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 L'apparition des religions

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marmhonie
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MessageSujet: L'apparition des religions   L'apparition des religions EmptyJeu 23 Mar - 20:25

L'apparition des religions : aux origines des civilisation

À travers l'étude de thèmes choisis, ce sujet s'emploiera à comparer les grandes religions (Bouddhisme, Christianisme, Hindouisme, Islam, Judaïsme) afin de mettre en lumière tant leurs particularités significatives et leurs différences mutuelles que leurs similitudes profondes. L'analyse comparative, en aiguisant le regard critique, apprendra à écarter les ressemblances superficielles et à reconnaître les correspondances ou équivalences cachées.




RELIGION - L’étude des religions


 
Prise de vue

Le premier problème que pose l’étude des religions concerne la définition même du concept de religion, lequel, étant exclusivement occidental, ne peut directement désigner des faits culturels appartenant à d’autres civilisations. Il suffit toutefois de se rendre compte du relativisme de ce concept pour que le problème perde sa priorité. De préliminaire il devient « final », en ce sens qu’il se confond avec le but même de l’étude des religions, laquelle se comprend comme une recherche en vue de définir les religions. Il s’agit d’en donner une définition non philosophique, mais scientifique ; et, puisque la matière à étudier est « culturelle » et non « naturelle », la discipline scientifique qui se donne un tel objet ne peut être qu’historique ; c’est l’histoire des religions.
 
L’approche historiographique des religions n’est pas réductible à une collection, aussi vaste que possible, de monographies consacrées aux religions particulières ; aussi n’est-ce pas là le but de l’histoire des religions. Il existe, au contraire, une conception qui part de ce qu’ont de comparable les faits religieux de n’importe quelle culture, ou, si l’on renonce à l’équivoque catégorie du religieux, les faits culturels tout court. C’est, en effet, du recours à cette méthode comparative qu’est née, en même temps que l’ethnologie, l’histoire des religions, la naissance de ces deux disciplines pouvant être conventionnellement datée de la parution de l’ouvrage de E. B. Tylor, Primitive Culture (1871).
 
La perspective comparatiste qu’elle exige et le caractère culturel de son objet situent l’histoire des religions aux côtés de l’ethnologie et lui assignent une position révolutionnaire par rapport à la tradition historico-philologique. Cette révolution est repérable dans le « néo-humanisme », qui se présente comme dépassement du vieil humanisme centré sur la culture européenne. Dans cette perspective, important fut et demeure l’apport des études d’histoire religieuse à la formation d’un nouveau sens de l’histoire.
 
 
 
 1. Le concept de religion

Le concept de religion est proprement occidental et n’a pas d’équivalent dans les autres cultures. Sa fonction originaire fut de distinguer un domaine s’opposant à celui que recouvre le concept d’État. Ainsi lorsque le christianisme devint la « religion de l’État » romain : une distinction catégorique se révéla nécessaire entre pouvoir religieux et pouvoir temporel, entre autorités religieuses et autorités laïques, entre lois religieuses et lois civiles, entre fêtes religieuses et fêtes civiques. Jusqu’alors la religion publique (ou officielle, ou d’État) avait pour but unique de contribuer à l’édification de l’État lui-même et n’exigeait donc pas d’être strictement différenciée par rapport à l’État et à ce qui le concernait. La sotériologie chrétienne pouvait comprendre aussi l’État romain, mais d’aucune façon elle ne trouvait en ce dernier sa fin et ses limites. Sa transcendance vis-à-vis de lui s’exprima dans le concept nouveau pour lequel fut adopté le terme latin de religio (qui pour les anciens Romains avait manifestement une autre signification) ; ce concept fut repris par toutes les langues occidentales, y compris les langues germaniques.
 
L’opposition entre les concepts de religion et d’État, opposition qui se retrouve chez Augustin entre la civitas Dei et la civitas humaine, ne doit pas être confondue avec le couple dialectique qui s’instaure entre sacré et profane et qui intervient de manière constante au sein même d’une religion donnée (dans la culture occidentale aussi bien que dans les autres ; le terme « sacré », à la différence de « religion », est traduisible). Cela revient à dire qu’un comportement « profane » n’est pas de soi « irréligieux », mais qu’il appartient à une religion de désigner comme « sacrés » des objets, des lieux, des périodes, des personnes, etc., en leur reconnaissant des caractères singuliers et en libérant le reste au profit de l’activité profane.
 
Le concept de religion recouvrait d’abord la seule réalité représentée par le christianisme. Puis, au cours de la polémique antipaïenne qui contraignit ce dernier à une confrontation avec les religions de l’Antiquité, le souci de trouver un terrain de rencontre conduisit à étendre le concept aux réalités représentées par ces religions. En d’autres termes, celles-ci furent perçues comme étant, elles aussi, des « religions », ne différant du christianisme que par le fait qu’elles étaient « fausses », et c’est précisément à une confrontation sur ce point que tendait la polémique antipaïenne. Cette première extension du concept fut suffisante pour le rendre « universel », c’est-à-dire pour l’abstraire des circonstances historiques qui lui avaient donné naissance.
 
Cette universalité, toutefois, demeura pendant longtemps circonscrite à l’intérieur du débat entre le christianisme et les autres religions. Ce vice originel (ou cette limite) affecta jusqu’à l’époque actuelle le concept de religion. Laissant de côté les relations des premiers voyageurs occidentaux qui rencontrèrent des populations « sauvages » et les tinrent pour privées de religion – tout en décrivant leurs mœurs et, parmi elles, précisément et surtout, leurs coutumes religieuses –, on peut en venir aux premières définitions scientifiques des faits religieux appartenant à d’autres cultures. Le fait que la réalité chrétienne restait sous-jacente et inhérente au concept de religion conduisit à considérer comme des « divinités » les êtres extra-humains que l’on pouvait discerner dans ces civilisations ; on en vint à réduire aux notions chrétiennes de l’âme et de la survie les conceptions les plus disparates, qui se trouvèrent ainsi déformées et faussées dans les relations qui auraient dû en donner la description. Partout on se mit en quête d’une religion organisée à la manière de cet organisme complexe qu’on appelle le christianisme ; des ensembles factices furent échafaudés, auxquels on donna toutes sortes de noms en « isme » animisme, totémisme, fétichisme, etc. Tout ce qui n’était pas réductible à de tels systèmes fut défini comme magie, ce qui revint à introduire dans les réalités culturelles extra-occidentales l’opposition occidentale entre la religion (c’est-à-dire le christianisme) et la magie.
 
Le relativisme culturel contemporain, en niant l’universalité des concepts propres à la culture occidentale, a mis fin à cette situation. Certains schémas mentaux, dont celui de religion, dès qu’on les réfère à des conditions culturelles données et non plus à une nature humaine présupposée, perdent leur efficacité et peuvent être dépassés, au moins pour l’esprit scientifique.
 
2. L’histoire des religions
 
Le problème de la définition du concept de « religion » est philosophique, c’est-à-dire qu’il s’inscrit précisément dans le champ de cette universalité que le relativisme culturel des études d’ethnologie ou d’histoire des religions a rendue caduque (on retrouvera plus loin le lien qui existe entre ethnologie et histoire des religions). Pour de telles études, l’historicisation du concept a pris la place de sa définition. Au-delà de cette limitation méthodologique, toute tentative visant à définir devient vaine, car toute définition s’avère inadéquate aux faits qu’on a effectivement à étudier. En vérité, les tentatives de ce genre, qui se comptent par centaines, n’ont jamais servi à orienter la recherche ni fait école ; elles n’ont même pas réussi à susciter des polémiques de quelque importance. Entre l’épistémologie abstraite et la recherche concrète en matière d’histoire religieuse, on ne peut dire qu’il existe des interférences dignes d’être relevées. Mais cela ne signifie pas qu’en histoire des religions on ne doive pas distinguer des orientations fondamentalement diverses.
 
Les principaux courants
 
Il y a des chercheurs qui adoptent de manière purement conventionnelle la dénomination officielle d’histoire des religions, en souhaitant, pour se distinguer des orientations systématiquement historiques, que le terme de science soit substitué à celui d’histoire. Cette désignation officielle, en réalité, résulte d’un choix plus ou moins conscient qui s’imposa au début du XXe siècle entre l’expression française « histoire des religions », forgée sur le modèle d’« histoire des arts », et l’expression allemande Religionswissenschaft : c’est la première qui prévalut, mais on ne saurait dire dans quelle mesure un tel choix impliquait un programme précis.
 
Le terme d’histoire pouvait à cette époque être récusé du fait de l’impossibilité d’approcher le donné religieux avec les méthodes et selon la problématique de l’historiographie traditionnelle. La nouvelle discipline prenait forme en fonction d’un problème nouveau : comment expliquer les analogies entre des faits religieux relevant de cultures distinctes dans le temps et dans l’espace ? C’est là un problème qui prit naissance à partir de la méthode de comparaison introduite dans la recherche par l’ethnologie, méthode totalement ignorée de l’historiographie traditionnelle : aussi en vint-on parfois à donner à la nouvelle discipline le titre d’histoire comparée des religions.
 
Divers types de réponses touchant le problème précis de la comparabilité des faits religieux ont caractérisé les orientations majeures de l’histoire des religions. La première réponse, empruntant la voie tracée par les recherches ethnologiques en cours, à savoir l’anthropologie britannique, fut de type évolutionniste : les analogies entre faits religieux et cultures diverses témoigneraient d’un développement religieux commun à toute l’humanité. Avec le déclin des thèses évolutionnistes apparurent quatre nouvelles réponses. Le diffusionnisme explique les analogies par la transmission des faits religieux d’une culture à une autre ; il apparaît aussi comme une réponse liée à une perspective ethnologique, celle de l’ethnologie historico-culturelle allemande, qui est une réaction contre l’évolutionnisme. La deuxième réponse prend la forme du « révélationnisme », qui cherche dans les analogies la preuve que toutes les religions dérivent d’une unique religion révélée ; il s’agit là évidemment d’une position plus religieuse que scientifique, qui pourtant se trouve implicitement dans les travaux ethnologiques de l’école viennoise du père W. Schmidt, rameau particulier et l’ethnologie historico-culturelle. En troisième lieu, on peut mentionner la réponse phénoménologique, qui voit dans les analogies la présence d’une unique réalité religieuse transcendant les expressions phénoménales particulières, le point de départ étant ici non plus ethnologique, mais philosophique, dans la ligne de la phénoménologie postkantienne ; toutefois, cette orientation s’est développée avec une certaine autonomie par rapport à ses prémisses philosophiques ; et, surtout avec G. Van der Leeuw et Mircea Éliade, elle a puissamment contribué au progrès des études historico-religieuses. Le psychologisme, enfin, interprète les analogies comme des convergences, c’est-à-dire comme des manifestations de mécanismes psychiques permanents et connaturels à l’homme ; il s’appuie principalement sur les résultats de la psychanalyse, la personnalité la plus représentative de ce courant étant, en effet, non un historien des religions, mais un psychologue, C. G. Jung.
 
Cette classification sommaire, partant du problème fondamental que constitue la comparaison à établir entre les faits religieux, ne rend pas compte de la singularité des travaux de tel ou tel chercheur. En outre, quand on examine les études concrètes, on s’aperçoit qu’il n’est pas toujours possible de distinguer nettement entre une orientation et une autre. On s’aperçoit, par exemple, que l’engagement religieux tire parti même de résultats de la phénoménologie et du psychologisme, ce qui amène à douter du détachement scientifique d’une certaine phénoménologie et d’une certaine psychologie. Quand s’atténue au maximum la démarcation entre engagement religieux et détachement scientifique apparaît l’irrationalisme d’inspiration germanique, qui s’est répandu comme réaction au positivisme du siècle passé et qui a insisté sur l’irréductibilité de l’expérience religieuse par rapport à n’importe quel système logique ou historique. Le Sacré (Das Heilige, 1917) de Rudolf Otto, l’œuvre la plus représentative de ce courant, marqua toute une génération, débordant la sphère théologique où elle avait pris naissance pour imprégner l’ensemble des recherches scientifiques, surtout celles qui se réclamaient de la phénoménologie et de la psychologie.
 
La situation contemporaine
 
La situation contemporaine peut être caractérisée comme une décantation du problème de la comparabilité des faits religieux : on en vient à adopter plus ou moins explicitement les explications diffusionnistes, mais les analogies par elles-mêmes perdent leur signification. On ne considère plus celles-là comme la voie permettant de rejoindre l’originaire, qu’on discerne en ce dernier soit la forme culturelle originaire, soit la religion transcendantale, la nature religieuse ou la nature psychique de l’homme. On pourrait dire, au contraire, qu’on ne s’intéresse pas tant à l’originaire, à ce qui est initial, qu’à l’original, à ce qui est typique, en d’autres termes à ce qui, dans la comparaison établie, est capable de qualifier une culture par rapport à une autre. Cette nouvelle orientation connut son point de départ dans le domaine ethnologique, par exemple avec B. Malinowski, et précisément par le fonctionnalisme qui, dans l’anthropologie britannique, avait succédé à l’évolutionnisme. La signification des faits religieux particuliers fut alors cherchée dans la fonction que ceux-ci assument au sein du complexe culturel auquel ils appartiennent : dans cette perspective, il est naturel que la comparaison avec des éléments analogues appartenant à d’autres cultures perde son importance. Procédant d’une déviation méthodologique par rapport aux positions fonctionnalistes, un courant de dépréciation des analogies peut être observé aussi dans les travaux les plus récents qui s’inspirent de l’« anthropologie structurale » de C. Lévi-Strauss, dont l’œuvre révolutionnaire fait date dans la tradition sociologique française. En de telles recherches, l’attention se porte vers les « structures » qui organisent les faits particuliers ; seules les premières ont une signification, tandis que ceux-ci ne peuvent être tenus pour des formes autonomes, mais seulement pour des éléments privés de sens et donc n’ayant entre eux d’analogie, quand le cas se rencontre, que purement accidentelle. À la comparabilité des faits, pour ainsi dire, on substitue donc la comparabilité des structures sous-jacentes aux diverses expressions culturelles, sans qu’on en vienne, comme dans le fonctionnalisme, à la négation théorique de la comparaison.
 
La constatation du caractère comparable des religions et le souci de ramener les différentes sortes d’analyse, phénoménologique, psychologique, fonctionnelle, structurale, à une connaissance de type historique constituent les principes de l’école romaine d’histoire des religions, illustrée par le comparatisme historique de R. Pettazzoni et héritière de la tradition historiciste italienne. Pour cette école, les analogies ne sont pas des clefs d’interprétation, lesquelles aboutissent à renvoyer d’une religion à une autre ou tout simplement à la religion unique et originelle, mais seulement des points de référence dans une recherche des faits de diffusion (phénomènes d’acceptation ou de refus) ou de transformation (adaptation, utilisation) de certains éléments culturels qui parfois finissent par s’annuler en suscitant de nouvelles créations. Selon cette perspective, l’objet à étudier est le fait lui-même en tant que création culturelle et non plus en tant qu’effet d’une cause déterminable.
 
 3. La religion comme fait de culture
 
Le souci de réduire toute recherche à un effort du type de la connaissance historique se justifie par la nature même de l’objet d’étude, à savoir la religion comme fait culturel. Ce qu’on appelle « culture » par opposition à « nature » est précisément constitué par l’ensemble des productions humaines, parmi lesquelles il faut compter les religions, entendues selon l’acception scientifique du terme et non du point de vue de la foi. Que l’homme soit lui-même produit de la nature, et non seulement producteur de culture est une autre question ; et la recherche de l’homme « naturel » regarde les sciences de la nature, non les sciences historiques. L’équivoque commence quand on tente d’appliquer à l’« homme de la culture » la problématique des premières, en voulant atteindre l’homme absolu, à la fois « naturel » et « culturel ». Quiconque succombe à cette tentation risque d’adopter lui-même une attitude religieuse au lieu de se donner effectivement les religions comme objet d’étude.
 
Pour sortir de l’équivoque, il est nécessaire de se représenter clairement l’alternative suivante : ou bien le discours historique sur les religions, ou bien le discours religieux sur l’histoire. Il ne s’agit que de choisir, mais en remarquant bien qu’un tel choix, au lieu de se présenter à un moment ou à un autre et de manière individuelle, s’est posé une fois pour toutes à l’ensemble d’une culture, celle de l’Occident, où l’on ne trouve pas une « religion de l’histoire » qui œuvrerait sur le plan scientifique à côté d’une « histoire des religions », pas plus qu’il n’y existe un « art de l’histoire » qui pourrait s’opposer à l’« histoire de l’art ». Le choix en faveur de la connaissance historique est caractéristique de la civilisation occidentale, à tel point qu’on ne saurait en trouver l’équivalent dans aucune autre. C’est ce choix, en définitive, qui permet de comprendre qu’on en soit venu à opposer à un concept de nature un concept de culture, dans la perspective duquel le culturel désigne toute production humaine à partir d’un état naturel extra-humain, qu’il soit supra-humain ou pré-humain.
 
Le désintérêt méthodique vis-à-vis de ce qui est irréductible à une connaissance de type historique, avant même de pouvoir être formulé théoriquement, est inscrit dans les faits mêmes qui marquent le développement de la recherche historico-religieuse. Dans l’histoire de ces travaux, on constate que les théories métahistoriques (l’évolution religieuse, la religion transcendantale, la nature humaine, etc.) se chevauchent et se juxtaposent sans qu’il y ait un véritable progrès, exactement comme cela se passe en philosophie, tandis que la production pratique progresse constamment en fournissant de nouveaux moyens d’enquête, en posant des problèmes inédits, en ouvrant d’autres perspectives. On peut bien dire que toute recherche, quels qu’en soient les présupposés théoriques, constitue un jalon dans le progrès effectif des études d’histoire des religions.
 
Outre le progrès qui s’est accompli à l’intérieur de ces travaux eux-mêmes, il faut prendre en considération l’apport qu’ils ont fourni à celui des sciences humaines en général : ils ont contribué puissamment à la formation d’un nouvel humanisme fondé sur le relativisme culturel contemporain, qui partout est en train de se substituer à la vieille conception européocentrique de l’homme comme absolu. C’est, en effet, aux études d’histoire des religions qu’est due en partie l’apparition aujourd’hui d’un nouveau sens de l’histoire, qu’il s’agisse de l’histoire des cultures ou de la mise au jour des racines inconscientes des manifestations successives de la culture. Dans cette direction, l’histoire des religions se développe d’une manière privilégiée, précisément en raison de son objet, qui est constitué par des symboles ou des systèmes de symboles permettant d’identifier ces systèmes de valeurs qu’on appelle les cultures. Que cette recherche, qui est d’ordre culturel, se limite à la particularité du phénomène religieux se justifie d’un double point de vue, intrinsèque et extrinsèque.
 
La justification intrinsèque tient à ce que toute religion se présente comme une réalisation culturelle d’une fuite hors de l’histoire (d’un salut par rapport à un devenir historique ressenti comme quelque chose d’arbitraire, d’incertain, de dangereux, etc.). Cela revient à dire que sur le plan religieux s’exprime à plein tout ce qui est éliminé du niveau d’une conscience historique. C’est pourquoi tout chercheur soucieux de restituer à l’histoire le contenu de faits et de comportements humains peut se tourner de préférence vers les religions, en tant que réceptacles de ce qu’on a tenté de soustraire à l’histoire.
 
La justification extrinsèque consiste en ce que les sciences historiques et philologiques traditionnelles renvoient toujours à des motivations d’ordre religieux, quand elles abordent des données ressortissant à des civilisations étrangères à l’Occident, c’est-à-dire à des civilisations qui, comme on l’a dit, ne possèdent ni vocable ni concept pour qualifier ce que nous définissons comme religion : l’égyptologue, par exemple, décrira la civilisation égyptienne en subdivisant la matière selon des chapitres concernant l’organisation politique, les arts, les us et coutumes, etc. ; l’un de ces chapitres est consacré à la religion. Néanmoins, l’égyptologue se mettra ensuite à expliquer par cette dernière la souveraineté des pharaons, la production artistique, les divers usages, etc., se refusant à donner conformément à la problématique qu’il avait lui-même adoptée (en distinguant, selon une perspective « européocentrique », la religion des autres phénomènes culturels) les conclusions exigées de l’examen de ces différents sujets. C’est à l’historien des religions qu’est ainsi laissé le soin de conclure réellement. On pourrait dire, à cet égard, que l’histoire des religions commence là où finissent l’historiographie et la philologie traditionnelles.
 
En réalité, elle apparaît pour répondre à des problèmes que les disciplines classiques non seulement avaient laissés sans réponse, mais auxquels tout simplement elles n’avaient pas su donner une formulation scientifique. Et elle s’acquitte de son rôle en procédant d’une manière qui s’oppose à celle de ces disciplines : elle part de la « particularité » religieuse pour atteindre la « totalité » culturelle. La logique de ce processus réside, en premier lieu, dans l’impossibilité objective de limiter le domaine du religieux en présence de réalités culturelles ordonnées selon des catégories différentes de celles qui règlent la culture occidentale (réalités qui, d’ailleurs, ne sont pas susceptibles d’être ordonnées en fonction du concept occidental de religion), en second lieu, dans le statut même de la recherche historiographique, qui doit ramener à l’histoire, sans résidus, le phénomène religieux, lui aussi, bien qu’il soit apparemment métahistorique et, par conséquent, apparemment dissociable des autres phénomènes culturels (cette apparence est fonctionnelle, ainsi qu’on l’a dit : elle sert à réaliser dans des formes culturelles une impossible fuite hors de l’histoire). La méthode historico-religieuse, en définitive, naît précisément de la solidarité spécifique entre les religions et les cultures qui en sont porteuses.
 
 4. Les grandes religions universelles
 
L’impossibilité de dissocier les religions des unités culturelles sert de fondement à une science historico-religieuse qui tend à identifier les cultures singulières à travers leurs expressions religieuses. Mais à cette indissociabilité semblent faire exception les grandes religions universelles telles que le bouddhisme, le christianisme, l’islam. Précisément en tant qu’elles sont universelles, elles prétendent transcender les cultures particulières et se présentent comme ayant valeur pour tout homme, quelle que soit l’époque, ou la zone culturelle, à laquelle il appartient. À vrai dire, l’histoire des religions elle-même se trouve dans une situation d’exception par rapport aux formations religieuses de ce type. On peut affirmer, en un certain sens, qu’elle ne s’occupe ni du bouddhisme, ni du christianisme, ni de l’islam, ou, plutôt, qu’aucune de ces religions n’a été ni n’est étudiée selon la méthode historico-religieuse. Non qu’il fût impossible de le faire, au moins en théorie, mais il reste qu’en fait cette discipline n’a pas orienté son attention dans une telle direction, ou du moins elle ne l’a pas fait d’une manière qui eût été déterminante pour le progrès de la recherche, excepté pour celle qui s’intéresse aux récentes formations syncrétistes, comme on le verra plus loin. Un tel désintérêt s’explique probablement autant par le caractère exceptionnel de ces religions (même si elles comptent un très grand nombre d’adeptes, elles se ramènent, au fond, à trois seulement) que par leurs contenus doctrinaux, qui semblent ressortir au domaine de la philosophie et auxquels, précisément à cause de leur valeur philosophique, on a coutume d’accorder une importance qui est excessive par rapport à la réalité religieuse qu’ils représentent.
 
La recherche historico-religieuse, de toute façon, ne peut manquer de situer les grandes religions universelles elles-mêmes dans les limites d’unités culturelles déterminables. Cela s’impose, d’abord, dès que l’on prête attention aux origines de ces formations : le bouddhisme doit être regardé comme déterminant pour la compréhension de la culture indienne qui lui a donné naissance, comme le christianisme pour celle de la culture romaine et hellénistique du monde méditerranéen, comme l’islam pour la civilisation arabe. L’expansion de ces grandes religions suggère la même conclusion : bien que théoriquement universelles, elles ont toutes les trois rencontré une limite à leur diffusion, limite évidemment imposée par des facteurs culturels qui doivent pouvoir constituer un des objets de la recherche historique.
 
À propos de ce phénomène d’expansion, il est indéniable que le christianisme s’est diffusé grâce à un processus d’acculturation qui commença avec la romanisation (c’est-à-dire la réduction à une unité culturelle spécifique) des peuples européens et qui se poursuivit avec la colonisation européenne de cette partie du monde, laquelle en sortit christianisée. On peut en dire autant de l’islam : il est apparu là où est parvenue la conquête arabe et il a été accueilli là où a été accueillie la culture des Arabes (autre cas de réduction à une unité culturelle spécifique). Quant au bouddhisme une fois accomplie sa propagation en Chine, où il renaît comme un produit de la culture chinoise (tandis qu’à la même époque il disparaît de l’Inde, son berceau culturel), il se présente comme affronté à deux formes d’acculturation : l’une qui part de l’Inde et « indianise » les cultures inférieures environnantes en les faisant devenir « bouddhistes », l’autre qui part de Chine et porte la culture chinoise, y compris le bouddhisme, jusque dans le lointain Japon.
 
À l’heure actuelle, les processus d’acculturation sont précisément d’un très grand intérêt pour les recherches, et non seulement celles qui relèvent de l’histoire des religions, par la voie des problèmes de tous ordres, politique, économique, social, qui se trouvent posés par les anciens pays colonisés au moment où ils acquièrent une importance historique. À ces travaux, l’histoire des religions a fourni et continue d’apporter sa contribution en leur assignant comme objet d’investigation les mouvements religieux modernes surgis dans des aires de colonisation européenne à la suite du heurt entre les cultures indigènes et la culture occidentale, qui avait apporté, entre autres, le christianisme. L’étude des Églises dites « indigènes » et des autres cultes syncrétistes a démontré à quel point manquait de fondement la prétention de propager le christianisme comme s’il eût été possible, en raison du contenu universel de ce dernier, de faire abstraction de la culture (occidentale) qui le transmettait et des cultures (indigènes) qui le recevaient. C’est là une nouvelle preuve en faveur de la critique énoncée plus haut contre l’exception que prétendent constituer les religions dites universelles par rapport à l’impossibilité de dissocier les religions des cultures qui en sont porteuses. C’est une nouvelle preuve de l’efficacité de la méthode de l’histoire des religions dans l’étude des cultures non occidentales et, par ricochet, dans un processus d’objectivisation de la culture occidentale moderne elle-même.

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MessageSujet: Re: L'apparition des religions   L'apparition des religions EmptyJeu 23 Mar - 20:36

QU'EST-CE QU'UNE CIVILISATION ?


L'histoire des Sumériens en Mésopotamie : 1ère civilisation au monde




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Prise de vue

Le mot « civilisation » est employé en des sens très variés et souvent fort imprécis. D’une manière générale, on peut classer sous trois rubriques les significations qui lui sont attribuées explicitement ou implicitement. Premièrement, dans le langage le plus courant, le terme de civilisation est associé à un jugement de valeur et qualifie favorablement les sociétés à propos desquelles on l’emploie. Il suppose alors qu’il y ait, inversement, des peuples non civilisés ou sauvages. Le verbe « civiliser » en est la preuve, et, de ce verbe, dérive aussi un sens particulier du substantif qui désigne alors l’action de civiliser. La civilisation est, en deuxième lieu, un certain aspect de la vie sociale. Il y a des manifestations de l’existence collective qui peuvent être appelées phénomènes de civilisation ou qui, si elles se concrétisent dans des institutions et des productions, sont nommées œuvres de civilisation, alors que certaines autres ne méritent évidemment pas d’entrer dans cette catégorie. Enfin, le mot « civilisation » s’applique à un ensemble de peuples ou de sociétés. Ainsi, à côté de la civilisation qui est un degré élevé d’évolution ou un ensemble de traits caractéristiques, il y a les diverses civilisations qui possèdent ces caractères et en tirent une personnalité propre qui leur donne une place déterminée dans l’histoire ou dans l’ensemble des populations à un moment donné. Cette troisième signification du mot est donc liée à l’une ou l’autre des deux premières et en est l’objectivation, ou, si l’on préfère, c’est elle qui rend le concept opératoire dans l’analyse de la réalité sociale.

Il faudrait donc ou bien faire un choix entre les deux premiers sens ou bien les concilier, en tout cas les préciser. Cela suppose d’abord qu’on s’entende sur le contexte dans lequel on emploie le mot et qu’on précise les rapports entre civilisation et culture. Car il est facile de voir que, dans tous ses sens, la civilisation apparaît comme un type particulier de culture, ou comme un aspect de celle-ci. Les deux notions mesurent plus ou moins un écart entre la nature et l’acquis social. Il faut pourtant les distinguer l’une de l’autre. Cela suppose qu’après avoir situé la civilisation dans le champ culturel on précise dans la mesure du possible les critères auxquels on la reconnaît, soit en tant qu’étape évolutive, soit comme aspect de la vie sociale. C’est à cette tâche que, dans diverses branches des sciences sociales, on s’est appliqué avec plus ou moins de succès et de manière plus ou moins cohérente.

L'aube des civilisations - Entre deux fleuves
Le voyage commence en Turquie, à Göbekli Tepe, sur un site archéologique qui daterait de la fin de l'ère glaciaire.
Des chasseurs-cueilleurs ont interrompu leur itinérance et ont construit des habitations.
À Çatal Höyük, un autre site turc, vers 8000 ans avant J.-C., l'agriculture s'est développée et se répand à travers tout l'Occident.
Puis vient l'artisanat. À la fin du Néolithique, les premières civilisations font leur apparition...


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Le développement des techniques est aussi un fait aisément observable. Les préhistoriens ont d’ailleurs pris ce phénomène comme base de leurs classifications, non seulement parce qu’ils ne trouvent guère dans les vestiges exhumés d’autres signes distinctifs d’évolution, mais aussi parce que les formes d’outillage suivent dans la chronologie universelle un ordre constant : pierre taillée, pierre polie, métaux. Le développement de la civilisation sous ses formes plus élevées est également associé, dans les faits, à d’autres inventions : le dressage des animaux, l’agriculture, la roue, l’utilisation de la force hydraulique. Cependant, il est difficile d’assigner à une technique particulière le rôle de critère décisif. Il serait plus exact de faire coïncider la naissance de la civilisation proprement dite avec un changement général d’orientation qui se produit au moment où l’humanité cesse de se borner à utiliser les moyens que l’environnement lui offre par appropriation directe (chasse, pêche, cueillette) pour tenter d’asservir la nature par des procédés différés et artificiels (élevage, agriculture) dont l’effet n’est pas donné simultanément dans l’acte technique.

Mais la technique ne prend sa dimension civilisatrice que dans la mesure où elle se reflète dans l’ordre social par le biais de l’économie. D’une part, le développement de l’agriculture entraîne le régime de la propriété et surtout une production alimentaire suffisante pour mettre le groupe à l’abri de la disette et permettre à certains de ses membres de se consacrer à des activités moins matérielles. D’autre part, le système des échanges, la circulation des biens et leur accumulation font apparaître d’autres clivages dans la collectivité. Ainsi, peu à peu, apparaissent des classes sociales qui, selon Marx et Engels, sont des produits de l’évolution économique liée elle-même à la complication des techniques, et qui sont les éléments dynamiques de la civilisation, par la tension qu’elles instaurent et les idéologies qu’elles développent.

Par L. H. Morgan, dont les travaux ont également inspiré les anthropologues marxistes, il est une technique particulière qui peut être retenue comme la marque décisive de l’entrée d’un peuple dans la vie civilisée, c’est l’écriture et plus particulièrement l’usage d’un alphabet phonétique. Mais Morgan insistait aussi sur les conséquences sociales du développement des « arts de subsistance » et sur les transformations politiques qui accompagnent l’avènement de la civilisation.

De toute manière, il est certain que l’écriture est l’une des techniques qui ont le plus contribué à donner une importance accrue à certains facteurs culturels et à favoriser l’intensification des fonctions intellectuelles. Quant à la thèse du matérialisme historique qui, sous sa forme populaire, fait dériver le système féodal du moulin et le système capitaliste du machinisme, il ne faut pas oublier que, sous sa forme plus élaborée, elle tient compte plus largement des « superstructures » et renvoie aussi à des critères intellectuels, tout en les liant étroitement aux processus techniques et aux luttes de classes. Enfin, il reste toujours à déterminer à quel degré de perfectionnement technique la vie sociale mérite d’être qualifiée de civilisée. De ce point de vue, si la division en classes constitue une première approximation, il pourrait cependant apparaître que le machinisme et le capitalisme, avec l’apparition d’une bourgeoisie conquérante, donnent vraiment à la civilisation son caractère prométhéen.

Mais faut-il alors refuser de classer parmi les civilisations celle des Aztèques qui ne connaissait qu’un rudiment d’écriture ? Beaucoup d’archéologues soutiendraient volontiers que la culture néolithique est déjà une civilisation véritable. Il est donc utile de ne pas s’appesantir uniquement sur les critères techniques et sur leurs effets purement sociaux.

Facteurs intellectuels et moraux

Le progrès technique est d’ailleurs en général une conséquence du développement intellectuel, et celui-ci, on l’a dit, est, inversement, favorisé par le temps que les techniques nouvelles laissent libre pour une activité spéculative, soit dans une catégorie spéciale de citoyens, formant une élite intellectuelle, soit dans l’ensemble même de la population qui, disposant de loisirs, peut s’intéresser à des réalisations qui ne sont pas subordonnées à la simple nécessité de subsister. Dans les civilisations antiques, c’est la structure sociale, et plus précisément la pratique de l’esclavage, qui a permis ce jeu dialectique entre les conquêtes techniques et l’intensification des activités intellectuelles. En Égypte, les finalités techniques ont eu plus d’importance que dans la Grèce antique, où la pensée spéculative était seule digne des hommes libres. La civilisation romaine à son apogée a réalisé une synthèse entre ces deux tendances, mais en séparant de l’ensemble des citoyens une classe d’intellectuels, à savoir l’ensemble des hommes qui pouvaient goûter le loisir sous ses formes les plus élevées (otium cum dignitate). Souvent aussi l’élite pensante a été recrutée parmi les prêtres, lorsque s’est créée une véritable fonction sacerdotale. En Égypte, le rôle des scribes fait apparaître aussi le décalage qui peut exister entre la classe dirigeante et celle des grands inspirateurs de la promotion culturelle.

Les domaines dans lesquels peuvent se situer les critères intellectuels de la civilisation véritable sont nombreux. Aux techniques se rattache très directement la connaissance scientifique, encore que celle-ci, comme on l’a vu, puisse avoir, suivant le contexte, des visées plus ou moins spéculatives et se confondre, même en Grèce par exemple, avec la philosophie. En tout cas, la géométrie, l’arithmétique, l’astronomie sont en honneur dans toutes les hautes civilisations. L’écriture permet la conservation et la transmission fidèle du savoir acquis. On peut, ainsi, trouver dans ces domaines divers des critères assez nets par lesquels la sociologie de la connaissance vient en aide à celle des civilisations.

Pour ce qui est des arts, des productions esthétiques en général, le départ entre civilisés et non-civilisés est plus difficile à faire. En effet, dès les temps paléolithiques, la peinture, par exemple, atteint un degré de perfection que les artistes modernes reconnaissent encore. Inversement, des civilisations confirmées et évoluées ont connu, au cours de leur histoire, des phases de décadence du point de vue des réalisations esthétiques. Il n’en est pas moins vrai qu’il n’y a pas de civilisation digne de ce nom sans productions artistiques. Certains auteurs estiment que l’art des vraies civilisations ou des hautes cultures se caractérise non pas par telle ou telle réussite particulière, mais plutôt par une conceptualisation des styles, voire même une succession des modes et des écoles, ou encore leur diversification selon les couches sociales. La différenciation entre un art populaire ou traditionnel et un art de l’élite sophistiqué et hiérarchisé serait, selon ces mêmes auteurs, le signe qu’une société a atteint le niveau requis d’évolution. Cependant, il serait facile de montrer que même les prétendus « sauvages » connaissent aussi des styles et que, d’autre part, les civilisations modernes ne semblent pas toutes se proposer comme idéal le maintien d’une coupure entre l’art de l’élite et l’art populaire. Les problèmes soulevés par la « culture de masse » à propos des moyens de grande diffusion présentent en tout cas le rapport entre l’art et la civilisation sous un tout autre aspect. À côté des sciences et des arts, il faudrait ajouter les autres « œuvres de civilisation », comme disent les sociologues, et notamment l’organisation politique, juridique, religieuse. Ce n’est pas à vrai dire, tel ou tel type particulier d’institution ou tel degré précis d’élaboration du droit ou encore tel régime de gouvernement qui peut caractériser la civilisation, mais plutôt leur différenciation, par rapport à l’ensemble de la vie sociale, et le fait que le contexte juridique et politique fasse l’objet d’une prise de conscience, d’une réflexion. Quant à la religion, on admet généralement qu’elle se charge de valeurs morales au fur et à mesure qu’elle devient plus « civilisée ». Quoique la magie ait servi de stimulant à la connaissance scientifique dans ses débuts et qu’elle ait, ainsi que le note Gurvitch, joué bien souvent un rôle dynamique dans l’évolution sociale, il faut néanmoins reconnaître qu’elle tend de plus en plus à s’effacer au profit de la religion au fur et à mesure que s’élève le niveau culturel. Premier moteur de la connaissance technique et spéculative, elle tend à être entièrement remplacée par elle et à laisser ainsi le champ à une religion qui, délivrée de cette compromission ou de cette concurrence, évolue elle-même vers une humanisation et devient le grand principe de régulation éthique des premières civilisations. Selon Kroeber, le déclin de la magie et de la superstition, lié à l’allégement de certains soucis matériels, serait un critère important de la civilisation ; pour d’autres auteurs, ce serait l’apparition dans la religion des dieux anthropomorphes et l’élimination par eux des divinités animales.

Naturellement, il est difficile de dire si les valeurs morales et les idéaux font partie ou non des critères de la civilisation, car répondre à cette question c’est déjà philosopher. Dire qu’un certain humanisme est indispensable, ce serait éluder la question, car, par exemple, l’humanisme marxiste et l’humanisme chrétien, malgré leurs différences de principe, peuvent prétendre à une mission civilisatrice. Ou bien alors, il faudrait retenir pour critère ce qui peut être commun à toutes les éthiques des grandes civilisations. Et sans doute trouverait-on que le critère est alors la prétention, justifiée ou non, à l’universalité, à la dimension humaine. On pourrait ainsi, avec Redfield, considérer qu’en définitive la civilisation conçue comme un état élevé de la culture se caractérise surtout par une prise de conscience du rôle même de la culture et par une visée de rationalisation. Ou encore, en reprenant, avec Georges Gurvitch, le critère de la société prométhéenne, on pourrait dire que la civilisation commence au moment où la société reconnaît les possibilités qu’elle a de prendre en main son destin, d’assumer de telle ou telle manière sa propre condition. Cela entraîne, comme moyens et comme fins, l’ensemble des autres critères techniques, sociaux, intellectuels et moraux. Mais on voit qu’en définitive il est difficile de considérer la civilisation comme un perfectionnement de la culture en général à partir d’un certain point sur la ligne du progrès sans isoler certains aspects de la culture. Autrement dit, on est renvoyé des critères évolutifs aux critères analytiques.

3. Critères analytiques

Définition des phénomènes de civilisation

Pour échapper aux dangers des jugements de valeurs éthnocentriques et aux hiérarchies arbitraires entre sauvages et civilisés, plusieurs sociologues et anthropologues préfèrent partir de l’analyse des manifestations de la vie sociale et ranger certains éléments sous la rubrique « civilisation » et d’autres éléments sous la rubrique « culture », ce qui évite de faire du premier de ces concepts une forme supérieure du second. Malheureusement, cela implique entre les deux notions un partage difficile, et, dans ces conditions, l’accord est loin d’être fait sur ce qu’on appelle phénomène culturel et ce qu’on peut nommer phénomène de civilisation, ces deux ordres devant ainsi coexister dans toute espèce de société, quel que soit son degré d’avancement dans tel ou tel domaine.

Selon R. M. Mac Iver, la culture consiste dans les « expressions de la vie ». Il faut entendre par là les idéologies, religions, arts, littératures, c’est-à-dire à peu près ce que les marxistes considèrent comme les superstructures. Quant à la civilisation, elle représente les créations de la société pour assurer son contrôle sur ses propres conditions de vie, ce qui implique aussi bien l’organisation sociale que les techniques. Cette conception, assez répandue parmi les sociologues allemands, s’inspire en partie des distinctions faites par Alfred Weber et rejoint aussi celle que Kroeber établit entre deux sortes de cultures : celle de la valeur, et celle de la réalité, cette dernière correspondant plutôt à la civilisation.



Partant d’un point de vue assez différent, quelques auteurs, comme Laloup et Nélis, arrivent à des définitions assez voisines, en appliquant à ce contexte la distinction établie par Hegel entre l’esprit subjectif qui, alors, envelopperait la culture et, d’autre part, l’esprit objectif auquel se rattacherait la civilisation. La culture exprimerait ainsi les efforts que l’homme dirige sur lui-même pour se perfectionner, et la civilisation, ceux qu’il fait pour modifier le monde et qui se projettent ainsi dans des œuvres concrètes.

Or ces définitions, si elles sont dans l’ensemble cohérentes entre elles, sont en revanche difficilement conciliables avec le sens le plus courant des mots et aussi avec celui que tendent à leur donner les conceptions évolutives. Ces dernières insistent volontiers en effet sur les idéologies et les créations esthétiques, pour séparer les civilisés des non-civilisés. Le langage commun ne semble pas non plus exclure ces caractéristiques de ce qu’il entend par « vie civilisée ».

En fait, on s’aperçoit que ces difficultés viennent souvent de ce qu’on a trop souvent séparé deux sens du mot « civilisation », à savoir celui qui définit dans l’abstrait un ordre de phénomènes et celui qui, dans le concret, s’applique à un ensemble humain, déterminé dans l’espace et le temps, c’est-à-dire non pas tellement à la civilisation, mais à une civilisation.

La forme concrète de la civilisation

Une tentative a été faite par Marcel Mauss pour unir les différentes acceptions du terme. Il définit d’abord le phénomène de civilisation comme étant commun à plusieurs sociétés et à un passé plus ou moins long de ces sociétés. On peut donc le distinguer du simple phénomène culturel par son volume, de sorte que l’analyse conceptuelle est faite ici en extension plutôt qu’en compréhension. Ainsi, les phénomènes en question sont par essence supranationaux, de telle sorte que leur étude comporte celle des contacts et de la diffusion, en même temps que celle des processus par lesquels les sociétés particulières s’individualisent sur un fond de civilisation. On peut alors définir la civilisation elle-même comme un « ensemble suffisamment grand de phénomènes de civilisation, suffisamment nombreux eux-mêmes, suffisamment importants, tant par leur masse que par leur qualité », et aussi comme un ensemble assez vaste par le nombre de sociétés qui représentent ces phénomènes. Ainsi, la civilisation est à la fois une aire et une forme, de sorte qu’à l’analyse en compréhension s’associe l’analyse en extension. Mauss condamne en même temps les considérations vagues et générales, comme celle de Spengler qui différencie qualitativement les civilisations selon des critères plutôt philosophiques. Pour définir l’aire et la forme d’une civilisation, il faut étudier scientifiquement les modalités et même les modes qui sont organisées en système dans un ensemble hypersocial. Ainsi, le concept devient opératoire et peut être utilisé pour des recherches véritablement scientifiques à la fois par les sociologues et par les anthropologues. Certes, la prise de position de Mauss exclut la définition trop rigoureusement évolutive qui situe la civilisation à un niveau élevé d’une progression linéaire et qui est dépréciative pour les cultures non civilisées. Mais elle n’exclut nullement le facteur historique, ni même une certaine évolution. En effet, cette analyse se situe seulement au-delà d’un certain stade de complexité sociale auquel sont liés des perfectionnements techniques et des progrès institutionnels, intellectuels et moraux. Par exemple, au niveau des sociétés claniques, les phénomènes de civilisation sont assez largement éclipsés par les phénomènes simplement sociaux, sans être toutefois totalement absents.

D’autre part, il resterait à déterminer si les phénomènes de civilisation sont, dans les faits, plutôt ceux qui se réfèrent à l’esprit subjectif ou bien à l’esprit objectif. Or, il est évident que les phénomènes supra-sociaux appartiennent à ces deux catégories : ce peuvent être en effet les techniques, les institutions sociales, aussi bien que les arts, les religions qui sont des traits communs à diverses sociétés participant à une même civilisation. Et il est fort possible que certaines civilisations soient caractérisées par l’un de ces traits, d’autres par un autre. Finalement, le problème revient alors moins à définir la notion même de civilisation dans ce qu’elle a de vague et d’ambigu qu’à établir une typologie et à étudier comment vivent et évoluent les différentes civilisations, en tant que systèmes de phénomènes supra-sociaux.

4. Typologie et phénoménologie des civilisations

Délimitation

Lorsqu’on distingue les civilisations les unes des autres, il faut d’abord savoir en préciser les contours dans le temps et dans l’espace.

Les historiens ont parfois tendance à voir dans le développement de l’humanité une succession de civilisations : hellénique, romaine, médiévale, etc. Mais ces seuls exemples montrent que le concept est chargé alors de significations différentes. Ainsi, la civilisation romaine se définit à partir du mode de vie d’un peuple qui, peu à peu, a fait rayonner autour de lui sa conception de la société. Il s’agit donc là d’un phénomène, l’impérialisme, qui est tout autant historique que sociologique et s’explique en partie par les conquêtes. La civilisation est, dans ce cas, à chaque période de son existence, délimitée par des frontières à l’intérieur desquelles elle forme une totalité plus ou moins unifiée.

À l’inverse, lorsqu’on parle de la civilisation médiévale, on songe plutôt à un type de société globale qui se trouve représenté à des périodes diverses et en des lieux parfois fort éloignés les uns des autres. Il serait même plus exact d’employer l’expression de civilisation féodale. On en trouve des exemples aussi bien en Europe qu’en Extrême-Orient. C’est à ce genre de typologie que se réfère par exemple Georges Gurvitch lorsqu’il distingue les sociétés théocratiques, patriarcales, féodales, capitalistes. Allant plus loin encore dans l’abstraction, Max Weber définissait des types idéaux qui étaient des modèles rationnels dont on pouvait trouver, ou même ne pas trouver des manifestations concrètes. Ainsi, le type idéal de la civilisation capitaliste serait construit par le sociologue qui, ensuite, lui comparerait telle ou telle phase historique d’une société donnée. Enfin, d’une manière à la fois concrète et générale, on a recours au même concept pour désigner des états déterminés, mais universellement répandus à tel ou tel moment de la société. C’est le cas par exemple de la civilisation néolithique, qui constitue un stade d’évolution par lequel sont passés, avec plus ou moins d’avance ou de retard, tous les groupes humains au sortir de l’âge paléolithique, et qui constitue un type de vie assez nettement structuré, homogène, si bien que certains anthropologues comme Claude Lévi-Strauss y verraient volontiers l’état social le plus proche du modèle général de toute société.

Il est donc clair que, suivant le mode de classification que l’on se propose, on prend le mot « civilisation » dans des sens plus ou moins concrets ou abstraits. En fait, c’est même toujours entre ces deux extrêmes qu’il se situe, car, d’une part, le type idéal, s’il était une pure abstraction, serait sans utilité puisqu’il doit servir à rendre compréhensibles des phénomènes réels, et, d’autre part, une typologie naïvement concrète ne permettrait pas de dépasser le niveau événementiel.

Si, malgré ces nuances, dans tous les emplois qu’on vient de citer, la notion de civilisation s’applique à des totalités, il paraît utile aussi, dans d’autres processus d’analyse, de distinguer, dans un même ensemble réel ou même abstrait, des couches ou des éléments constituant des civilisations diverses. Par exemple, on l’a vu, Redfield découvre la dynamique civilisatrice dans l’interaction entre deux niveaux de civilisation correspondant respectivement à la « petite tradition » et à la « grande tradition ».

Des distinctions de ce genre sont certainement utiles aux folkloristes. Ainsi, André Varagnac peut entreprendre l’étude de la « civilisation traditionnelle », en l’isolant du contexte moderniste, en laissant de côté les éléments de culture savante.

Un autre problème qui se rattache à la délimitation dans l’espace est celui qui concerne la taille de l’ensemble concret dans lequel se réalise le type considéré. Faut-il, par exemple, dans le monde contemporain, parler d’une civilisation occidentale, d’une civilisation européenne ou d’une civilisation anglo-saxonne, d’une civilisation latine ou d’une civilisation française, d’une civilisation allemande ? Il est certain qu’à cette question comme aux précédentes on ne peut donner une réponse unique et catégorique. Tout dépend du niveau de compréhension que veut atteindre le spécialiste des sciences humaines.

Caractères déterminants

En effet, l’aire d’une civilisation dépend de la caractéristique que l’on choisit pour l’identifier, et c’est dans ce choix même que peuvent converger les différentes acceptions du mot, le point de vue analytique pouvant se combiner avec le point de vue évolutif.

Le caractère déterminant peut être d’ordre technique. C’est le cas, on l’a vu, pour les classifications des préhistoriens. De même, les ethnographes distinguent volontiers une civilisation de l’arc ou une civilisation de la sarbacane. Dans les sociétés modernes, la notion de civilisation industrielle, fondée sur le développement du machinisme, dépasse le plan purement technique, car elle se réfère aussi aux caractères économiques et sociaux, mais elle se heurte alors à la difficulté qui résulte de la combinaison de ces divers aspects, et il est difficile de ranger sous une même rubrique les sociétés capitalistes et les sociétés socialistes, sinon en faisant l’hypothèse qu’il y aurait une convergence entre elles, ce qui n’est pas évident.

Le caractère déterminant peut également être religieux. Ainsi, les ethnographes délimitent assez bien une civilisation chamanistique, et les historiens peuvent situer clairement dans le temps l’apparition d’une civilisation chrétienne, qui comporte une certaine unité culturelle et morale.

Les caractères intellectuels et culturels peuvent être, eux aussi, choisis comme traits fondamentaux. On emploie en effet assez souvent les expressions de civilisation du livre, de civilisation de l’audio-visuel, de civilisation des loisirs. La difficulté qu’on éprouve à coordonner ces diverses typologies a conduit à chercher des méthodes plus synthétiques. Parmi celles-ci, il faudrait citer celles qu’ont mises au point diverses écoles culturalistes. Ainsi, avec Linton et Kardiner, on peut chercher à trouver l’unité dans les « personnalités de base », c’est-à-dire dans les effets globaux que les sociétés peuvent avoir sur les individus, dans la manière dont elles les façonnent par l’éducation. Ou bien on peut, avec Ruth Benedict, et dans le même sens, chercher à déterminer les finalités, les desseins secrets des diverses civilisations dans l’action qu’elles exercent sur la personnalité consciente et inconsciente. On peut ainsi distinguer, par exemple, des civilisations apolliniennes dont le système global tend à favoriser l’esprit de solidarité, et des civilisations dionysiaques qui développent plutôt l’esprit de compétition.

Un pas de plus est fait dans la conciliation entre les divers sens du mot, lorsqu’on s’efforce, à travers les phénomènes de contact et de diffusion, de saisir comment une civilisation s’impose peu à peu à plusieurs autres, de sorte que l’hypothèse d’une coupure entre civilisés et non-civilisés est remplacée par l’étude historique des convergences à travers des évolutions qui ne sont conçues ni comme nécessaires ni comme fondées sur des échelles de valeurs a priori. C’est dans ce contexte que les notions de civilisation industrielle et de civilisation des loisirs peuvent être utiles pour permettre au sociologue, à partir de modèles qui sont assez proches du type idéal wébérien, de mieux comprendre les évolutions en cours.

Mais il ne faut pas que cette idée d’une civilisation unitaire à titre de modèle conduise à une vue prospective trop rigide. Comme le disait Paul Valéry, nous avons appris que les civilisations sont mortelles. Le propre même de la civilisation humaine est d’ailleurs de pouvoir se remettre elle-même en question. Il s’agit donc seulement, en décelant les convergences, de mieux comprendre le présent, et non pas de prédire l’avenir. Le préjugé de la civilisation occidentale seule détentrice de la vérité civilisatrice ne doit pas plus servir à fermer l’évolution qu’il ne pouvait fournir des critères pour rejeter dans la non-civilisation les sociétés qui, dans le passé, étaient définies comme sauvages ou barbares. La notion de civilisation ne peut être que purement opératoire, aussi elle ne peut ni totalement coïncider avec la réalité concrète ni lui échapper. Elle implique des systèmes de valeur, mais elle doit en faire comprendre la genèse au lieu de les poser a priori.

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MessageSujet: Re: L'apparition des religions   L'apparition des religions EmptyVen 24 Mar - 2:20

ANTHROPOLOGIE RELIGIEUSE


Le politico-religieux au fondement des sociétés

Prise de vue

Il semble que la modernité, placée sous le signe des sciences et des techniques, n'ait pas relégué dans le passé les croyances religieuses. Dès le paléolithique, les hommes ont inventé des mythologies et des cosmogonies d'origine, donnant lieu à des rituels, des règles de vie, des cultes funéraires. L'anthropologie, l'ethnologie et la préhistoire peuvent-elles nous éclairer sur les origines , voire les "fondements" des phénomènes religieux ? Mythologie, chamanisme ou animisme, quelles sont les fonctions de ses croyances et de ces pratiques? Au-delà des diversités culturelle, y a t-il une armature commune à toutes les religions ?

L’anthropologie religieuse se distingue de l’ethnologie, de l’histoire et de la sociologie des religions en ce sens qu’elle essaie de comprendre, par-delà le chaos des faits religieux, l’homme qui crée et manipule tout un symbolisme, celui du « surnaturel » ou du « sacré ». Naturellement, la première tâche de l’anthropologie religieuse est de définir ce qui distingue les symboles du sacré des autres espèces de symbolismes. Il n’y a pas d’autre issue possible, si l’on ne veut pas tomber dans les pièges de l’ethnocentrisme, que de partir chaque fois des définitions indigènes et de leurs classifications des choses en un système binaire : sacrées et profanes.


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L’anthropologie religieuse est née dans la seconde moitié du XIXe siècle ; malheureusement elle s’est posé au début une série de faux problèmes : ceux de l’origine, de l’évolution ou de l’essence de la religion ; de là, le discrédit où elle est tombée et dont elle ne se relève que maintenant, par un changement de perspectives. Aujourd’hui, elle apparaît soit comme un chapitre de l’anthropologie sociale (on localise les institutions religieuses dans des structures sociales et on cherche les fonctions latentes que remplissent ces institutions dans l’ensemble de la société), soit – ce qui est le point de vue soutenu ici – comme une science indépendante. Dans ce cas, la religion est étudiée dans deux dimensions : synchronique, comme un ensemble ou système cohérent de pensées, d’affects et de gestes ; et diachronique, comme un ensemble qui se modifie et qui change. Dans le premier cas, l’anthropologue propose des modèles ; dans l’autre il cherche, sinon des lois, du moins des processus généraux, comme ceux de rééquilibration du religieux par rapport au reste de la vie sociale – chaque fois que l’écart est trop grand – ou comme ceux du transfert religieux d’un domaine à un autre entièrement différent.



1. Ethnologie religieuse et anthropologie religieuse

Il faut faire une distinction entre ethnologie religieuse et anthropologie religieuse. L’ethnologie religieuse s’intéresse surtout aux diversités des croyances ou des pratiques religieuses des ethnies les unes par rapport aux autres : elle commence donc par l’analyse du concret, le discours sur les dieux et les rites pour entrer en communication avec eux ; lorsque, dans un second moment, elle devient comparative, elle suit alors une marche inductive ; elle s’élève peu à peu du particulier au général, mais ce général reste encore localisé à une aire culturelle, à un type de religion, animiste par exemple, ou polythéiste.

Comme son nom l’indique, l’anthropologie religieuse s’intéresse plus à l’homme qu’à l’ethnie ; plus exactement, les données de l’ethnologie ne lui servent qu’à mieux cerner, à travers les cultures qui sont son œuvre, les lois générales de l’homo religiosus. Par conséquent, l’ethnologie religieuse donnera une base à l’anthropologie qui, d’autre part, ne saurait se passer de l’apport des sciences biologiques, psychologiques et sociologiques. Cette union des plus diverses disciplines doit être bien mise en lumière, car malheureusement on a tendance à faire de l’anthropologie religieuse un chapitre de l’anthropologie sociale – qui n’est qu’un autre nom de la sociologie. Or, comme le remarque Spiro, l’anthropologie sociale n’étudie pas la religion en tant que telle, mais le rôle – ou la fonction – que la religion joue dans la société : contrôle social, intégration de l’individu à la collectivité, rébellion rituelle, thérapie, etc. Et certes, nous ne nions pas que la religion remplisse un certain nombre de fonctions utiles dans la société ; mais il y a lieu, également, d’étudier l’homme en tant que constructeur de mondes symboliques.

Il y a un autre point par lequel, à notre avis, une anthropologie religieuse digne de ce nom doit se séparer de l’ethnologie religieuse. Cette dernière étudie surtout les religions des microsociétés (sociétés tribales) ; elle laisse à une autre science, la sociologie des religions, le soin d’étudier les grandes religions universalistes, celles qui dépassent les cadres des ethnies : christianisme, islam, bouddhisme. Au contraire, à la limite, l’anthropologie religieuse devrait découvrir un système qui serait applicable aussi bien aux religions universalistes qu’aux religions particularisées des toutes petites sociétés, australiennes, amérindiennes ou autres.

Dans cette tâche, nous nous heurtons sans doute à de grosses difficultés. La première consisterait à tomber dans des généralités sans grande portée, à cause de leur extension même. C’est ce qui arriverait si nous partions de l’homme pour aller vers les religions créées par lui, ce qui est l’erreur d’un certain freudisme (comme celui de G. Roheim) ou d’une certaine philosophie des religions (comme celle de Tylor ou encore celle de Frazer). Mais cette difficulté n’est que la rançon d’une mauvaise méthode. Loin de partir de l’homme pour descendre vers ses œuvres, il faut au contraire partir des œuvres pour remonter vers l’homme qui y a laissé, suivant un mot de Lévi-Strauss, « la cicatrice de leur arrachement ». Il faut, si l’on préfère, considérer les religions comme des systèmes de symboles, dans le sens le plus large du terme : un instrument, un geste sont des symboles au même titre qu’un dessin ou une parole. C’est le mérite de l’école de Griaule de nous le rappeler. Mais cela ne suffit pas ; pour échapper au vague des généralités sans grande signification, nous devons bien tenir compte du différentiel et tenter, par un système de transformations, d’ordonner toutes ces différences – sans en négliger aucune – sur un axe continu, ou plusieurs. On voit toute la différence entre cette définition et celle de Cassirer. Si Cassirer a eu l’incontestable mérite de saisir l’essentiel du fait religieux, le symbolisme, il a examiné ce symbolisme à travers l’Anthropologie de Kant ; il a donc réduit le différentiel à la seule opposition entre la pensée logique et la pensée mythique.

La seconde difficulté consiste dans cette liaison que nous demandons entre la biologie, la psychologie (et peut-être plus particulièrement la psychanalyse), l’ethnologie, la sociologie enfin. En bref, nous sentons bien qu’avec la seule ethnologie comparée ou la sociologie des religions, nous n’embrassons qu’une petite partie du fait religieux, que le tout de la religion n’est pas exploré, plus exactement qu’il est laissé à d’autres disciplines scientifiques. Il nous faut donc reconstruire un objet – l’objet de l’anthropologie religieuse – qui ne soit pas une simple coexistence de points de vue différents, mais où, une fois l’objet scientifique construit, on ne retrouve plus les points de couture entre les divers apports scientifiques.

Sans religions, les hommes vivraient-ils mieux ?



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Peut-être alors reprochera-t-on à cette conception d’être trop statique. L’ancienne anthropologie religieuse, celle de Tylor, de Spencer, de Frazer, de Durkheim ou de Lévy-Bruhl ne s’intéressait, au contraire, qu’à l’évolution et bâtissait les théories que l’on connaît, celles du mânisme, de l’animisme, du préanimisme, du magisme, contre lesquelles Lang ou le père Schmidt ont réagi, en parlant des cultes primitifs des grands dieux. Mais chez les adversaires comme chez les tenants de l’évolutionnisme il s’agissait toujours d’une histoire – et d’une histoire hypothétique. Evans-Pritchard faisait remarquer à quoi nous avaient conduits ces luttes théoriques, quel manque d’intérêt pour le fait religieux elles avaient signifié chez les jeunes anthropologues.

Ce n’est pas cependant que des faits historiques importants, tel celui de la sécularisation, n’aient pu être mis en lumière. Une anthropologie religieuse comporte donc une dynamique, implique une étude des changements. Le « religieux » se déplace, plus qu’il ne disparaît, avec les cultes nouveaux nés de la sécularisation – comme celui du Héros, celui de la Vedette – avec leurs rites extatiques ou leurs pratiques cérémonielles, avec l’apparition des sectes messianiques dues à la rencontre de cultures antagonistes ou de chapelles ésotériques qui se multiplient avec l’urbanisation. Le religieux n’est pas toujours dans ce que l’on appelle les religions ; et, réciproquement, les religions sont souvent des rétrécissements, des institutions de défense contre le religieux, voire de simples annexes sentimentales d’un pur moralisme, celui d’une classe sociale, de la classe bourgeoise par exemple. L’anthropologie religieuse se doit d’étudier ces mécanismes de déplacement ou de remplacement.

2. Le champ de l’anthropologie religieuse

L’homme doit certes, pour subsister, lutter contre la nature environnante ; mais il n’envisage pas le monde seulement à travers ses besoins physiques. Il donne aux choses un sens qui les arrache au simple donné objectif pour les faire entrer dans le domaine des symboles ou des valeurs. L’anthropologie religieuse part de la constatation de l’existence, à côté de l’activité technique, d’une autre activité, spécifique de notre condition humaine : l’activité symbolique.

Mais qu’est-ce qui distingue les symboles religieux – les actes d’appréhension, les actes de construction ou d’utilisation de ces symboles comme l’ensemble des attitudes envers eux – des autres symboles culturels ? En un mot, qu’est-ce qui définit la sphère du religieux ? Cette question n’a pas grand sens pour les peuples que l’on appelait autrefois primitifs, car l’ensemble du culturel est à peu près coextensif à l’ensemble du religieux. Le mythe détermine les gestes de l’agriculteur, du chasseur ou du pêcheur, comme le plan de sa demeure, sa façon de manger, de faire l’amour, de mourir. Certes, l’ethnographe sur le terrain est sans doute plus sensible à ce qui est mystérieux ou mystique qu’à ce qui constitue la trame de la vie quotidienne et il risque, dans ses descriptions, de donner une image qui valorise les aspects religieux au détriment des autres. Tout n’est pas symbolique et il existe aussi, à côté de la pensée mythique, une pensée empirique, faite de l’expérience très riche des objets naturels. Il faut donc bien définir la sphère du sacré par rapport à celle du profane. Nous pensons, après Durkheim, que le religieux se définit par cette opposition même ; nous n’avons pas à imposer nos perspectives ethnocentriques et nos conceptions, nous n’avons même pas à chercher, croyons-nous, une explication de ce sentiment du sacré : catégorie de « numineux » selon Rudolf Otto, ou prise de conscience des émotions collectives engendrées par le rassemblement des individus selon Durkheim, ou toute autre théorie. Il nous suffit de partir des systèmes tels que nous les donnent les indigènes que nous étudions et de décrire, pour chaque peuple, l’ensemble des représentations qu’ils appellent « religieuses », des institutions qui les supportent, et des gestes de manipulation de ce qu’ils considèrent comme sacré. Nous évitons ainsi, autant que faire se peut, de nous mettre dans l’objet de nos recherches pour pouvoir, à un stade postérieur, comparer du dehors ces systèmes entre eux.

Nous nous refusons donc à considérer l’anthropologie religieuse comme l’étude de l’irrationnel ou, si l’on préfère, de l’affectivité pure. Le mérite sans doute de l’école « fonctionnaliste » a été de montrer que les coutumes qui nous paraissent à première vue « irrationnelles » constituent un genre de vie cohérent parce que « fonctionnel », que les sévices de l’initiation permettent la maturation de l’individu de la même façon que les règles compliquées de la divination assurent le contrôle politique des chefs ou des pères. Cependant le fonctionnalisme nous fait rester dans l’anthropologie sociale. Le rationnel est cherché dans le « latent » des institutions religieuses et dans leurs rapports avec l’ensemble de la vie sociale. Il existe une autre rationalité qui nous introduit, elle, dans le religieux et qui le définit.

Si nous avons tendance à opposer le religieux des primitifs au rationnel, c’est que nous jugeons leurs conduites à travers notre propre conception du rationnel et du mystique ; mais ce que nous appelons mystique aujourd’hui n’est rien d’autre que du rationnel que nous ne comprenons plus ; c’est du rationnel déclassé. Ce sont, si l’on veut, des débris de systèmes, souvent d’âges différents, qui ont perdu leur cohérence ou leur logique interne. Le mérite de Leenhardt, dans les études qu’il a consacrées aux indigènes de la Nouvelle-Calédonie, a été de démontrer que la pensée mythique n’était pas un irrationalisme, qu’elle constituait seulement une « autre » rationalité que la nôtre.

D’ailleurs, si nous sommes obsédés par l’affectif, il suffit de rappeler que nos sociétés occidentales, dont les valeurs idéales ont été façonnées par plusieurs siècles d’éducation scientifique, ont gardé, dans la trame des vies individuelles et dans les réseaux de la vie collective, autant d’irrationnel que les sociétés dites primitives. Karl Marx notait avec raison qu’il y a aujourd’hui beaucoup plus de mythes qu’il n’y en avait dans les civilisations de l’Antiquité. C’est d’ailleurs une des tâches de l’anthropologie religieuse, telle que nous l’entendons, que d’étudier les effets de ce mouvement de « rationalisation » que Max Weber considère comme définissant la marche de nos sociétés modernes ; elle n’est le plus souvent qu’une fausse rationalisation, laissant apparaître au-dessous le bouillonnement des conflits, des pulsions, des mythologies les plus archaïques, des mécanismes de défense contre les bouffées de l’affectif. Il ne serait peut-être pas si abusif qu’il puisse le paraître à première vue d’affirmer qu’il y a sans doute plus de rationalité dans les cultures primitives – ces cultures qui valorisent la transe extatique, la magie agressive, le ritualisme – que dans la nôtre où la raison s’est coupée de l’affectivité si radicalement qu’elle se laisse désormais conduire autant par des fantasmes que par l’observation objective ou les règles de la mathématique ; dans les sociétés primitives, l’affectif est pris dans les réseaux du rationnel et doit obéir à ses lois.


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3. Les nouveaux problèmes de l’anthropologie religieuse

L’ancienne anthropologie religieuse se préoccupait avant tout de l’origine et de la nature de la religion, c’est-à-dire de problèmes insolubles. Il est néanmoins nécessaire, au titre d’un inventaire des problèmes, de rappeler les grandes théories qui font sortir la religion de la vision des rêves ou de l’angoisse devant une nature que l’on ne peut maîtriser. Les critiques que Durkheim a faites de l’animisme ou du naturalisme restent toujours valables, même si la thèse qu’il a voulu leur substituer, et qui fait de la religion l’expression de la transcendance de la conscience collective par rapport aux consciences individuelles, n’est pas plus solide.

Situation du fait religieux dans les faits sociaux

L’anthropologie sociale se préoccupe actuellement, comme le souligne par exemple Meyer Fortes, de situer les faits religieux dans le contexte de la vie réelle, c’est-à-dire soit de l’histoire des individus, soit de l’ensemble des relations sociales. Et d’abord de l’histoire des individus : dans quelle mesure la religion est-elle une institution fondamentale qui forme la personne au cours de ses premières années ? Dans quelle mesure est-elle, au contraire, une activité de compensation destinée à échapper à des tensions internes ? On peut citer ici Kardiner qui distingue institutions primaires et institutions secondaires et fait de la religion une institution secondaire, non pas formatrice de la personne, mais reflet de ses problèmes. En second lieu, l’anthropologie sociale se préoccupe de situer le fait religieux dans l’ensemble des relations sociales : le religieux appartient-il aux superstructures ou au structurel ? Faut-il le considérer comme une idéologie qui flotte en quelque sorte au-dessus des réalités objectives et qui en donne une image déformée ? N’est-il qu’un des langages par lesquels s’expriment, sous une forme symbolique, les faits essentiels qui sont de nature économique ou politique ? Ou bien le religieux fait-il partie, au même titre que l’économique ou le politique, de la structure ? Alors, les rapports entre ces divers domaines ne sont pas des rapports verticaux entre différents niveaux d’une même réalité sociale, mais des rapports horizontaux entre des variables, ou entre des institutions qui agissent et réagissent les unes sur les autres sur le même plan de réalité. L’anthropologie culturelle nord-américaine nous a habitués à considérer les cultures comme des ensembles où tout se tient et dont chaque élément ne s’explique et se comprend qu’à partir du tout qui les embrasse. De son côté Marcel Mauss, en parlant de phénomène social total, nous a fait saisir sur le vif qu’un même phénomène social – par exemple le don ou encore le mariage, le conflit – présente en même temps des aspects religieux, économiques, politiques, sociologiques, esthétiques et psychiques que l’on peut sans doute aborder l’un après l’autre, mais qui constituent pourtant une unique réalité multidimensionnelle.

De plus en plus l’anthropologie sociale s’intéresse aux problèmes des liaisons et des connexions, terrain beaucoup plus solide que celui des genèses ou des essences, car il donne prise à l’observation empirique entre le politique et le religieux par exemple, entre les cultes agraires et l’économie agricole ou entre les systèmes des croyances et les solidarités claniques et lignagères. Dans le monde actuel en rapide transformation, il est également possible d’étudier les métamorphoses que font subir aux valeurs religieuses des phénomènes comme l’urbanisation, l’industrialisation, l’exode rural, les grandes migrations internationales, le développement de l’instruction, l’apparition des mass media. Il est évident qu’avec les progrès de la science et de la technologie, la magie – qui a été une première manipulation de la nature par l’homme – est devenue « redondante », mais que, dans le même temps, l’urbanisation, qui a détaché l’homme des « groupes communiels » où il trouvait sa sécurité pour le jeter dans le jeu des concurrences, a augmenté sa capacité de consommateur de magies ; une « magie scientifique » rassure l’individu à la fois angoissé et scolarisé : l’astrologie, la télépathie orientale ou le spiritisme kardéciste correspondent alors, pour les habitants de nos grandes métropoles, à l’ancienne magie paysanne disparue, qui répondait à la volonté de contrôler le soleil et la pluie, la croissance des récoltes ou la prolifération du gibier.

Réciproquement, le religieux agit sur les autres faits sociaux pour les canaliser dans des directions bien déterminées. Ainsi, au fur et à mesure que les religions universalistes ont remplacé les religions tribales, elles ont contrôlé des masses de plus en plus nombreuses d’individus éloignés les uns des autres et ne communiant plus qu’à travers des institutions bien spécialisées. L’Église s’est séparée de l’ethnie, des classes sociales, des groupes de parenté, pour forger de nouvelles formes de solidarité ; elle s’est servie de ces nouvelles formes de solidarité pour agir sur le politique (lutte des Églises et des États, concordats, partis politiques manipulés par le clergé, etc.) ou sur l’économique (paternalisme industriel contre la lutte des classes, transformation de la classe paysanne en organisations d’agriculteurs-commerçants pour lutter contre l’exode rural, création de coopératives de production et de consommation à partir des sectes messianiques protestantes, etc.). C’est tout ce jeu dialectique qui constitue le champ d’intérêt le plus actuel de notre science des religions.

Religion et activité symbolique de l’homme

Le terme civilisation — dérivé indirectement du latin civis — a été utilisé de différentes manières au cours de l'histoire. Dans l'acception historique et sociologique actuelle, la civilisation est l'ensemble des traits qui caractérisent l'état d'une société donnée, du point de vue technique, intellectuel, politique et moral, sans porter de jugement de valeur. On peut alors parler de civilisations au pluriel et même de « civilisations primitives », au sens chronologique, sans connotation péjorative.
Comme les mots culture, religion et société, le mot civilisation a acquis un poids politique et idéologique déterminant, au point de devenir un concept clé ou un « maître-mot » pour penser le monde et l'histoire à l'époque des Lumières.




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Mais cette science ne s’épuise pas dans ce jeu dialectique ; sinon elle se confondrait avec la sociologie. La religion est un système qui peut être étudié en lui-même et rattaché à l’activité symbolique de l’homme. C’est même là le champ le plus important de l’anthropologie religieuse. Bien qu’il soit sans doute moins développé que le précédent, il faut y insister davantage, pour distinguer les divers problèmes qu’il pose et qu’il y aurait lieu d’étu dier soigneusement. La religion s’exprime par un rituel. Ce rituel est à la fois manipulation du sacré et langage ; d’où la question : les règles qui ordonnent cette manipulation sont-elles des règles d’ordre grammatical ? Autrefois, l’école dite sociologique, aujourd’hui l’école phénoménologique répondent affirmativement : les séquences des gestes au cours d’une cérémonie ne font que reprendre les séquences d’un récit mythique ; ainsi, lorsque le désordre s’introduit dans la nature, on rejoue le mythe de la création ; lorsque la sécheresse sévit, brûlant les récoltes, on rejoue le mythe du déluge ; ainsi on rétablit l’équilibre social ou l’on suscite la pluie fécondante. Qu’il y ait beaucoup de vérité dans cette théorie, c’est incontestable ; toute religion est mimesis. Cependant, il faut faire un certain nombre de remarques ; il existe des mythes sans rituel correspondant : le mythe de Narcisse chez les Grecs, par exemple ; il existe des rituels sans mythes correspondants : certaines formes de sacrifice par exemple ; le mythe comme récit se détache enfin, parfois tardivement, à partir d’un fond qui est celui de la pensée mythique non encore formulée, engluée en quelque sorte dans les participations mystiques et les gestes élémentaires.

Le plus important est donc non pas de découper le religieux en morceaux (le mythe et les dogmes, les rites, les institutions et les prêtrises), mais de le saisir dans son unité vivante, comme une activité culturelle totale qui s’exprime en diverses langues – depuis la langue gestuelle jusqu’à la parole dite, depuis le vêtement sacerdotal jusqu’à la graphie sur les parois d’une caverne – et qui, par conséquent, utilise les morphèmes les plus divers, les pliant tous cependant, pour une culture donnée, à une même syntaxe. Le spécialiste d’anthropologie religieuse est ainsi amené à rechercher des modèles inconscients derrière les modèles conscients que ses informateurs indigènes pourront lui donner s’il s’agit de religions tribales, ou que les livres lui fourniront s’il s’agit de religions universalistes. Ces modèles sont les règles que ces individus suivent, sans s’en rendre compte, et qui définissent les structures syntaxiques d’une certaine expression culturelle. Ainsi, pensons-nous, ce que l’on affirmait ci-dessus est-il plus clair ; les systèmes religieux sont des systèmes rationnels. Il s’agit d’un rationnel sous-jacent qui s’exprime selon les lois de la cohérence, la forme d’une Gestalt. Cette affirmation soulève un certain nombre de problèmes ; il suffit de les énumérer et d’en proposer brièvement la solution.

Il s’agit d’abord d’un modèle culturel ; par conséquent, le biologique peut bien entrer dans notre anthropologie ; lorsque nous étudions une cérémonie, nous voyons que les gestes forment des masses de relations motrices, et ces relations obéissent à des lois biologiques qui sont celles de l’expression naturelle des émotions ; lorsque nous assistons à une crise de possession, nous notons qu’elle obéit également à certaines impositions du corps ; mais le corps ne fournit jamais que des morphèmes ; c’est la culture qui, en les reliant, leur donne un sens, et un sens communicable.

En second lieu, nous sommes amenés à nous poser la question de savoir si cette syntaxe culturelle reste « culturelle » ou si elle n’est pas, tout simplement, « humaine » : c’est le problème soulevé par Lévi-Strauss dans l’Anthropologie structurale, lorsqu’il se demande s’il n’y a pas un « ordre des ordres ». C’est possible théoriquement ; il existe sans doute une analytique transcendantale de la Raison avec ses catégories. Mais nous devons remarquer que Lévi-Strauss se situe dans des structures d’échanges ou des structures de subordination ; la religion ne peut donc y apparaître que comme un objet échangé (tel clan doit faire tel rite pour la tribu, moyennant quoi un autre clan lui répondra par un autre rite : don et contre-don) ou comme un principe de hiérarchisation (mais c’est l’ordre hiérarchique qui comptera, non le principe qui le régit). Dans les deux cas, le religieux en tant que tel échappe au savant ; il est mis entre parenthèses.

On peut, au contraire, proposer une structure qui, tout en étant inconsciente pour ses fidèles, reste une structure culturelle. Et c’est ce qui justement distingue l’anthropologie religieuse de l’anthropologie structurale. Lorsque Evans-Pritchard par exemple dit que la magie n’est pas intelligible si on la considère en elle-même (elle devient en effet alors du pur irrationnel), mais qu’elle ne peut se comprendre que si on la rapporte aux autres croyances, comme partie d’un système de pensée (et d’action) découlant de ce système de pensée, il formule d’une autre manière ceci : l’anthropologie religieuse définit des structures culturelles, et ces structures culturelles sont rationnelles (même si ce rationnel est différent de celui auquel nous a habitué la science). De toute façon, nous sommes hors de la « pensée sauvage », au cœur de la « pensée domestiquée ».

Problèmes des changements

La dernière série de problèmes est celle qui porte sur les changements. On a souvent insisté sur la résistance des religions aux changements : Mircea Eliade a mis en lumière la persistance des archétypes à travers tous les bouleversements religieux, celui du Paradis perdu, celui du Centre du monde et les analogies des épiphanies ; Halbwachs a mis en relief l’importance de la « mémoire collective » dans les faits religieux. En fait, la religion comme tous les faits sociaux change tout en résistant et résiste tout en changeant.

D’abord, au fur et à mesure que les civilisations se rencontrent, les religions qui les soutiennent se heurtent ou s’entrecroisent. Elles peuvent se hiérarchiser, lorsqu’un peuple vainqueur impose ses lois à un peuple vaincu ; dans ce cas, la religion du vainqueur devient la religion officielle et la religion du vaincu tend à se transformer en magie ou sorcellerie ; nous avons eu deux modèles de ce processus, l’un qui nous est fourni par la psychanalyse à partir du texte classique de Freud sur l’« étrange » et l’autre qui nous est fourni par l’histoire, telle la transformation des religions païennes qui, repoussées par le christianisme, ont fourni les cadres de notre démonologie ; ces deux modèles ne sont d’ailleurs pas contradictoires ; ils se situent seulement à des niveaux différents de l’explication. À côté de ce premier processus, historiens comme ethnologues ont insisté sur le phénomène des syncrétismes religieux, syncrétismes qui peuvent s’établir soit à l’intérieur de la classe haute (syncrétisme de type philosophique comme sous l’Empire romain), soit à l’intérieur de la classe basse (syncrétismes des dieux africains avec les saints catholiques dans les Amériques noires) ; naturellement le syncrétisme prendra des formes différentes suivant les religions en contact : islamisme, catholicisme ou protestantisme d’un côté, religions africaines ou asiatiques de l’autre. Ce qu’il est important de noter, c’est qu’il tend partout, au-delà du simple rapprochement ou de la pure réinterprétation d’une des deux religions en contact à travers l’autre, à la création de systèmes unifiés originaux qui ne sont plus ni chrétiens, ni musulmans, ni bouddhistes, ni animistes, ni non plus une simple addition de ces divers ingrédients, mais des réalités sui generis.

La Redécouverte du Sacré



Sans doute le rapetissement du monde et le développement des rapports mondiaux font que ces processus d’acculturation intéressent de plus en plus les spécialistes. Mais nous ne pouvons négliger les faits qui ont été mis essentiellement en lumière par les historiens : changements religieux autonomes et innovations à l’intérieur d’une seule civilisation en changement. Ici encore, nous nous trouvons en présence d’une grande diversité de processus, tel celui, cyclique, du passage de la secte à l’Église et de la scission de l’Église en sectes ; on en a fourni des modèles démographiques d’après le succès de la propagande et le nombre de personnes touchées par une croyance, des modèles sociologiques (tout groupe tend, en se perpétuant, à s’institutionnaliser et à s’organiser en abandonnant la ferveur primitive) ou des modèles psychologiques (la vie religieuse passe toujours, pour les collectivités comme pour les individus, par des moments de bouillonnement et des moments de tiédeur relative, où l’on s’appuie sur le dehors pour maintenir ce qui ne peut plus être nourri du dedans).



Il n’y a probablement pas de populations qui n’aient un système de connaissances empiriques à côté du système de connaissances mystiques, une sphère du profane à côté de celle du sacré ; cependant, les sociétés traditionnelles, qui groupent une population restreinte, communient dans un même système de valeurs, identifient en grande partie les solidarités sociales avec les solidarités religieuses ; les ancêtres, les génies ou les dieux font partie du groupe des vivants, et s’insèrent dans un même réseau structurel de communications et d’échanges incessants. Le concept du « phénomène total » de Marcel Mauss mettait bien en lumière cette profonde interprétation du social, du psychique et du religieux. Mais avec la différenciation, qui a été la grande loi du changement (passage de la solidarité mécanique à la solidarité organique de Durkheim, de la communauté à la société de Tönnies, de la culture de folk à la culture urbaine de Redfield), la religion se sépare du reste de la vie sociale et le « phénomène total » sera remplacé par la dialectique entre des institutions (dont l’institution religieuse) devenues autonomes, agissant et réagissant sans doute les unes sur les autres, dans une même société, mais sans se confondre jamais.



Nous devons introduire ici une nouvelle idée, sur laquelle G. Gurvitch a beaucoup insisté, celle de la diversité des temps sociaux. Le temps des institutions religieuses est un temps « au ralenti » par rapport à celui des autres institutions ; il arrivera par conséquent un moment où le décalage de la religion par rapport au reste de la société sera ressenti par les consciences des croyants. Nous voyons alors apparaître divers phénomènes, comme ceux du messianisme, du réveil ou de la réforme. Mais tous ces mouvements se présentent non pas avec une idéologie de renouvellement ou de « rééquilibration », mais au contraire avec une idéologie de retour au passé ; le messianisme est « nativiste », il veut revenir aux coutumes ancestrales, le Messie se présente comme la réincarnation de l’ancien héros civilisateur ; le réveil religieux s’inscrit contre la sécheresse spirituelle et prône la ferveur des Églises primitives ; la Réforme réagit contre la décadence de la foi par la reprise de modèles du passé considérés comme plus purs. En fait, ces idéologies sont trompeuses ; le messianisme est un effort pour sauver la religion ancienne menacée par la création de rites nouveaux, plus efficaces contre la désagrégation sociale que les rites anciens, de façon à rétablir un équilibre disparu ; c’est une restructuration planifiée. Les réveils religieux, comme ceux du pays de Galles, ou ceux de l’Allemagne baroque, tout comme les mouvements de réforme (Réforme protestante au XVIe siècle, modernisme catholique de la fin du XIXe) tentent de remettre la religion à l’unisson d’une société environnante qui s’est transformée, de rétablir des communications qui étaient devenues impossibles, de substituer à des équilibres perdus de nouveaux équilibres socioreligieux. Tout se passe comme si les prophètes ou les prêtres voulaient rassurer les consciences affolées par l’affirmation que l’on veut « maintenir » alors qu’il s’agit au contraire de « transformer ».

À la loi de différenciation sociale se rattache une autre loi, à laquelle Becker en particulier a consacré d’importantes études : celle de la sécularisation progressive de nos connaissances comme de nos activités. Nous ne devons pas penser qu’à cause de cela la religion est actuellement moribonde ; elle change seulement pour reprendre des formes parfois inattendues ; l’anthropologue la découvre souvent là où il ne s’attendait vraiment pas à la rencontrer, comme d’ailleurs il découvre souvent à l’intérieur des Églises historiques, au lieu de l’appréhension du sacré qu’il espérait y trouver, un ensemble de masques, d’apparence certes religieuse, mais qui couvrent de leurs mensonges des faits d’indifférence, voire de négation du pur religieux. Nous avons donné un peu plus haut des exemples de ce jeu de cache-cache de l’homme avec le sacré : prolifération des mythologies, innovations du cérémonial dit laïque, transfert du religieux dans l’expérience politique au moment où, de son côté, le politique se déguise en religieux pour ne plus dire son nom.

On n’a pu indiquer que quelques-uns des processus de changement retenus par l’anthropologie religieuse. Ils posent une question à l’anthropologue, puisqu’ils ont été d’abord l’objet presque exclusivement réservé aux historiens. N’avons-nous pas à faire ici, à l’histoire, la part de liberté ou de l’événement ? Ne sommes-nous pas sortis sans nous en rendre compte de la science qui classe et qui cherche des régularités ? Non, certes, que l’historien nie le déterminisme, mais il ne découvre que ce que Gurvitch appelait des « causalités singulières » qui sont le plus souvent, à un moment donné du temps, la rencontre fortuite ou unique de facteurs disparates qui s’ajoutent, se nient, entrent dans un théorème de composition des forces sans cesse recommencé. Il faut tâcher de répondre à ces questions. Or il est d’autant plus difficile d’y répondre que l’anthropologie religieuse a d’emblée été définie ici par la synthèse de diverses sciences humaines et que nous constatons qu’à une même situation sociale, on peut trouver psychologiquement des solutions diverses, qu’à une même aspiration psychologique, on peut donner des solutions sociologiquement différentes. Ainsi le besoin de ferveur peut entraîner la formation d’ordres monastiques (qui correspondent, pour l’Église catholique, à ce que sont les sectes du Livre dans le protestantisme) ou la dissolution de l’Église en une multiplicité de sectes charismatiques, mouvements de réveil religieux. Réciproquement, le messianisme, fait social, peut être la conséquence d’un certain mysticisme profond (comme chez les Indiens Guarani), d’une angoisse collective en face d’un état d’oppression ou d’anomalie sociale, de protestation contre la bureaucratisation de l’Église. Il semble donc que nous ne pouvons trouver que des cas particuliers, réclamant chacun une explication singulière. Si nous voulons échapper à cette conclusion, ne sommes-nous pas alors rejeté hors de l’anthropologie religieuse ? Devrons-nous recourir à des explications d’ordre très général, comme celle que peut donner le marxisme, et faire alors de la religion une superstructure liée aux formes de production et à leur évolution, ou comme celle de la psychanalyse qui rattache en dernière analyse les faits culturels les plus divers à l’existence de complexes humains toujours identiques et permanents ? Dans les deux cas, le religieux est nié, puisque le marxisme ne considère pas l’activité symbolique de l’homme et que la psychanalyse réduit toutes les formes du symbolisme à celui des déguisements de la libido passant la censure sociale.

Mais c’est justement au moment où nous pensons être acculés au silence que le germe tout au moins d’une solution se fait jour. Nous n’oublions pas en effet que l’Anthropologie de Kant repose non sur la critique de la Raison pure, mais sur celle de la Raison pratique. Il y a, dans le domaine religieux, surabondance de signifiés par rapport aux signifiants et, par conséquent, possibilité d’érosion de sens anciens, création d’une liberté qui postule la Raison pratique et dont l’activité se manifeste dans le domaine du symbolisme par le changement des significations, le remplacement des valeurs usées par de nouvelles valeurs. C’est donc à l’entrecroisement de structures sociales changeantes et de structures psychiques (qui se réalisent en systèmes symboliques cohérents) que se trouve placé sans doute le réseau unifiant qui permettra au dernier des chapitres de l’anthropologie religieuse, celui qui est consacré aux changements, de trouver une base scientifique de même nature et de même valeur que celle des chapitres qui le précèdent.

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MessageSujet: Re: L'apparition des religions   L'apparition des religions EmptyVen 24 Mar - 2:27

RELIGIONS ET IDEOLOGIES


Pour s'entretenir sur les origines des religions.

Prise de vue

L’histoire des religions indique assez bien, quoique à gros traits, comment naît une religion, comment elle meurt. Mais elle ne montre que des religions qui se succèdent, les cultes nouveaux recouvrant ou transformant les anciens. Elle ne montre nulle part un arrêt de la religion, une coupure de l’élan mystique dans l’humanité. C’est pourquoi elle nous laisse sans recours pour expliquer l’état présent du monde, la crise générale des religions, leur récession.



1. La fin des idéologies

Pour la conscience occidentale, le drame est d’autant plus aigu que la religion qui s’en va n’est plus celle des dieux, mais celle qui en avait triomphé. La religion de l’idole avait cédé la place à l’iconoclasme juif, au culte en esprit et en vérité, à ce que Hegel nommait « religion absolue ». Si le christianisme décline à son tour, ce n’est pas une religion qui s’efface, c’est la religion qui tombe. Impression confirmée par les marginaux qui s’intitulent post-chrétiens. Le christianisme leur paraît indépassable ; il était le sommet de la religion. Après lui, il n’y aura pas d’autre religion. Avec lui, Dieu a terminé sa carrière ; il rejoint les dieux morts.

Des formules de ce genre sont affligées d’enflure, de vanité littéraire. Mais elles soulèvent des échos passionnés, elles pénètrent tous les milieux, elles ont valeur de symptôme. L’homme contemporain a le sentiment que la religion a épuisé ses vertus ; et il l’a parce que la religion la mieux assurée perd chaque jour du terrain et risque de perdre la partie. Il rend ainsi un hommage indirect au christianisme. Son étonnement de le voir vaincu atteste qu’il le croyait invincible. Même pour l’agnostique, l’usure du « chiffre » chrétien a quelque chose de pathétique. Il la regarde comme le terme de l’illusion religieuse, mais en considérant que l’âme des religions s’est brisée dans son plus grand effort.

Pourtant cette conclusion pessimiste reste ambiguë. Contre les prophètes de malheur, les prophètes de revanche l’ont aussitôt retournée. Le christianisme, glosent-ils, devient sans illusion sur lui-même, il cesse d’être illusion, parce qu’en réalité il n’est pas religion, mais foi ; il n’est pas religieux, mais destructeur de religiosité. En conséquence, il n’y aura plus de religion, de croyances fallacieuses ; mais une foi vive et nue subsistera, une foi démystifiée, démystifiante. Ainsi, la religion serait surmontée par une autocritique du christianisme, par le rejet de ce qui, en lui, est inessentiel, syncrétique, païen. Décanté, il serait pur ; dépouillé, il gagnerait en rigueur. Bref, la foi chrétienne serait enfin adulte, digne d’une science et d’une moralité elles-mêmes adultes.

Si l’on renonce à jouer les devins, on n’a pas à choisir entre des pronostics. En revanche, cet appel au dépassement – de la religion à la foi ou bien de la religion à l’irréligion – semble poser en deux langages un même problème : celui de la fin des idéologies, de la péremption des dogmatismes. Sur ce point, les deux progressismes se rencontrent : celui de certains croyants, celui de certains incroyants, quand les uns et les autres déclarent que le christianisme idéologique est révolu. Il arrive même que l’athéisme de l’athée soit moins virulent que celui de l’apôtre (théologiens de la « mort de Dieu » partisans d’un absolu de charité qui n’est que l’absolu anonyme des actes de charité ; censeurs de la notion de divinité qu’ils jugent arrogante, superstitieuse, entachée de paganisme). Cela aussi est un signe de notre époque et n’est pas forcément une preuve de confusion mentale.

2. Symbole, mythe, facteur idéologique

D’où vient cependant que la religion suscite aujourd’hui des paradoxes aussi étranges ? Sans nul doute d’une radicalisation de l’interrogation humaine, d’un refus et d’un dédain de ce qui, même dans la religion (et d’abord dans la société, car les religions, ou les styles de comportement que les langues occidentales désignent de ce nom, appartiennent à l’essence du social), est idéologie, n’est qu’idéologie. Il importe toutefois de clarifier ce concept, de le bien définir. Pour cela on consultera les spécialistes des sciences humaines plutôt que les philosophes. Eux seuls permettent de faire le point sur ce qu’on sait désormais de la constitution des religions.

La structure symbolique de celles-ci est mieux connue. Plus exactement, elle est reconnue. On accorde que la religion a un langage à elle, celui du symbole, irréductible au langage purement conceptuel. On discerne que le symbole fait « sursignifier » un sens premier, qui lui sert d’attache et de matrice, mais accepte d’être oublié au profit d’un sens second, sans être détruit comme sens premier : par exemple, chaque élément naturel (eau, terre, air, feu) demeure ce qu’il est et symbolise indéfiniment, s’irise en métaphores, donne lieu à transports de sens. Le symbolisme religieux s’apparente par là à une poétique, à une onirique, qui a ses lois et son économie ; il n’a pas à être lu comme discours rationnel, bien qu’il ait sa logique.

Déployant des symboles, les religions ne peuvent être que mythiques. Elles ne fournissent pas une explication des choses (contresens souvent commis, même par les théologies). Elles appréhendent le monde comme humain, à l’aide et à partir de prises spontanées qui restent concrètes, au niveau des démarches perceptives. Et elles se livrent à cette appréhension, non pour connaître quoi que ce soit d’un savoir désintéressé, mais pour rendre l’environnement praticable, l’existence supportable, la coexistence viable (les mythes classent, ordonnent, réglementent, pour créer une écologie et une axiologie anthropocentriques, non pour spéculer sur les possibilités formelles du langage, même si le goût du jeu verbal vient très tôt aux civilisations orales, même si l’aptitude raisonneuse et logicienne ne leur fait nullement défaut).

Avec la réhabilitation du mythe, avec la redécouverte du symbole, l’histoire des religions a chance d’interpréter religieusement la religion : ce qui n’a pas toujours été le cas dans le passé. Mais un troisième constituant apparaît, distinct du symbole, qui est surdétermination de certains termes, et du mythe, qui est structuration, explicitation, déploiement réglé d’une symbolique.

Ce troisième constituant est le facteur idéologique, issu de tendances inhérentes à la société : d’abord, de la tendance qu’a chaque communauté d’hypostasier sa propre canonique, d’ériger en principe sa propre régulation ; ensuite, et surtout, de la tendance qu’a la société comme telle de s’idéaliser, de sécréter ensemble son utopie et sa topique, son ordre imaginaire et son ordre réel.

L’idéologie qui naît de la première tendance est une illusion tenace, mais superficielle : le contact avec d’autres styles d’organisation, l’évolution elle-même, le changement des modes de production, des représentations collectives, des institutions, peuvent en accuser la relativité. Mais l’idéologie qui naît de la seconde tendance est moins facilement décelable ; elle fait penser à une illusion constitutive, à une illusion de droit, qui fait corps avec la socialité elle-même et qui ressemble à ce que Kant entendait par illusion transcendantale.

Il ne sert pas à grand-chose de répéter que les idéologies, comme systèmes de croyances, se combattent, se réfutent, se relaient : chacun le constate et en convient. Il n’est pas non plus du premier intérêt de rappeler que les religions, comme tous les faits de culture, s’inscrivent dans des mentalités, qu’elles épousent l’esprit d’un temps et d’un lieu, qu’elles reflètent des situations socio-économiques, et que, si elles le dissimulent, si elles le nient, elles deviennent abstraites comme une idée sans ancrage, donc idéologiques : le marxisme a imposé cette vue, mais ce n’est pas une nouveauté. En outre, une religion peut revêtir bien des enveloppes culturelles et préserver son identité. Le christianisme a été judaïsant, hellénisant, romanisant, etc., « il a été plusieurs religions », il n’en a pas moins conservé son axe principal : ce qui justifie la distinction entre intention et expression, l’idéologie comme perspective d’époque, comme réfraction d’un moment de culture, comme illusion des contemporains, pouvant n’affecter que l’expression. En revanche, le terme « idéologie » est susceptible de recevoir un sens beaucoup plus troublant. C’est le cas lorsqu’on le rapporte à quelque chose d’intrinsèque, à quelque chose qui avait été soupçonné et même décrit, mais qui n’a été pleinement compris que par l’anthropologie récente, grâce à une analyse plus fine des structures inconscientes du conscient.

Il vaut la peine de résumer cette analyse, qui garde référence à des données positives, observables ou repérables, en quelque sorte ethnographiques. En matière de religion, de discussion sur le repli éventuel des religions, elle néglige l’explication courte : par l’incrédulité qui ronge les croyances, par le libertinage qui débride les mœurs, par l’esprit scientifique qui dissipe l’esprit théologique, par la modernité qui éclipse l’archaïque. Elle va droit à la difficulté centrale, au noyau des religions.

3. L’illusion religieuse

Pour l’ethnologue, les religions sont toujours composites, y compris dans leur dessein. Elles s’assignent un double but : dégager une transcendance, consacrer l’ordre social. Or ces deux visées sont antithétiques. La première « illimite » l’homme, elle déconditionne la condition humaine, elle ébranle le système des règles qui enserre ou délimite, qui leste ou stabilise cette condition. La seconde s’attache au réseau des normes, au faisceau des lois, elle le défend et le renforce, pour que l’homme, dépourvu de la sécurité de l’instinct, privé d’un strict conditionnement naturel, biopsychique, se forge une condition définie, se prescrive des limites, s’impose un ordre, et par là échappe à l’angoisse. Pour rendre ces visées compatibles, les religions consentent à l’éclectisme. De la transcendance, elles font, non pas une sortie du système, une négation de l’ordre, une transgression par défi (comme s’y aventurent la révolte, la protestation magique), mais le fondement de l’ordre ou du système. Ainsi, elles tendent à l’absolu et elles fortifient le relatif. Elles ont de la hauteur et elles ont des complaisances.



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Il y a plus subtil. L’ordre cosmique ou social ne peut guère être sacralisé tel quel, car il comporte des déficits, du désordre, du négatif (ce que la sorcellerie, la démonologie s’empressent d’exploiter). C’est pourquoi l’homme de la religion, désireux ou soucieux de consacrer l’ordre, ne porte à l’absolu qu’un ordre parfait, c’est-à-dire un ordre qui n’existe pas, un ordre imaginé. Cela lui permet de sauvegarder ce qu’il enjambe, à savoir l’ordre réel, en alléguant que celui-ci n’est pas parfait, mais qu’il participe de la perfection, qu’il se fonde sur un transcendant. Mais c’est au prix d’une illusion. Car l’ordre parfait n’est ni transcendance ni mystère : il est fiction et artifice. Le postulat du parfait, sur lequel théologiens et philosophes se sont émerveillés, n’est qu’un mécanisme de projection, à effet compensateur, consolateur.
Exemple

Certes, cette illusion est utile : elle soulage, elle a bu toutes les souffrances de la terre, elle a vengé tous les déboires, racheté toutes les déceptions. Mieux : en procurant un support imaginatif à la certitude éthique d’un royaume des fins, d’un règne de justice et d’intégrité, elle a fomenté l’espérance.
Suite de l'exemple

Mais elle est redoutable, elle peut devenir néfaste, servir d’outil politique, car si l’ordre parfait n’existe qu’imaginé, on imagine, tout aussi aisément, que l’ordre imparfait commence à être parfait puisqu’il participe de la perfection (ambiguïté de l’adage « la perfection n’est pas de ce monde », dans un contexte où le monde serait bon, entièrement bon, s’il n’y avait la malice du pécheur ; sans le péché, le monde serait ou redeviendrait parfait). L’ordre institué s’auréole ainsi d’une perfection qu’il n’a pas, qu’il n’est pas, mais dont il partage le prestige. On devine la suite, la conséquence extrême. L’absolu de l’ordre engendre l’absolutisme : même la chrétienté y a succombé. C’est un excès pratique, un abus (il n’est jamais souhaitable qu’un absolu descende dans la sphère du pouvoir, d’aucun pouvoir), mais un abus lié à une erreur théorique.

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Il semblerait que la réalité de certaines voies spirituelles soient bien plus opaques qu’il n’y paraît. Alors, entre histoires de violence et potentielles dérives religieuses, que se passe-t-il vraiment au sein des dérives sectaires qui rompent tout lien avec nos civilisations sans en créer une nouvelle ?






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Il y a erreur, car le système parfait est une contradiction dans les termes. Non seulement la totalité des totalités n’est pour nous qu’un être logique, puisque notre pensée échoue à lui conférer l’existence, mais la notion de totalité, la notion d’ordre ou de système implique elle-même que l’intelligibilité n’est jamais toute claire : altérité et négation, contrariété et différence l’habitent autant qu’identité et position, complémentarité et unité (le monde est bien un « tout » en acte, mais seule la piété stoïcienne, qui malheureusement a fait école, ose lui rendre un culte, ose le révérer comme parfait : encore n’est-ce, en maints passages, qu’une manière d’affirmer qu’il contient tout ce qu’il lui faut pour exister).

Ainsi, ni spéculativement ni pratiquement, la postulation du parfait n’est sans équivoque et sans danger. Lorsqu’elle tient lieu de transcendance, elle en détourne (même la perfection morale est un rêve qui frôle la faute : elle est l’orgueil du moi, le pharisaïsme de la vertu).

Arnaques et crédulité religieuse


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Si cette analyse est exacte, il y a bien une illusion religieuse. Mais ce n’est pas celle de la transcendance. C’est celle de la transcendance confisquée, « récupérée », de la transcendance confondue avec le parfait, rabattue sur l’ordre élevé subrepticement à l’absolu.

Comme exigence d’incondition, la transcendance est saine : c’est une polarité de l’homme. Elle révèle la liberté à elle-même, elle creuse l’insatisfaction. Par elle, les individus et les groupes se contestent, ils franchissent l’ordre, ils l’ont toujours déjà franchi : moyennant quoi ils s’angoissent, ils se culpabilisent, mais aussi s’exaltent et s’enhardissent, acceptant d’agir et d’acquiescer, mais non sans vigilance et sans distance. En même temps elle entretient le sens du mystère (plus pertinemment, elle mesure la brièveté du sens face à l’inconnu où s’abîme le sens, face au mystère), elle excite la curiosité, les appétits, non pour les combler, mais pour les pousser au point où ils ne sauraient l’être, au point où la satiété n’est plus ce qui rassasie.

Mais travestie en perfection de l’ordre, la transcendance n’est qu’un leurre : elle laisse le choix entre l’évasion hors du réel ou la méconnaissance de l’ordre existant – lequel est finitude, manque, imperfection, même quand on prétend y loger un absolu.

4. La quête de l’objet absolu

Toutes les religions sont des compromis entre ordre et transcendance, car l’homme lui-même est ce compromis, cet accord dissonant. Mais les religions cèdent plus ou moins à la tentation de l’ordre, à la nostalgie du parfait. Elles sont donc plus ou moins idéologiques, il faudrait pouvoir écrire « idologiques », victimes d’une image, d’un mirage. En somme, la religion cherchait l’absolu, ce qui est la définition du mysticisme, et aussi bien le vœu secret, l’aspiration inavouée de l’art, du savoir, de l’amour. Mais elle a fui la voie de la négation, elle ne s’y est fixée qu’un instant ; elle a inventé l’objet absolu, elle l’a accrédité, elle en a même tiré une « despotique » en tous genres. C’est ce prestige qui s’écaille. Cette annonce ne passe plus.

Il est vrai que l’« illusion religieuse » n’affecte pas que les religions. Ou plutôt, si l’on respecte la leçon de l’ethnologue, il est vrai que cette illusion n’éclôt comme religieuse que parce que la société elle-même est emportée par un double mouvement : de transcendance et d’autocélébration, de hauteur et de complaisance à soi. Il s’agit d’un phénomène constant, global, aux attestations diverses : la psychanalyse retrouve dans la clinique individuelle cette quête de l’objet absolu que l’ethnologie des religions présente comme une entreprise collective. Le plus surprenant n’est pas que la critique moderne l’ait dépisté, ruinant les théismes comme apothéose de l’ordre, comme divinisation de la totalité perdue. L’étonnant est qu’elle en reste à une partialité, à une distorsion : elle n’accable que la religion des temples et des autels, elle est indulgente aux religions séculières.


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La confusion est fréquente, surtout en France, entre l'attitude religieuse et le fanatisme. Pour beaucoup, se référant principalement aux Lumières, toute attitude religieuse est nécessairement suspecte, qualifiée d'obscurantiste, d'arriérée ou de fanatique. Or, le fanatisme est précisément une corruption passionnelle et imaginative de l'attitude religieuse. Peut-on lever cette confusion ?



Il est clair cependant que les messianismes politiques, les millénarismes sociaux, prolongent l’illusion religieuse, et même l’aggravent, puisqu’ils n’ont pas le correctif de l’au-delà, puisque la perfection sera rendue immanente : le « grand soir » aussi est un « jour de Dieu ». Quant à l’effervescence de la jeunesse actuelle, nul n’ignore qu’elle rejoue apocalypse et parousie, qu’elle voit poindre sur les nuées un seigneur de gloire. Une société parfaite, un ordre pur, une vie en commun qui ne contraint ni ne réprime, les catéchismes ont un mot pour désigner ce havre de paix, cette harmonie-jardin. Il est temps peut-être que des socialismes de maturité s’entraînent à gauchir autre chose que l’uchronie des religions.

Il est vrai aussi que l’illusion religieuse une fois démasquée, l’illusion de la critique pourrait être de penser que la religion est liquidée. Il faudrait pour cela que l’illusion religieuse fût toute la religion, qu’elle n’atteignît que les religions, que la recherche de l’objet absolu absorbât tous les soins de toutes les religions et qu’aucune religion n’eût le courage de dénoncer sa propre illusion, puis de survivre à sa désillusion. Cette hypothèse peut être faite. Mais l’hypothèse inverse peut l’être aussi.

5. L’ironie des religions

On a toujours compté au bénéfice du bouddhisme une capacité de « déconstruire » les ruses du désir, de déjouer les stratagèmes de l’adhérence. De même, on a fréquemment souligné que le mordant du judéo-christianisme réside dans le mosaïsme de l’irreprésentable, dans la dérision du dieu pendu, du sauveur qui ne se sauve pas. Un absolu sans visage, une divinité suppliciée, déshonorée, sont en religion la suprême ironie ; ils défont la religion qu’ils font, ils ne l’établissent que par concession, puisque la religion de l’ineffable et de l’opprobre représente quand même, édifie quand même.

Ni le judaïsme ni le christianisme ne sont des formations homogènes. Surgis comme mythes d’action, ils se sont adjoint des mythes de représentation, des vérités de spéculation et des vérités d’appareil. Si le mythe du dieu-volonté, de l’absolu qui se révèle exclusivement dans le vouloir de ses témoins, dans l’histoire de leur fraternité et de leurs luttes, qui ne se révèle ni dans la nature, ni dans l’imagerie humaine, et qui n’est jamais dévoilé, puisque l’histoire ne s’achève pas, ni capté, maîtrisé, puisque l’acquis suivant refond, corrige ou modifie l’acquis précédent, si ce mythe intervenait comme réducteur de tout autre mythe, il ne serait pas d’illusion, mais d’incitation, de provocation à l’engagement complet et au désintéressement total.

Plus simplement, si la vigueur symbolique des religions l’emportait sur les demi-rationalisations de leurs doctrines, elles renoueraient le dialogue interrompu : celui des signes qui aidèrent l’homme à se redresser, à diriger ses regards vers le ciel. Car les symboles, même les plus chargés, les plus raturés, sont finalement ce qu’il y a de moins vulnérable dans le code des religions. Ce ciel des morphologies sacrées, ce ciel topographié, iconographié, a été un puissant alibi de la terre. Mais son premier indicatif est d’altitude, de fierté et d’ouverture. Il ne représente pas, il effectue : il opère la verticalité de l’homme, il met en œuvre sa profondeur. S’il symbolise, non l’ordre, non le parfait et ses attributs, mais l’inconditionné, il ne ravit ni ne pèse : il libère.

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