », « non déclarée », « en Suisse » : « près de 40 millions de francs » (environ 6 millions d’euros). Elle affirme que les fonds secrets de l’héritage Lambert étaient entre les mains d’une fondation, Saint-Julien, sise à Fribourg, et qu’une partie des fonds – « 30 millions » (soit environ 4,5 millions d’euros) – a été déplacée d’« ubs » vers un compte ouvert « à la banque Darier » à Genève. Elle assure avoir eu « la signature » sur ce compte et détaille : « Quand [Jean-Marie Le Pen] avait besoin d’argent, je téléphonais d’une cabine téléphonique [au banquier] Jacques Darier. […] Je lui disais : “Envoie-moi trois ou quatre ‘petits nègres’.” C’était un code entre nous pour désigner 10 000 francs ! […] En général, c’était son fils, Pierre, qui était chargé de nous livrer les 10, 20 ou 30 “petits nègres”, ou plus, demandés 

« Les révélations de Pierrette Le Pen », art. cité.… »
21Des « calomnies », avait balayé Jean-Marie Le Pen à l’époque. En 2013, il assure que son ex-épouse – revenue dans le giron lepéniste – « a démenti tout cela depuis longtemps 

Karl Laske et Marine Turchi, « Jean-Marie Le Pen, son compte… ». Les dernières déclarations de Pierrette Lalanne à ce sujet datent de 1998 

Entretien vidéo avec Karl Zéro, 19 avril 1998, diffusé en….

22Le pouvoir judiciaire n’ouvre pas d’enquête pour y voir clair. Pas plus qu’il ne le fera en 1992, lors de la publication par l’hebdomadaire L’Événement du jeudi du fac-similé d’ouverture d’un compte à ubs le 10 mars 1981 au nom de Le Pen 

Karl Laske, « Quand Jean-Marie Le Pen place son pécule dans un…. La détention par Jean-Marie Le Pen de fonds en Suisse est cette fois corroborée par un document portant sa signature ainsi que celle de son ami Jean-Pierre Mouchard, le premier trésorier de Cotelec. Le fondateur du fn justifie désormais l’ouverture de ce compte par un « prêt » que lui aurait consenti à l’époque ubs, pour les besoins de sa maison d’édition 

Karl Laske et Marine Turchi, « Jean-Marie Le Pen, son compte…. L’« opération » est selon lui « passée sous le contrôle de l’administration française ». Pourtant, environ 2 millions de francs (plus de 300 000 euros) se trouvaient encore placés sur ce compte entre 1984 et 1986, pour des opérations de placement à terme. Le Pen n’a jamais rendu public le document de prêt qu’il affirme avoir obtenu, ni indiqué les conditions précises de cet « emprunt ». On ignore par ailleurs encore si ce compte a été fermé ou non.

23Les nouvelles dispositions relatives à la transparence de la vie publique adoptées à la suite de l’affaire Cahuzac 

Le 4 décembre 2012, Mediapart.fr révèle que le ministre… conduisent, fin 2013, à l’examen des déclarations de patrimoine de Jean-Marie Le Pen. La Commission pour la transparence financière de la vie politique 

Devenue, le 20 décembre 2013, Haute Autorité pour la… constate que l’euro-député s’est enrichi de 1,1 million d’euros entre le début (2004) et la fin (2009) de son mandat 

Mathilde Mathieu, « Jean-Marie Le Pen : un enrichissement…. Elle juge ce gain peu compatible avec ses revenus officiels et saisit la justice, qui ouvre une enquête. Mais l’intéressé maintient que son « patrimoine est parfaitement transparent » et que « rien d’anormal n’est à signaler ». En avril 2015, de nouveaux éléments, transmis à la justice par Tracfin, la cellule antiblanchiment de Bercy, relancent les interrogations sur les avoirs non déclarés de Jean-Marie Le Pen et de ses proches à l’étranger 

Un développement révélé par Karl Laske et Marine Turchi,…. Il s’agit d’un nouveau compte en Suisse, détenu officiellement par Gérald Gérin, l’assistant personnel du fondateur du fn et le trésorier de ses micro-partis, sur lequel 2,2 millions d’euros ont été déposés, dont 1,7 million en lingots et pièces d’or. Jany Le Pen, son épouse, a quant à elle clôturé en 2008 un compte personnel au Crédit Suisse.

24Silencieux devant ces révélations, l’ancien président d’honneur du fn doit faire face à une enquête ouverte en juin 2015 pour « blanchiment de fraude fiscale ». Quatre mois plus tard, il fait l’objet, ainsi que sa femme et son assistant, d’une plainte du fisc pour fraude fiscale aggravée. Ses domiciles et bureaux sont perquisitionnés à l’automne par les enquêteurs, qui ouvrent ses six coffres-forts. L’ex-leader frontiste s’indigne : « C’est comme si j’étais la French Connection ou Bygmalion ! […] Je ne sais pas de quelle fraude fiscale il s’agit. Je n’ai pas de compte bancaire en Suisse 

Réaction de Jean-Marie Le Pen sur France Info, le 4 novembre… ! » Dans cette affaire, Marine Le Pen joue à nouveau sur un double registre, dénonçant d’un côté des perquisitions « à un mois des élections 

bfmtv, 4 novembre 2015 » et répétant de l’autre qu’elle n’est « en aucun cas au courant des affaires patrimoniales 

« Grand Rendez-vous », Europe 1-Le Monde-i > Télé, 3 mai 2015. » de son père.

La manne étrangère
25Ces révélations sur des comptes en Suisse font désordre dans un parti qui prône le « rétablissement pérenne de nos frontières nationales », défend le « patriotisme économique » et fustige la fraude fiscale. Mais il y a plus spectaculaire. Marine Le Pen et son père ont choisi de se tourner vers la Russie pour obtenir des prêts qui financent le Front national, Cotelec et les futures campagnes électorales 

Marine Turchi, « Le Front national décroche les millions…. En avril 2014, Cotelec décroche ainsi un prêt russe de 2 millions d’euros ; cinq mois plus tard, le fn signe un prêt de 9 millions d’euros. Selon plusieurs sources internes, les représentants du Front national avaient transmis une demande portant sur des besoins financiers estimés à 40 millions d’euros d’ici 2017 

Marine Turchi, « Le Front national attend 40 millions d’euros…. D’après Europe 1 

« Le fn envisage d’emprunter de nouveau de l’argent à la…, le fn compte d’ailleurs à nouveau se tourner vers la Russie en vue de trouver les 27 millions d’euros dont il a besoin pour financer ses campagnes électorales en 2017.

26Ce financement n’avait pas vocation à être rendu public : fin octobre 2014, alors que les prêts russes étaient déjà signés, le trésorier du fn assurait qu’aucune demande d’emprunt n’avait encore abouti. Le parti d’extrême droite a mobilisé une galaxie de sympathisants, d’intermédiaires et d’oligarques pour obtenir ce financement étranger inédit. L’eurodéputé fn Jean-Luc Schaffhauser avait ainsi admis avoir perçu une « commission forfaitaire de la banque » de « 140 000 euros » pour son rôle d’intermédiaire 

Cette somme a été versée à la société de consulting Cano sas,…. La présidente du fn avait expliqué avoir été « contrainte » de se tourner vers la Russie compte tenu du refus des banques françaises. Elle a rendu publics quatre courriers, mais elle s’est en revanche refusée à divulguer la convention du prêt russe, l’échéancier du remboursement et les détails des commissions versées.

27La justice n’est pas saisie de la régularité de ces prêts russes, mais l’Assemblée nationale pourrait ouvrir ce dossier, puisque des députés socialistes ont demandé l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire sur ces financements étrangers. En effet, les interrogations sont nombreuses sur la forme comme sur le fond. Faute de documents, le manque de transparence est absolu. Les vérifications – en République tchèque, siège de la banque russe ayant prêté –, si elles étaient entreprises, ne seraient pas simples. La jurisprudence ne connaît qu’un exemple de financement à l’étranger : celui de la banque italienne Fondo, qui avait compensé par un prêt « légal » au Parti républicain de François Léotard une entrée de fonds dont l’origine était suspecte. Reste ensuite la question, plus fondamentale, de l’éventuelle ingérence étrangère. En mars 2015, la révélation de textos d’un responsable du Kremlin évoquant, deux semaines avant la signature du premier prêt russe, la manière dont Marine Le Pen devait être « remerciée » en échange de son soutien vis-à-vis du référendum en Crimée, a posé crûment la question 

Agathe Duparc, Karl Laske et Marine Turchi, « Crimée et…. La présidente du fn avait réfuté que ce prêt ait « détermin[é] [leur] position internationale » en expliquant que cette « ligne » prorusse était défendue depuis « longtemps » par le fn 

Abel Mestre, « Marine Le Pen justifie le prêt russe du fn »,…. Elle avait expliqué « n’avoir parlé financement avec qui que ce soit » en Russie 

Abel Mestre, Caroline Monnot et Isabelle Mandraud, « Le fn…, où elle s’est rendue à plusieurs reprises depuis son élection.

28C’est une logique tout aussi contradictoire qui a conduit le Front national à maximiser la manne européenne, à rebours de son discours de dénonciation des institutions européennes. Après les élections européennes de 2014, le parti d’extrême droite passe de trois à vingt-trois élus à Strasbourg et réalise une bonne affaire budgétaire. Car ces nouveaux élus touchent chacun 10 500 euros net mensuels, mais aussi une enveloppe de 21 000 euros chacun pour rémunérer leurs assistants chaque mois. Début 2016, ce sont au total quatre-vingt-quatorze personnes qui sont rémunérées par le Parlement européen 

Décompte de l’auteur d’après les informations figurant sur le…. Et le groupe parlementaire que le fn est parvenu à créer en juin 2015 – Europe des nations et des libertés – lui permet de toucher des subventions supplémentaires (3 222 261 euros pour l’année 2016).

29Le parti de Marine Le Pen n’est pas le seul à utiliser l’enveloppe parlementaire pour rémunérer une partie de ses cadres, mais il aurait « systématisé » cette pratique, d’après le Parlement européen. C’est ce que redoute en effet son président, le social-démocrate allemand Martin Schulz, qui a saisi, en mars 2015, l’Office européen de lutte antifraude et prévenu la ministre de la Justice française d’« une possible utilisation frauduleuse de fonds européens », en s’inquiétant de « l’ampleur » des « constatations » 

Lettre de Martin Schulz à la ministre de la Justice française,…. Une vingtaine d’assistants d’eurodéputés frontistes sont soupçonnés de ne pas travailler pour leurs élus alors qu’ils sont rémunérés par le Parlement. Vingt d’entre eux occupent une fonction officielle dans l’organigramme du parti. Le préjudice pourrait dépasser les 7,5 millions d’euros sur la législature 2014-2019 

Fabrice Lhomme et Gérard Davet, « Vingt assistants du fn au…. En mars 2015, le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire pour « abus de confiance ». En février 2016, les enquêteurs ont mené une série de perquisitions au siège du Front national et au manoir de Montretout.

30Quel que soit l’épilogue de la brouille entre Jean-Marie et Marine Le Pen, force est de constater que cette dernière a déjà obtenu la plus grosse part de l’héritage que pouvait lui laisser son père : le parti, et l’espoir de gouverner.