Marc Hassyn
Messages : 713 Date d'inscription : 29/06/2019 Localisation : France
| Sujet: Les francs-maçons n'ont pas fait 1789 Dim 14 Juil - 15:19 | |
| Contrairement à la théorie du complot maçonnique dénoncé en 1797par l'abbé Barruel, les maçons font plutôt profil bas en 1789. La légende révolutionnaire naîtra un demi-siècle plus tard, à l'avènement de la IIe République. Grâce à un "profane", Alphonse de Lamartine. Daniel Ligou a dirigé l'ouvrage collectif Histoire de la franc-maçonnerie en France (Ed. Privat, 2 tomes, 2000), Dictionnaire de la franc-maçonnerie (PUF, 2004), Constitutions d'Anderson (Edimaf, 1992). - Daniel Ligou a écrit:
- A la veille de la Révolution, le Grand Orient de France, sous la direction nominale du duc de Chartres (futur duc d'Orléans puis Philippe Égalité), mais de fait sous celle du duc de Montmorency-Luxembourg, fédère quelque cinq cents loges et probablement une trentaine de milliers de maçons. Tout ce qui compte dans la vie sociale à Versailles, à Paris, en province est ou a été maçon. Sous l'égide du Grand Maître travaillent des loges militaires, des loges d'adoption - réservées aux dames de très haute noblesse, comme la duchesse de Bourbon -, des loges navales, des loges coloniales. Grâce à une administration relativement solide, le Grand Orient de France - créé en 1773, à la suite de la crise parisienne qui agite la Grande Loge de France - réussit à maintenir un semblant d'autorité sur ce monde maçonnique.
Il obtient que chaque loge, nouvelle ou ancienne, lui présente ses « constitutions » (statuts) qui doivent être renouvelées. Bien entendu, toutes les idéologies peuvent s'y rencontrer. Socialement, 80 % des membres sont du tiers état, contre 15 % de nobles et 4 % d'ecclésiastiques (chanoines, curés et religieux en proportion inégale), les interdictions pontificales ayant semble-t-il peu joué, sauf au niveau de l'épiscopat (lire page 56) . Les nobles sont essentiellement militaires, non seulement dans les loges militaires, mais aussi dans les loges bourgeoises.
Quant au tiers, il est dominé par les officiers royaux et les négociants. L'artisanat et la boutique sont très souvent exclus... Car malgré le principe d'égalité, on « maçonne » entre gens du même milieu : loges aristocratiques, négociantes ou petites-bourgeoises. Les « pauvres » sont éliminés tout comme les comédiens (mais pas les musiciens), les juifs mais pas les protestants (qui, au contraire, jouent souvent un rôle majeur). Le monde littéraire et artistique est important et ne le sera jamais autant : un millier d'auteurs sur les six mille connus.
La majorité des francs-maçons est indiscutablement « éclairée », mais on peut citer quelques farouches ennemis des Encyclopédistes, dont Elie Fréron et Lefranc de Pompignan. Ainsi le rôle de l'Ordre dans l' Encyclopédie de Diderot est-il marginal. La musique est bien représentée avec Cherubini, Méhul, Piccinni, Delayrac. Plusieurs loges possèdent leurs orchestres.
Certains historiens affirment que la décadence de l'Ordre aurait commencé dès la veille de la Révolution avec les réunions des Assemblées de notables et des Assemblées provinciales - créées par Loménie de Brienne, le nouveau contrôleur général des Finances du royaume, et préfiguration des états généraux. Ce n'est pas évident, sauf pour quelques régions, dont l'Ile-de-France et peut-être la Provence. Mais une fois la Constituante réunie (du 17 juin 1789 au 30 septembre 1791), et les premières décisions politiques prises, la maçonnerie essaie de montrer à l'égard de la monarchie constitutionnelle le même loyalisme qu'à l'égard de la monarchie absolue, fidèle en cela aux Constitutions d'Anderson (lire page 16) .
La plupart croient que la maçonnerie n'est nullement en dysharmonie avec l'ordre nouveau, mais ne blâment jamais ceux qui y sont hostiles, aristocrates et plus tard émigrés. La « cohabitation » devient néanmoins impossible, et les frères expliqueront a posteriori ces ruptures qui entraîneront souvent la disparition des loges par « les circonstances » ou « la différence des opinions politiques ». Disparaissent donc les ateliers aristocratiques, la plupart des loges militaires, mais également beaucoup de loges bourgeoises. Les frères pris par les affaires publiques négligent les assemblées. « Nous avons, écrit le 28 mai 1792 un vénérable de Toulon au Grand Orient, des occupations plus urgentes et plus conséquentes que la maçonnerie. » Effectivement, beaucoup de frères, notables de leur ville, sont appelés à la tête des municipalités, des districts et des départements, ou à la direction des sociétés populaires.
D'une façon générale, les loges sont entrées en sommeil avant le 10 août 1792. Il reste peut-être un dixième de l'effectif à cette date, mais il est difficile de donner une proportion exacte, car nombre d'ateliers ont subsisté sous forme profane ou de manière informelle. La situation s'aggrave avec l'avènement du gouvernement révolutionnaire. Certes, il n'y eut jamais, comme plus tard sous Vichy (lire page 68) , d'interdiction générale de l'Ordre. Mais les jacobins lui sont hostiles. Ils pensent que, dans une république, il ne doit pas y avoir d'organisation dont l'activité échappe au contrôle populaire.
C'est d'ailleurs ce que reconnaît le Grand Maître, Philippe d'Orléans dans une lettre du 3 janvier 1793 (rendue publique le 23 février). Les arrêtés d'interdiction sont donc l'oeuvre de représentants en mission de districts, de départements ou de sociétés populaires particulièrement zélés. Comme souvent en pareille circonstance, l'attitude des frères a beaucoup varié ; certains se sont soumis, attendant des jours meilleurs. A Bordeaux et à Toulouse, certaines loges, formées essentiellement de militaires et de fonctionnaires, continuent à se réunir librement « sous la protection des lois » en pratiquant le « mimétisme révolutionnaire » (changement de titres distinctifs, rubans tricolores dans les décors, tutoiement, adoption du calendrier révolutionnaire, etc.). Une trentaine de loges aurait ainsi survécu.
Nous savons d'autre part qu'il y a eu ici et là des tenues informelles qui ont permis, dès la réaction thermidorienne et sous le Directoire, la restauration de l'Ordre. En revanche, nous connaissons mal le moment où les instances dirigeantes ont cessé de se réunir. Le redressement, rendu très difficile par la dispersion politique des frères, mais aussi par la politique imprécise du Directoire, ne fut pas aisé. Le Grand Orient a survécu jusqu'à l'été 1794.
A la veille de la Révolution, les frères (appartenant essentiellement à la haute noblesse) se sont déjà divisés : pour ou contre Brienne, pour ou contre Necker. Cette division s'accentue lors des élections à la Constituante. Malgré les efforts du député lyonnais Milanois, il est impossible de réunir les frères députés en fraternelle. L'attitude politique de ces élus est édifiante de la profonde scission qui se produit, pendant la période révolutionnaire, à l'intérieur du pays.
Dans la noblesse où l'épée domine, la rupture s'effectue très vite. Un quart des maçons nobles suit le duc d'Orléans dans son rapprochement avec le tiers état. Ensuite, ces « sires » se rencontrent à tous les horizons politiques, de la gauche (Beauharnais, Hérault de Sechelles), à la droite (Cazalès) et parmi l'émigration (Montmorency-Luxembourg, CroØ). Les représentants du clergé restent relativement cohérents jusqu'au vote, le 12 juillet 1790, de la Constitution civile du clergé : la majorité passe dans l'opposition, mais les futurs évêques constitutionnels, en sont partisans.
La masse des députés du tiers est constitutionnelle. Néanmoins, on trouve des partisans de l'Ancien Régime, Faydel, Paccard et surtout Martin Dauch, député de Castelnaudary, le seul à refuser de prêter le serment du Jeu de paume, le 20 juin 1789. Il y a aussi quelques députés en relation avec l'extrême gauche : Barère, Prieur de la Marne, Merlin de Douai, etc. D'après les votes, on peut dire qu'une centaine de maçons est favorable à la Révolution, une cinquantaine a une attitude effacée, quarante sont nettement hostiles au mouvement parmi lesquels trente et un émigrent.
Par la suite, vingt-neuf siégeront à la Convention, une douzaine dans les conseils du Directoire. Quatre-vingt-un se rallieront au Consulat et à l'Empire, quinze à la Chambre des pairs de 1815, dont quatre refuseront de voter la condamnation du frère maréchal Ney.
A l'Assemblée législative (1er octobre 1791-20 septembre 1792), les maçons se retrouvent à tous les bords politiques : à droite, Pastoret, Lameth, Mathieu Dumas, Beugnot, Jaucourt, Girardin ; à gauche, Couthon, Guadet, Lacombe Saint- Michel, Romme, Lamarque. Plus difficiles à classer, Aubert Dubayet, Lacépède, Muraire.
Sous la Convention (21 septembre 1792-26 octobre 1795), les cent soixante parlementaires maçons se divisent. Lors du vote test sur la culpabilité du roi, le 17 janvier 1793, soixante-six votent la mort, treize le sursis, cinquante-deux d'autres peines. Si on ajoute à ces non-régicides ceux qui ont voté l'amendement du frère Miailhe (le sursis), on arrive à un total de soixante-cinq, à une unité près celui des régicides.
Si on tient compte de la distinction montagnards-girondins-plaine, une trentaine s'oriente nettement vers la gironde, une cinquantaine vers la montagne, la grande masse étant centriste. Mais ces frères s'engagent souvent jusqu'à la mort.
L'attitude des parlementaires n'a guère de répercussions sur les frères de la base. Il y a toujours eu une maçonnerie de droite, sinon d'extrême droite. Aux débuts, elle apparaît dans les loges d'aristocrates jusqu'à leurs dissolutions. A Toulouse, vingt-sept parlementaires sont exécutés sous la Terreur. A Lyon, on dénombre cent trente-six victimes de la répression révolutionnaire après la prise de la ville, car les frères ont été nombreux dans la municipalité girondo-royaliste (Vireu, Savaron, Perprissé, Duluc, Gilibert). Dans l'Ouest, il y a évidemment émigration, mais surtout participation au soulèvement vendéen avec Charette, Contades, La Bourdonnaye...
En tant que « corps », la maçonnerie n'a pas à se féliciter de la Révolution. Le nombre des victimes maçonnes n'a jamais été établi, sauf pour Lyon, cas qu'il est cependant impossible de généraliser.
Les organismes directeurs ont pratiquement disparu et peu de loges ont réussi à se maintenir. Le redressement a commencé mais, sous le Directoire (oct. 1795-nov. 1799), l'Ordre est profondément divisé, et cette distinction n'est pas seulement idéologique, mais aussi politique. Il y a désormais des ateliers jacobins et des ateliers monarchistes. Mais les anciennes distinctions de rites et d'obédiences se sont estompées.
L'accusation d'avoir été aux sources de la Révolution se mêle aux autres idées. La « latomophagie » (littéralement « bouffeur de maçons ») est parfaitement contemporaine à l'Ordre et on en trouve les premières traces en Angleterre au XVIIIe siècle... Il n'y a évidemment jamais eu l'ombre d'une preuve de l'existence d'un complot contre l'Eglise et l'Etat et a fortiori que ce complot ait eu une origine maçonnique.
Pourtant, sous l'influence de l'abbé Barruel, auteur en 1797 des Mémoires pour servir à l'histoire du jacobinisme, prend corps une violente campagne antimaçonnique visant à faire de la Révolution française, puis des révolutions subséquentes - indépendance sud-américaine, Risorgimento, développement du nationalisme hongrois et tchèque, puis plus tard, russe -, une oeuvre maçonnique. Il semble que cette idée ait connu un immense succès dans les milieux aristocratiques et particulièrement au sein du clergé à qui il fournissait une réponse facile aux questions posées. Aux accusations de Barruel, les loges répondent par une négation à peu près totale.
Mais le polémiste le plus efficace est l'ex-constituant grenoblois, Jean-Jacques Mounier, bien placé pour parler de ces problèmes, puisqu'il a joué, dans les prémices de la Révolution, un rôle capital. Mounier n'est pas isolé. Les frères qui prennent la plume nient toute relation entre maçonnerie et jacobinisme. Pourtant, le mythe survit et prospérera.
Sous l'Empire, tout le monde se tait, et la police tout autant que les préfets défendent la maçonnerie contre les attaques du clergé. En revanche, la Restauration est marquée par une forte reprise de la polémique antimaçonnique. Dès 1815, est publié Le Nouveau Judaïsme ou la Franc- Maçonnerie dévoilée , oeuvre d'un anonyme qui reprend les aveux de Cagliostro. Celui-ci a interprété le sigle LDP (Liberté de passer) du grade de chevalier d'Orient par Lilium destrue pedibus (Foule les lys aux pieds) et affirmé que le but de l'Ordre est de détruire la monarchie. Plus grave, dès 1820, apparaissent les accusations de « satanisme », la maçonnerie « synagogue de Satan ». Des « ultras » s'adressent à la justice ou à la Chambre des pairs pour obtenir l'interdiction de l'Ordre. Malgré cette attitude hostile du pouvoir, la maçonnerie n'a jamais cessé de renier la Révolution.
C'est en 1848 que les choses vont changer, par la grâce d'un profane de génie, Alphonse de Lamartine qui, le 10 mars, fait sienne l'affirmation parfaitement inexacte du frère Barbier, selon laquelle la devise « Liberté, Egalité, Fraternité » a « de tout temps » été celle de l'Ordre. Lamartine lui donne toute sa résonance. Désormais - non d'ailleurs sans débats -, la devise qui était déjà celle de la République (de la deuxième, pas de la première) devient celle de la franc-maçonnerie française. Il y a un évident contraste entre le rôle très discret, sinon nul, de la maçonnerie pendant la Révolution et la légende qui l'entoure.
Il va sans dire qu'il ne saurait être question de nier l'influence de certains maçons sur les événements, même si la maçonnerie n'y a pas joué un rôle de premier plan. Le général vendéen Autichamp - qui laisse la vie sauve à 5 000 républicains - eût-il été différent s'il eut été profane ? Le rôle de Couthon - qui fit preuve de modération dans la répression à Lyon - au Comité de Salut public aurait-il été le même s'il n'avait appartenu à l'atelier tarbais ? Questions que nous sommes en droit de nous poser, même s'il nous est, historiquement au moins, impossible de répondre. Extrait des Constitutions d'Anderson « Le Maçon est un paisible sujet vis-à-vis des pouvoirs civils, en quelque endroit qu'il réside ou travaille et ne doit jamais se mêler aux complots et conspirations contre la paix ou le bien-être de la nation, ni manquer à ses devoirs envers les magistrats... » L'épée L'épée existe en maçonnerie sous deux formes. L'épée flamboyante dont la lame ondulée représente le mouvement de la flamme intérieure censée brûler dans le coeur de tout maçon, évoque la création et la purification. Elle est utilisée lors de la consécration d'un candidat et reprend le rite de réception de la chevalerie. L'épée traditionnelle à lame droite, aussi appelée glaive, est tenue par les membres de la loge à l'occasion de la consécration d'un nouveau maçon et lors de cérémonies officielles. Elle symbolise la Vérité et la Justice. Repères 1771 Le 24 juin, le duc de Chartres, futur duc d'Orléans est élu Grand Maître de la première Grande Loge de France. 1773 La Grande Loge de France se scinde en Grand Orient de France et en Grande Loge nationale française. 1797 Début de la campagne antimaçonnique lancée par l'abbé Barruel. 1799 Tentative de réunification des deux obédiences. Députés francs-maçons Réunis devant un temple maçonnique, les trois ordres sont représentés aux Etats généraux : 214 des 1 100 délégués sont maçons (clergé, 17 ou 18, soit 6 % ; tiers état, entre 107 et 121, soit de 17 à 19 % ; noblesse, 79, soit 28 %). Sous la Législative, où il n'y a plus de distinction d'ordres, on ne trouve plus que 101 frères sur 745 députés (13 %). Durant la Convention, où le nombre des représentants varie entre 749 et 900, on compte 158 francs-maçons. Les assemblées du Directoire sont moins fournies. En 1796, il y a encore 84 députés (16,8 %) au conseil des Cinq-Cents et 34 aux Anciens (13,6 %). Ils ne seront plus que 9 % en 1799. | |
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