Le Bien et le Mal sont la colonne vertébrale de l'humain. L'expression "en avoir plein le dos" prend ici toute sa signification. Quand les gens souffrent trop, au lieu de prier, ils agressent par phénomène compensatoire réflexe, ce qui est une erreur. Nietzsche n'a pas décrié la mort de Dieu sans avoir au préalable écrit "Par delà le Bien et le Mal".
"Il y a un problème du mal. On pourrait même dire que le mal inclut, par définition, un caractère problématique et constitue dès lors par excellence l'objet d'une réflexion philosophique. Alors qu'on ne montre pas toujours sans peine qu'il y a un problème de Dieu, un pro- blème de la connaissance, un problème moral, c'est-à-dire que Dieu, la connaissance, la moralité soulèvent des difficultés pour une pensée réfléchissante, on accordera immédiatement que le mal fait problème. Si la philosophie veut expliquer, rendre raison, justifier, donner un sens, dire ce qui doit être, le mal se présente par définition comme « ce qui ne devrait pas être », l'inexplicable, l'irrationnel, l'injustifiable, le non-sens.
Comme elle le fait pour tout objet qui sollicite sa réflexion, la philosophie en étudiant le mal ne va pas le dissoudre ou le supprimer, mais tenter de le comprendre : pareille compréhension sera un effort pour définir le mal, le cerner avec précision ou dire « ce qu'il est », également pour linsérer dans une structure, en chercher les « causes», indiquer d'où il provient et en vue de quoi il peut prendre sens. Pas plus que pour un autre objet, on n'est assuré d'avance que la recherche philosophique réussira à élucider le mal de façon satisfaisante; on n'est d'ailleurs pas fondé non plus à prétendre qu'elle échouera, sous prétexte que le mal se donne comme irrationnel; toute réflexion suppose un préréfléchi que jamais elle ne récupère exhaustivement. Il reste qu'en étudiant le mal on voit peut-être mieux la différence entre l'idéal d'une philosophie rationnelle et celui d'une philosophie rationaliste, on perçoit mieux les limites que rencontre notre aspiration à tout rendre intelligible et à tout enserrer dans des liens nécessaires.
Le premier à en donner une définition fut Saint Thomas d'Aquin. Il aborde le problème du mal en philosophe, il ne commence pas par une description phénoménologique des diverses sortes de maux. D'emblée, il se situe sur le plan métaphysique et se demande ce qu'est le mal en soi ou en général. Si le problème, ainsi posé, semble imprécis en raison même de sa généralité, on peut observer que son caractère premier ou fondamental est difficilement contestable; à moins de prétendre que la pensée courante ou l'usage linguistique détermine à bon droit et sans appel tout ce que nous appelons des « maux», ce sera une certaine idée du mal en soi ou en général qui devra nous guider dans la description que nous ferons de maux particuliers. C'est d'ailleurs dans cette perspective métaphysique que la philosophie grecque, à ses débuts, a posé ses questions décisives : devant un objet familier, déjà nommé dans la langue usuelle, mais dont la pensée cherchait une définition."
La notion de Bien et de Mal
Livre des hérésies