Selon la Tradition primordiale, il existe d’autres réalités ou mondes au-delà de celui que nous percevons avec nos sens ordinaires. La manifestation totale se déploie à plusieurs niveaux, et ce que nous percevons comme le monde matériel n’est que le niveau le plus dense et le plus extérieur de cette manifestation.
Dans cette perspective, il y a une hiérarchie de mondes ou de plans, allant du plus subtil au plus grossier, tous émanant du Principe suprême. Ces mondes sont à la fois imbriqués et distincts. Ils ne sont pas des réalités séparées mais des degrés de la manifestation universelle. Par exemple, les mondes subtils, souvent appelés “mondes célestes” ou “supra-sensibles”, existent à des niveaux plus élevés de la réalité et ne sont pas soumis aux mêmes lois que le monde matériel.
Le monde sensible est limité par l’espace et le temps, mais les autres mondes, qui sont de nature spirituelle ou métaphysique, transcendent ces limitations. Selon la Tradition primordiale, c’est en dépassant les apparences sensibles, à travers la réalisation spirituelle et l’initiation, que l’on peut accéder à ces autres niveaux de réalité. Ces mondes sont également les lieux où résident les principes immuables et intemporels, tandis que le monde matériel est soumis au changement et à l’impermanence.
Les différentes traditions sacrées du monde, bien qu’exprimant des formes particulières de la Tradition primordiale, affirment l’existence d’autres mondes ou niveaux de réalité. Voici quelques exemples tirés des écrits sacrés des principales traditions :
Dans les textes védiques et les Upanishads, il est souvent fait mention des lokas, qui sont des “mondes” ou des “plans d’existence” dans la cosmologie hindoue. Ces mondes sont nombreux et hiérarchisés. Par exemple, le Svarga Loka est le monde céleste où résident les dieux, tandis que le Brahma Loka est le plus élevé des mondes, associé à la réalisation du Principe suprême (Brahman).
Dans la Mundaka Upanishad (II, 2, 7), il est dit :
“Il y a deux types de connaissance à connaître : l’une est la connaissance supérieure, et l’autre est la connaissance inférieure. La connaissance supérieure concerne ce qui est impérissable, et c’est le Brahman, la réalité ultime et au-delà des mondes manifestés.”
Dans la tradition chrétienne, le Royaume des Cieux ou le Paradis est souvent évoqué comme un autre monde au-delà de la réalité terrestre. Le Nouveau Testament fait plusieurs fois mention de ce Royaume qui n’est pas de ce monde, renvoyant à une réalité spirituelle supérieure.
Dans l’Évangile selon Jean (18:36), Jésus déclare :
“Mon royaume n’est pas de ce monde ; si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu pour moi.”
Ici, Jésus souligne l’existence d’un autre monde, transcendant la réalité terrestre.
Dans la Deuxième Épître aux Corinthiens (12:2-4), Paul décrit une expérience mystique :
“Je connais un homme en Christ qui, il y a quatorze ans — était-ce dans son corps ? Je ne sais ; était-ce hors de son corps ? Je ne sais ; Dieu le sait — cet homme fut enlevé jusqu’au troisième ciel.”
Le “troisième ciel” est une mention claire d’un autre plan de réalité, accessible à travers des expériences spirituelles.
Dans l’islam, l’existence de plusieurs mondes est affirmée à plusieurs reprises. Le Coran parle fréquemment des “mondes” (al-‘Alamîn), signifiant que la création est bien plus vaste que ce que l’on perçoit dans le monde matériel.
Dans la Sourate Al-Fatiha (1:2), il est dit :
“Louange à Dieu, Seigneur des mondes.”
Le terme “mondes” (au pluriel) indique qu’il existe plusieurs plans de réalité, non limités à l’univers matériel.
Le Coran mentionne également le Jannah (le Paradis) et le Jahannam (l’Enfer) comme des réalités spirituelles au-delà de la vie terrestre, préparées pour les âmes après la mort. Dans la Sourate Al-Waqi’a (56:7-10), les âmes sont séparées en différentes catégories selon leur mérite, accédant à différents états ou mondes spirituels.
Dans le soufisme, la dimension métaphysique de la réalité est centrale. Les soufis parlent souvent des mondes spirituels qui se situent au-delà de ce monde sensible. Par exemple, les alam al-malakut (le monde de la royauté spirituelle) et alam al-jabarut (le monde du pouvoir divin) sont des réalités où la manifestation divine est plus pure et plus directe.
Dans le soufisme, la réalisation de l’Unité divine implique de transcender les limitations de ce monde matériel pour accéder aux réalités spirituelles. Dans le texte de Futuhat al-Makkiyya (Les Illuminations de La Mecque) d’Ibn Arabi, il est fait mention des multiples degrés de l’existence, correspondant à différents niveaux de proximité avec Dieu. L’âme, en suivant une voie spirituelle authentique, peut accéder à ces différents mondes et finalement s’unir à la Réalité divine.
Dans le bouddhisme, il existe une conception élaborée de la cosmologie avec plusieurs niveaux de réalité, souvent appelés “plans de renaissance”. Le Samsara, le cycle des renaissances, inclut six grandes catégories d’existence, allant des mondes infernaux aux mondes célestes.
Dans le Sutra du Lotus, il est dit que :
“Les Bouddhas se manifestent dans d’innombrables mondes et enseignent le Dharma à des êtres de différents niveaux d’existence.”
Cela indique que le Bouddha perçoit et agit dans des mondes qui vont bien au-delà de la réalité terrestre visible.
Dans la mystique juive, particulièrement dans la Kabbale, il est enseigné que la création se manifeste à travers différents mondes ou Olamot. Ces mondes sont imbriqués dans une structure hiérarchique, depuis le monde le plus matériel (Olam ha’Asiyah) jusqu’au plus spirituel (Olam ha’Atzilut).
Le Zohar (Livre de la Splendeur) mentionne les mondes cachés et le monde divin au-delà du monde matériel :
“Il y a des mondes visibles et des mondes invisibles, et tous sont sous le contrôle du Saint, béni soit-Il.”
Les mondes invisibles sont ceux qui échappent aux perceptions matérielles et constituent les niveaux plus subtils de la réalité divine.
Outre les traditions majeures comme l’hindouisme, le christianisme, l’islam, le bouddhisme et le judaïsme, d’autres traditions spirituelles et religieuses du monde évoquent également l’existence d’autres mondes ou niveaux de réalité au-delà de notre perception ordinaire. Ces conceptions varient selon les contextes culturels et métaphysiques, mais elles partagent l’idée que la réalité matérielle n’est qu’une manifestation parmi d’autres. Voici quelques exemples issus d’autres traditions importantes :
Dans la tradition taoïste, la cosmologie inclut plusieurs niveaux d’existence, associés aux différents degrés de réalisation spirituelle et aux forces de la nature. Le Tao, en tant que Principe suprême, transcende le monde manifesté et est la source de toute création.
Le Zhuangzi évoque les “mondes célestes” accessibles aux sages qui ont atteint l’union avec le Tao. Ces mondes sont des réalités plus subtiles, au-delà des limitations du monde matériel et des lois ordinaires de la nature. Dans le taoïsme, les êtres immortels, ou Xian, vivent dans des mondes éthérés où règne l’harmonie parfaite avec le Tao.
Dans le Tao Te Ching, Lao Tseu dit :
“Le Tao qui peut être nommé n’est pas le Tao éternel.”
Cela signifie que les dimensions supérieures de l’existence et de la réalité ne peuvent être saisies par les mots ou les concepts humains ; elles transcendent ce que l’on peut percevoir dans le monde matériel.
Les cosmologies des peuples amérindiens, bien que variées, partagent souvent l’idée d’une réalité stratifiée avec des mondes supérieurs (ou cieux) et des mondes inférieurs (souterrains). Les chamanes, dans ces traditions, jouent un rôle important en tant que médiateurs entre ces différents mondes.
Dans la tradition des Lakota, par exemple, il existe une croyance en plusieurs niveaux de réalité reliés par un axe cosmique symbolisé par l’arbre sacré ou le Wakan Tanka, la force suprême et créatrice. Le monde matériel n’est qu’un aspect de la réalité, et les autres mondes sont accessibles à travers des pratiques chamaniques et spirituelles.
Le popol vuh des Mayas décrit également une cosmologie composée de différents plans d’existence, notamment Xibalba, le monde souterrain, et Tamoanchan, le monde céleste. Ces mondes sont liés aux cycles de la vie, de la mort et de la renaissance.
Dans la cosmologie égyptienne, il existe plusieurs mondes, dont le Duat, le monde souterrain où l’âme voyage après la mort. Ce monde n’est pas seulement un lieu de jugement ou de punition, mais un passage vers des réalités supérieures, notamment vers l’union avec les dieux ou le retour à la source divine.
Le Livre des Morts égyptien, plus exactement intitulé Le Livre pour sortir au jour, décrit les différentes étapes que l’âme doit traverser dans l’au-delà. Les Égyptiens croyaient que l’âme, après la mort, pouvait s’élever vers un plan supérieur d’existence, symbolisé par la réunion avec Osiris et la vie éternelle dans le champ des roseaux (Aaru), un lieu de félicité céleste.
Dans le zoroastrisme, l’une des plus anciennes religions monothéistes, il est également question de plusieurs niveaux de réalité. Le Ahura Mazda (le Dieu suprême) règne sur les mondes spirituels et matériels, tandis que le mal (Ahriman) tente d’asservir la création.
Le Bundahishn, un texte sacré zoroastrien, décrit une cosmologie où le monde matériel est temporaire et sera, après une longue lutte entre les forces de la lumière et des ténèbres, transfiguré et ramené à un état pur et spirituel. Il y est aussi question de la Chinvat Peretu (le pont du jugement), qui relie le monde matériel au monde céleste et que les âmes traversent après la mort.
Dans la pensée grecque, en particulier dans les mystères orphiques, il est question de la séparation entre le monde sensible et le monde intelligible. Selon Platon, influencé par les mystères orphiques et pythagoriciens, l’âme appartient au monde des Idées, une réalité transcendante au-delà du monde des formes sensibles.
Dans le mythe de la caverne (dans La République de Platon), le monde matériel est vu comme une ombre du vrai monde, celui des Idées ou des Formes. Ce monde immatériel est la véritable réalité, et c’est par l’ascension spirituelle et intellectuelle que l’âme peut s’en libérer.
Les mystères d’Éleusis, quant à eux, évoquent des réalités invisibles accessibles à travers des rites initiatiques, où l’initié découvre les secrets de la mort et de la renaissance spirituelle dans des mondes supérieurs.
Les écrits sacrés et les traditions spirituelles du monde entier, qu’il s’agisse des grandes religions ou des systèmes de pensée plus anciens et ésotériques, affirment tous l’existence d’autres mondes ou niveaux de réalité au-delà du plan physique. Ces mondes, souvent hiérarchisés, sont accessibles à travers des initiations spirituelles, des pratiques rituelles ou des états modifiés de conscience. Ils sont perçus comme des manifestations de la Réalité ultime, dont le monde matériel n’est qu’une expression limitée. La reconnaissance de ces mondes est universelle dans les systèmes traditionnels, soulignant l’idée que la réalité est infiniment plus vaste que ce que nous percevons avec nos sens.