Le Canada accusé de « génocide » sur les femmes autochtonesPlus d’un millier de femmes autochtones assassinées ou disparues ces dernières décennies dans le pays ont été victimes d’un véritable « génocide », selon la conclusion controversée d’une commission d’enquête rendue publique lundi 3 juin 2019.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Inuits et Métis du paysIl y a le récit de la mort mystérieuse d’« Adèlous », 17 ans, rouée de coups et frappée par une bouteille de bière en juillet 2011 sur le petit archipel des Sept-îles. Celui de Rose-Ann, 51 ans, dont le corps a été retrouvé sans vie, abandonné dans le froid mordant, près de neuf jours après sa disparition en 1991 à Val-d’Or, dans l’Ouest industriel québécois. Ou de Charlotte, fillette de cinq ans originaire de Côte d’Or, enlevée à sa mère par les services sociaux, avant d’être assassinée au milieu des années 1980 par le père de sa famille d’accueil.
Glaçants, les témoignages des proches de ces victimes autochtones, recensés dans le volumineux rapport « Réclamer notre pouvoir et notre place » remis lundi 3 juin aux autorités canadiennes, s’étalent sur des dizaines de pages. Et contribuent à braquer les projecteurs sur cette alarmante conclusion – rédigée au terme des deux années de travaux d’une Commission spécialisée – établissant que des milliers de femmes autochtones, assassinées ou portées disparues ces dernières décennies, ont été victimes d’un « génocide » dans le pays.
Sauvages assassinats perpétrés par des membres de leurs familles, des étrangers, des tueurs en série… Après avoir entendu près de 2 000 proches de victimes, l’enquête publique a en effet estimé que celles-ci avaient été confrontées à un niveau de violence endémique, corollaire des « actions et inactions de l’État qui trouvent leurs racines dans le colonialisme et les idéologies connexes, reposant sur une présomption de supériorité ».
« Racisme et misogynie »Selon des estimations officielles, environ 1 200 femmes autochtones auraient été tuées ou portées disparues au Canada entre 1980 et 2012. Un chiffre probablement très en deçà du nombre réel de victimes, que « nul ne connaîtrait » selon le rapport. Création d’un poste de défenseur national des droits autochtones, d’un tribunal spécialisé, d’un organisme de surveillance de police… En listant 231 recommandations sécuritaires, judiciaires, sanitaires ou culturelles, le document prône de nouvelles réformes pour améliorer le sort de 1,6 million d’autochtones – 4 % de la population canadienne –, Inuits et Métis du pays.
Le Canada a toujours eu une mauvaise image. Il ne reste aujourd'hui en 2020 que 4% des Inuits et Métis du pays. 96% ont été exterminés en trois siècles.
« Tous [ces drames] ont en commun la marginalisation économique, sociale et politique, le racisme et la misogynie qui font partie intégrante du tissu social canadien », a regretté la commissaire en chef Marion Buller, lors d’une cérémonie en présence du premier ministre Justin Trudeau et de familles de victimes à Gatineau, en face d’Ottawa. « C’est une histoire inimaginable pour la plupart des Canadiens. Mais pour beaucoup, c’est une réalité déchirante », a réagi le chef du gouvernement, qui a fait de la réconciliation avec les populations autochtones l’une des priorités de son mandat, en promettant des « réponses concrètes ».
Prise de conscienceLa réalité de ces discriminations subies par les populations autochtones est-elle désormais ancrée dans la conscience collective canadienne ? « Beaucoup ne sont même pas au courant qu’une commission d’enquête sur les disparitions et assassinats de femmes autochtones existe ! Il faut sans cesse informer, rééduquer. Cette commission est apparue grâce au combat mené pendant près de 45 ans par les autochtones eux-mêmes » expliquait en décembre 2018 à TV5 Monde Fanny Wylde, première avocate autochtone du Québec, et membre de la Commission.
« Le Canada donne l’image d’être précurseur sur le terrain des libertés et des droits, mais dans la réalité, il y a une distorsion avec la manière dont il traite ses premiers peuples, et c’est encore pire pour les femmes autochtones », martelait-elle encore.
Employé à 122 reprises dans le dernier rapport, le recours au terme de « génocide » a prêté le flanc à la critique. Alors que le premier ministre canadien a fini par le prononcer timidement – en anglais et non en français – lors d’une déclaration en soirée, alors que des Autochtones l’avaient scandé le matin même durant son allocution, le chef du gouvernement québécois François Legault a estimé pour sa part que les faits, certes « très graves », ne reflétaient pas suffisamment ses définitions internationales ou juridiques.
« D’après les preuves que nous avons entendues, c’était une conclusion inéluctable », a répondu Marion Buller, « nous pensons souvent aux génocides [tragiques que sont] l’Holocauste, les massacres en Afrique et ailleurs. Le type de génocide que nous subissons au Canada, c’est la mort par un million de petites blessures, au fil des générations ».